Procès du 13 novembre : l'inconséquence de la politique étrangère et de la lutte anti-terroriste
Alors que le procès des attentats du 13 novembre a débuté, quels sont les principaux enseignements de la lutte contre le terrorisme en France et en Occident ?
Cette semaine, alors que le procès des attentat du 13 novembre 2015 a commencé, notre chroniqueur Alexandre del Valle a voulu dresser un bilan de la lutte antiterroriste et anti-islamiste en France et en Occident en général. Pour cela, il s'est entretenu avec Philippe de Veulle, avocat au barreau de Paris, ancien auditeur de l'IHEDN et de l'INHESJ, spécialiste de la question, et qui représente notamment plusieurs victimes d’attentats jihadistes, notamment celles de l'attentat islamiste du Bardo du 18 mars 2015 à Tunis, plusieurs victimes italiennes dans l’attentat du Bataclan ainsi qu'une des victimes de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016.
Alexandre del Valle : Depuis une semaine, on a beaucoup entendu les doléances éhontées du principal jihadiste survivant des attentats du Bataclan, des terrasses de Paris et du stade de Saint Denis, Abdeslam, qui profite de son procès ultra-médiatisé pour affirmer qu'il aurait été "traité comme un chien dans les prisons françaises", et c'est sans surprise que le terroriste n'a manifesté aucun regret et au contraire profité de cette tribune pour faire le procès de l'Occident "ennemi des musulmans" et de la France. Que vous inspire ce début de procès, qui va être très long, trop long même, et qui commence dans une période pré-électorale majeure?
Philippe de Veulle : Avant de répondre à cette question, j’ai une pensée émue pour toutes les victimes des attentats de novembre 2013, pour les morts, comme pour les survivants et toutes leurs familles, pour celles qui refusent de se porter partie civile, pour celles qui ont été gravement blessées, qui doivent désormais se déplacer en chaise roulante, pour celles qui ont été touchées par balle comme pour celles qui ont été choquées.
Quant au procès lui-même, 9 mois c'est certes long, mais ce sera plus court que le procès de Nuremberg qui jugeait les hauts dignitaires nazis, et qui dura 11 mois du 20 novembre 1945 au premier octobre 1946. Certes, à cette époque, les alliés avaient gagné la guerre contre le nazisme. Et pour revenir à votre propos sur le fait que les procès de jihadistes sont souvent une occasion pour ceux-ci de faire entendre leur propagande, le procès de Nuremberg ne pouvait aucunement être une tribune pour les mis en cause, mais une explication du système politique nazi, qui était soumis à un système pyramidal de commandement très strict.
ADV : Faudrait-il un "Nuremberg" de l'islamisme en général, une mise hors la loi juridique, politique et morale comparable pour les jihadistes comme pour les islamistes qui font leur lit, comme le propose le journaliste Ivan Rioufol et d'autres?
PDV : Là s'arrête la comparaison, selon moi, car pour les combattants de l’Etat islamique, il s’agit non pas d’une idéologie politique, mais religieuse, qui est en nombre et qui se diffuse dans le monde entier, donc qui est très difficilement quantifiable. L’Etat islamique, certes a subi des échecs militaires, mais n’est pas détruit. En dehors même de l'EI, il existe aujourd'hui dans les banlieues françaises un radicalisme islamiste qui sévit et qui fournit chaque jour de nouvelles recrues au djihad. Ce phénomène que le politologue Gilles Kepel a qualifié de « djihadisme d’atmosphère » a déjà 10 ans. Si l'on observe l'événement majeur qu'a été le retour des Talibans en au pouvoir en Afghanistan au mois d’août dernier - après une guerre qui leur a été menée par les Occidentaux depuis vingt ans - force est de constater que la guerre occidentale contre "la terreur" s'est traduite par un échec politico-militaire et une victoire pour les islamistes. Le risque zéro n’existant pas, ces événements risquent de revitaliser partout dans le monde les adeptes du djihâd et des candidats aux attentats terroristes islamistes, de Daech, d'Al-Qaïda, ou de tout autre structure ou fratries ou petits groupes déterminés et fanatisés.
ADV : Craignez-vous une recrudescence des attentats liés au contexte de ce procès et de cette victoire des islamistes talibans qui a redonné de l'énergie combattante à des millions d'islamistes dans le monde?
