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Petite histoire du terme islamophobie et de son utilisation à des fins politiques

Dans la continuité de l'entretien réalisé la semaine dernière avec Ivan Rioufol, Alexandre Del Valle propose aujourd'hui aux lecteurs d'Atlantico une brève histoire d'un terme largement conspué et dévoyé : l'islamophobie.

https://www.youtube.com/watch?v=M4bDLp4BDWU

L’expression « islamophobie » remonte à l’anthropologie coloniale française, au début du XXe siècle. Si on trouve en effet quelques traces du mot islamophobie dès les années 1920, sa définition actuelle, qui condamne la critique rationnelle de l’islam et le droit au blasphème, est nouvelle. D’abord confinée aux cénacles universitaires, elle a été récupérée peu à peu dans années 1990 puis lancée dans le cadre d’une campagne de mise à l’index, lors de l’affaire Salman Rushdie, l’auteur des Versets sataniques, tout d’abord par les milieux islamistes indo-pakistanais radicaux de Grande-Bretagne et du Pakistan, puis de façon plus théâtrale et menaçante, par la République islamique d’Iran et la fameuse fatwa de l’Ayatollah Khomeiny (voir chapitre III et IV) qui condamna à mort Rushdie pour « apostasie ».



Nous verrons plus loin que cette fatwa fit mouche auprès de nombreuses organisations islamistes de Grande Bretagne ayant pignon sur rue.


Loin de déclencher une vaste réaction laïque et de mise à l’index des pôles de l’islamisme subversifs qui sapent les valeurs de liberté d’expression en Grande-Bretagne, les menaces de mort contre Rushdie par des groupes jihadistes ou des Etats et institutions islamistes mondiales et britanniques déclenchèrent un vaste mouvement de chasse aux sorcières islamiquement correct. La violence islamiste et la stratégie de l’intimidation battit son plein. C’est dans ce contexte qu’en 1997, le très influent think tank antiraciste britannique, le Runnymede Trust , alerta le public et initia une campagne visant apostropher les gouvernements et les médias quant à toute forme de « sentiments anti-islamiques », qui « doit être combattue avec urgence ». Sous le titre “ Islamophobia - a Challenge for us ”, le Runnymede Trust publia en octobre, un rapport annuel alertant l’opinion publique britannique du « danger » de voir l’Angleterre se transformer progressivement en une “ nation de gens qui détestent les Musulmans ” . Le principal argument du rapport consistait non pas à prouver que les Anglais “ de souche ” détestaient l’islam en tant que tel, mais que « les Musulmans sont systématiquement, brimés, caricaturés », en étant « assimilés aux fondamentalistes et aux terroristes musulmans ». Le document tentait de démontrer que l’islamophobie commence dès qu’on associe les termes d’islamisme et de terrorisme, les Islamistes y compris les plus fondamentalistes n’étant pas forcément terroristes et les terroristes n’étant pas forcément Musulmans. Aussi, derrière cette lapalissade, et au nom d’une légitime vigilance contre le racisme que tout le monde approuve, ce sont en fait les critiques tout aussi légitimement formulables à l’endroit des islamistes qui en sont venues à être assimilées à une forme de racisme. Présentée comme un « fléau inhérent à l’intolérance occidentale » ancrée depuis des siècles, « l’islamophobie », se décline, selon le Runnymede Trust, en plusieurs points qui méritent d’être mentionnées :


- « affirmer que l’islam est une culture fondamentalement différente de la civilisation occidentale et fixiste »,

- dire que « l’Islam est violent », menaçant, enclin au terrorisme,

- que « les Musulmans sont manipulateurs, qu’ils utilisent leur foi à des fins politiques ou militaires »,

- faire en sorte que les « critiques musulmanes à l’encontre de l’Occident soient automatiquement rejetées »,

- lorsque « l’hostilité envers l’islam est utilisée pour justifier le racisme et les préjugés anti-immigrés ».


Les concepteurs du rapport assimilent à de « l’islamophobie » le seul fait de dénoncer les formes islamiques d’intolérance - supposées d’emblée inexistantes. Et alors que la civilisation musulmane est « bonne » et « tolérante par nature », les victimes a priori que sont les musulmans sont appelés à fustiger « l’intolérance occidentale ». De même, le fait d’affirmer que les civilisations occidentale et musulmane sont profondément différentes au regard des valeurs fondamementales constituerait une « preuve de racisme ».


Masquant à peine les motifs liberticides qui les animent derrière un légitime droit à la liberté de culte dévoyé, les auteurs du rapport, soutenus par les grands pôles de l’islamisme radical anglais (Parlement Musulman de Grande Bretagne, UKACIA, Muslim Council of Great Britain, MCB), réclament en conséquence « un changement radical dans les attitudes de la part des media, des hommes politiques et des leaders de communautés afin d’aider à lutter contre la discrimination, le harcèlement et la violence à l’encontre des Musulmans britanniques » . C’est ainsi que, dans le but de lutter contre le “ racisme institutionnel ” et d’imposer la “ paix sociale ”, un plan de la police britannique intitulé “ Protect and Respect ”, adopté en avril 2001, prévoyait que les policières musulmanes pouvaient désormais porter le tchador ou le hijab, avec un damier noir et blanc, signe de l’uniforme des forces de l’ordre ; que des salles de prière et des cantines hallal allaient être installées à Scotland Yard ; et que 25 % des gardiens de la paix doivent obligatoirement être issus de l’immigration d’ici 2009. Comme on le voit, le terrorisme des années 1990 et les fatwas de mort contre Salman Rushdie qui sidérèrent la Grande Bretagne ont débouché sur plus d’islamisation et de concessions envers les pôles islamo-obscurantistes et communautaristes.


