Randa Kassis : « La Russie serait en train de quitter sa base militaire de Syrie pour en installer une nouvelle à Tobrouk en Libye »
Interview avec Randa Kassis, anthropologue et responsable politique franco-syrienne, écrivaine et présidente du Mouvement pour une société pluraliste ; également figure de l’opposition à l’ancien régime de Bachar al-Assad.
Renversement de Bachar al Assad: quid du nouveau pouvoir islamiste à Damas et des bases militaires russes en Syrie
Randa Kassis, anthropologue et femme politique franco-syrienne, également écrivaine, est présidente du Mouvement pour une société pluraliste, est une figure de l’opposition à l’ancien régime de Bachar al Assad. Sa voix est attendue et son expérience de femme engagée dans la défense du pluralisme et du multiculturalisme en Syrie est précieuse. Elle a notamment été coprésidente de la délégation de l’opposition laïque et démocratique syrienne aux pourparlers de Genève. Elle a initié la plateforme d’Astana en 2015, qui a réuni à plusieurs reprises des opposants syriens puis inspiré les pourparlers sur la Syrie. Elle a rencontré dans ce contexte à de nombreuses reprises les dirigeants russes, turcs, occidentaux, saoudiens, etc. Elle dresse ici pour Atlantico, un premier état des lieux de la chute inatendue de Bachar al Assad et de l’arrivée d’une alternance islamiste assez inquiétante sur laquelle elle nous livre ses impressions, ainsi que sur le destin des bases militaires russes très stratégiques que Moscou n’a apparemment pas cherché à défendre à tout prix. A propos de la position de la Turquie, qu’elle connait bien, elle a un avis équilibré et autorisé par le fait qu’elle a présidé la plateforme d’Astana en 2015, qui a justement inspiré les pourparlers sur la Syrie d’Astana dans le cadre desquels Ankara s’était engagé à confiner dans le Nord-Ouest du pays les jihadistes syriens et à les désarmer alors que ces mêmes jihadistes ont finalement pris d’assaut le régime. Le mot trahison est prononcé, mais Randa Kassis a une vision plus nuancée. Dans le cadre de nombreux pourparlers sur la Syrie, elle a rencontré très souvent les dirigeants russes, turcs, occidentaux, saoudiens, etc. Son témoignage est certes engagé comme celui de tout acteur politique, mais son expérience des coulisses des chancelleries et des négociations complexe donne un relief certain à son témoignage.
Alexandre del Valle : Abou Mohamed al-Joulani est-il vraiment le leader des rebelles et des « ex-jihadistes » (HTS ; ANS) qui ont renversé Bachar Al Assad, et a-t-il vraiment les moyens d’imposer son groupe le Hayat Tahrir Al Sham sur ceux de l’ANS, l’Armée Nationale Syrienne ?
Randa Kassis : Pour le moment, il peut aisément imposer son leadership, car il est le mieux organisé et dispose de l’expérience nécessaire à l’administration d’Idleb. Il devra, sans doute, faire quelques concessions, non seulement à l’ANS, mais également aux brigades militaires du sud. Cependant, il ne cédera aucun pouvoir à l’opposition politique, qu’elle soit issue de la coalition basée à Istanbul ou d’autres plateformes, telles que la mienne.
De toute manière, il semble assez compliqué de collaborer avec un personnage, certes complexe, mais qui a tout de même été actif au sein de Daech puis d’Al-Qaïda. Je veux bien croire à son évolution positive, mais cela reste à démontrer, surtout maintenant qu’il détient un pouvoir étendu sur l’ensemble du territoire, et pas seulement à Idleb.
Il devra rapidement faire face à un manque de financement, car le Qatar seul (puisque la Turquie n’utilise que les fonds du Qatar) ne pourra pas couvrir l’ensemble des dépenses courantes de l’État, et encore moins financer la reconstruction. Il faut préciser que les ressources naturelles se trouvent actuellement dans la zone contrôlée par les Kurdes, ce qui complique la situation.
Comment le nouveau pouvoir va-t-il gérer les fiefs des alaouites et des druzes ? Ces minorités auront-elles la force de résister aux assauts des milices proturques de l’ANS et du HTS ?
Il est probable qu’il ne s’attaquera pas aux minorités pour le moment. Est-il réellement envisageable qu’il n’y ait aucun règlement de comptes ? J’en doute fortement. Peut-il maîtriser l’ensemble des individus assoiffés de vengeance ? Cela me semble peu probable. Je ne doute pas qu’il ait besoin, pour asseoir son pouvoir, de maintenir les troubles au minimum, mais cela n’en fait pas une blanche colombe.
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