PDV : Selon moi, le procès dit du Bataclan est le procès de tous les dangers, de par le contexte ci-dessus expliqué et qui plus est dans une période de pré-campagne et de campagne d'élection présidentielle en France. Salah Abdelslam en est conscient et il ne manquera pas à donner des signaux forts pour qu’un événement malheureux survienne pour déstabiliser le pays. C’est une erreur pour l’institution judiciaire d’avoir mis en place ce calendrier d’un procès pénal de cet ordre qui est aussi bien trop long dans son déroulement prévu. Habile, Salah Abdelslam a donc offert et conçu avec ses conseils une "défense de rupture". Quant aux 13 autres prévenus présents, ils feront tout pour minimiser leurs responsabilités pénales dans cet attentat islamiste sanglant, barbare et retentissant.
ADV : Dans vos analyses et préparations de plaidoiries relatives aux victimes du jihadisme, vous êtes-vous penché sur l'incubation des parcours terroristes islamistes, sur le lien entre immigration, intégration et jihadisme, le programme chariatique de rejet de la vie à l’occidentale, le refus de s’intégrer et les liens et voies de passages entre la petite délinquance et le terrorisme sanglant?
PDV : De la petite délinquance au Djihâd: tel est le cheminement de Salah Abdelslam, comme de tant d'autres. Issu d’une famille maghrébine belge et française intégrée, ce dernier a refusé de s’adapter à une vie normale, préférant une vie sans contrainte d’un petit délinquant, qui a profité des bienfaits de la société occidentale en passant son temps dans les bars et les boîtes de nuit, dans le but de faire des conquêtes féminines. On est loin de la victime de l'exclusion, car ce choix de vie fut réel. C’est plus tard, que Salah Abdelslam, avec son frère Brahim, qui s’est fait exploser lors des attentats du 13 novembre 2015, basculera dans le fondamentalisme islamiste, probablement comme beaucoup dans une logique religieuse d'expiation… C’est à dire après avoir été fanatisé, radicalisé et influencé par une interprétation stricte des textes du Coran, lorsque le prophète Mohamed n’hésitait à utiliser le sabre pour imposer la religion monothéiste aux infidèles et aux mécréant de toute origine. C’est cette vision de la religion qui a été appliquée par Daech et AL-Qaïda en Syrie ou en Irak, dans l’espoir, à l’instar des Talibans, de d'exporter ce modèle de domination universelle de la Charià et du Califat dans le monde entier. Bref, on peut être un délinquant tout en devenant vraiment un islamiste, l'erreur étant de dire que l'un empêche l'autre et que cela n'aurait donc "rien à voir avec l'islam". J'ajoute une autre dimension fort inquiétante et observable partout dans les "banlieues de l'islam" décrites par Kepel: si Salah Abdelslam est considéré comme un dangereux terroriste sanguinaire par beaucoup, il représente un héros pour tant d’autres aussi dans les zones de non droit éparpillées sur tout le territoire national. On le sait parfaitement, mais les autorités politiques dirigeantes feignent de l’ignorer. D’ailleurs, elles jouent gros et cela pourrait leur coûter très cher, si un attentat survenait pendant cette période électorale présidentielle. On peut en effet, protéger de manière drastique le Palais de justice, mais pas tout le territoire français...
Comme, je l’ai déjà dit, le risque zéro n’existe pas, mais le risque est majeur car beaucoup de "territoires perdus de la République française", sont sous l’emprise d’une idéologie religieuse rampante et prolifique qui promet la rédemption à des délinquants et égarés moraux en quête de rédemption…
ADV : Vous pointez donc la responsabilité au moins implicite de nos politiques, par le manque de précautions, de contrôle des frontières ou d’action du renseignement? Aurait-on pu mieux anticiper et combattre la menace islamiste jihadiste?
PDV : La responsabilité des politiques est la grande absente de ce procès. En effet, toutes les informations sur les risques d’attentats étaient connues. Le manque de contrôle de nos frontières a permis à des djihadistes syriens de venir frapper sur notre sol. Des précautions d’usage doivent être prises dès les premières menaces, les premiers signes, tel le contrôle des frontières, déjà évoqué, mais aussi comme le renseignement ainsi que la coopération européenne et internationale. Cela a été une grave erreur de ne pas coopérer avec la Syrie de Bachar El Assad, dont les services de renseignements voulaient transmettre des informations sur des djihadistes qui s’apprêtaient à se rendre en France. L’idéologie politique de la France a prévalu sur le pragmatisme, qui aurait probablement sauvé des vies. Il y a aussi le manque de rigueur des forces de l’ordre et de leur commandement qui ont contrôlé Salah Abdelslam, lorsqu'il passait la frontière franco-belge, ainsi que ces comparses venus l’exfiltrer, trois fois après l’attentat et qui l’ont laissé repartir en Belgique sans être davantage inquiété. Eux-mêmes en étaient étonnés…
ADV : Y voyez-vous une duplicité ou plutôt une mollesse ou un manque d'anticipation de nos dirigeants politiques, qui auraient dilué notre défense par des interventions militaires extérieures contre-productives?
PDV : Je déplore en fait une duplicité de nos dirigeants politiques vis-à-vis des partis et forces islamistes, comme ce fut le cas avec le parti islamiste tunisien Ennahda par exemple pendant des années. Je rappelle que cet été, le président tunisien Kaïs Saïed, courageux constitutionnaliste peu suspect d'autoritarisme, et conscient du lien réel entre jihadisme et islamisme politique, a décidé de s’en prendre à ce parti Ennahda le 25 juillet dernier, en se référant à la Constitution tunisienne qui l'autorise à rétablir l'ordre et à limiter momentanément l'action de groupes parlementaires subversifs en cas d'impératif de préservation de l'intérêt national. Il n’a hélas pas du tout été soutenu d’emblée par la France qui a tardé à donner un avis d'ailleurs très feutré. Aujourd’hui, l’action du président tunisien est d'ailleurs freinée sans surprise par deux parrains des Frères musulmans que sont la Turquie d'Erdogan et le Qatar (également parrain des Talibans...), qui pèsent de tout leur poids pour protéger leurs alliés mis en difficulté.
Plus précisément, je rappelle que le juge d’instruction Béchir Akrémi, qui avait instruit le procès de l’attentat du Bardo et qui avait relâché six présumés complices de l’attentat au motif de tortures jamais avérées, est aujourd’hui suspendu, soumis à une enquête pénale et mis en résidence surveillée pour des liens supposés avec les terroristes islamistes. Cela a été enclenché par l’association Iwatch tunisienne représentant les ayants droits de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, deux opposants politiques progressistes, assassinés par les islamistes. Là aussi, silence totale des autorités politiques françaises. On sait, mais on ne dit rien… On ne veut pas d’histoires... Ces quatre victimes françaises ainsi que les six blessés graves ne bénéficieront jamais de la vérité, doublements sacrifiées sur l’autel de la raison d’Etat… Même faiblesse avec la coopération entre la Tunisie et la France en matière de terrorisme. Il y a bien eu une filière tunisienne pour les attentats terroristes en France. L’attentat du 14 juillet 2016 et de celui de l’attentat de la basilique Notre-Dame de Nice du 29 octobre 2020.
Là aussi, comme pour la Syrie, les événement et les conclusions des enquêtes nationales et internationales ont prouvé qu'une plus grande coopération entre pays aurait pu éviter le pire: Pour le Bataclan, si le gouvernement bêtement moraliste de François Hollande avait pris au sérieux et exploité la liste détaillée de très nombreux terroristes francophones remis par les services syriens aux nôtres, on aurait pu les éliminer sur place en grand nombre et éviter le drame du 13 novembre. De même, pour la Tunisie, si les autorités françaises n'avaient pas été si complaisantes avec les Frères musulmans d'Ennahda qui ont souvent protégé et exonéré des jihadistes, et si nous avions écouté les avertissements des services secrets et de l'armée tunisienne ainsi que les opposants laïques qui nous assuraient que l'immigration légale ou illégale tunisienne venue du centre et du sud de la Tunisie était gangrênée par l'islamisme et le jihadisme, comme on le voit dans le fief niçois de l'immigration tunisienne, on aurait pu d'autant plus éviter les deux terribles attentats de Nice ainsi que celui de Rambouillet, tous commis par des Tunisiens radicalisés dont deux illégaux que nos autorités auraient dû pister et expulser depuis longtemps s'il y avait un vrai contrôle de l'immigration. L'incurie de nos dirigeants occidentaux face au jihadisme et à l'islam politique, et leur irresponsabilité visant à promouvoir une "pax islamica" avec les Frères musulmans, Erdogan, Ennahda, le Qatar, pour éviter les foudres du jihadisme (lui-même issu de la même matrice que l'islam politique choyé par nous), est proprement sidérante. Ce procès devrait être fait, dans le cadre d'un grand Tribunal de Nuremberg de l'islamisme totalitaire et de ses complices et collaborateurs conscients (islamogauchistes) et inconscients (dirigeants irresponsables immigrationnistes, amis du Qatar, adeptes du politiquement correct et multiculturalistes à la Trudeau...). Comme disait Winston Churchill: « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous aurez le déshonneur et vous aurez la guerre… »
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