D’après l’écrivain musulman laïc Amir Taheri, « l’islamophobie » dont seraient victimes les Musulmans de Grande Bretagne serait en fait une fable : « la Grande-Bretagne et une poignée d’autres démocraties occidentales sont les seuls endroits sur terre où les musulmans de quelque tendance que ce soit peuvent pratiquer leur foi en toute liberté. Un gros annuaire des institutions musulmanes en Grande-Bretagne contient la liste de plus de 300 sectes différentes, dont la plupart sont interdites et persécutées dans tous les pays musulmans de la terre. En Grande-Bretagne, toutes les mosquées sont autorisées ; aucun auteur ou philosophe n’est interdit. Plus important, les sectes musulmanes ne se massacrent pas entre elles, comme c’est le cas dans une demi-douzaine de pays à majorité musulmane » . A Londres, où est basée l’antenne européenne d’Al-Jazira, des militants pro-Hamas et pro-Hezbollah participent à des programmes de la Télévision britannique presque chaque soir. Analysant les complaisances de l’ex-maire gauchiste de Londres (Ken Livingstone), grand soutien des Frères musulmans et à Qardaoui (voir chapitre V et VI), Taheri lui reproche d’avoir « exonéré les terroristes de toute responsabilité en l’imputant au peuple anglais », frappé d’« islamophobie, et aux Alliés américains, spécialement au président Bush, qui aurait déclaré la guerre aux Musulmans».


La définition du Runnymede Trust - qui exonère en passant l’islam de toute critique et de toute nécessité de réforme - va peu à peu s’imposer au sein des instances internationales onusiennes, européennes et même américaines (lois anti-islamophobes du Canada et restrictions de langage aux Etats-Unis). Certes, il est vrai que, conformément à l’ordre juridique de la plupart des Etats occidentaux, l’islamophobie n’est pas une catégorie légale établie et pénalisable, puisque l’expression d’opinions négatives ou rationnelles sur une religion n’est pas répréhensible. Dans la République française par exemple, la critique des religions, même moqueuse ou « blasphématoire », constitue un droit. De la même manière, le droit français, italien, belge, espagnol, etc « ne met pas sur un même plan la critique légitime de l’islam (qui vise un système de croyance) et la persécution de musulmans en tant que personnes croyantes ou non, qui elle, est condamnable moralement et juridiquement puisqu’elle vise des individus dans leurs personnes et non des idées. Or c’est précisément cette distinction que les promoteurs du concept d’islamophobie voudraient abolir, explique le professeur Felice Dassetto . L’idée qui va s’imposer est donc que l’islamophobie n’est pas simplement le fait de dénoncer une idéologie religieuse, mais un groupe, souvent issu de l’immigration et non-européen, donc une forme de racisme, notion qui, elle, est punissable dans l’ordre juridique, d’où la tentative des lobbies islamiques de faire admettre l’équivalence avec la judéophobie, qui elle est une forme de racisme puisque le terme juif désigne à la fois les croyants-pratiquants du judaïsme mais aussi le peuple juif-hébreu au sens ethno-national et linguistique. C’est d’ailleurs pour cette raison que la critique des textes sacrés juifs n’a jamais été visée par les lois pénalisant l’antisémitisme.


Comme on l’a vu plus haut avec les propos de Barack Obama qui, dans son célèbre discours du Caire de 2009, avait cité les restrictions au port du voile comme cas d’islamophobie, la stratégie des lobbies islamistes en Occident consiste à faire accepter des doléances obscurantistes (comme le port du voile islamique, la non-mixité, la pénalisation du blasphème), en les présentant comme des droits essentiels dont le refus équivaudrait à du racisme. En Belgique, par exemple, le président du Collectif contre l’Islamophobie en Belgique (CCIB, ex-Muslims Rights Belgium), raconte comme si cela était le fruit de persécutions : « je voyais des femmes ôter leur foulard (…) pour entrer comme professeur, (…) comme employée dans une administration. (…) Nos sœurs sont les principales victimes de cette islamophobie ». Pour le sociologue des religions Felice Dassetto « le thème de l’islamophobie est devenu une évidence, une clé de lecture diffuse au sein du monde musulman. Tout questionnement est lu comme expression d’islamophobie. (…) L’argument de l’islamophobie est devenu un leitmotiv, (…), une clé de lecture que l’on enseigne à la jeunesse musulmane, ce qui ne l’aide pas vraiment à s’insérer dans la société ». Dans son dernier essai, Lettre ouverte aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, le caricaturiste de Charlie Hebdo, Charb dénonçait le terme même d’« islamophobie », selon lui lié à un communautarisme dangereux pour l’État et l’individu : « Lutter contre le racisme, c’est lutter contre tous les racismes, lutter contre l’islamophobie c’est lutter contre quoi ? (…) Pendant que nous débattons pour savoir si dire que le Coran est un bouquin nul constitue une forme de racisme ou non, les racistes se marrent (…), avoir peur de l’islam est sans doute crétin, absurde, et plein d’autres choses encore, mais ce n’est pas un délit » . Le politologue chrétien René Rémond avait parfaitement résumé le problème par cette phrase révélatrice : « L’anticléricalisme est le moyen, la laïcité le but » .


Le terme islamophobie sert en fin de compte à présenter les musulmans comme des victimes d’une hostilité principielle de l’autochtone non-musulman diabolisé. Il sert de prétexte pour contraindre d’accepter une conception offensive, ultra-orthodoxe et non moderne de l’islam dans sa dimension suprémaciste. Un manuel en islamophobie (salué entre autres par le journal Le Monde , et co-écrit par le radical président du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), explique ainsi que : « l’hostilité à l’encontre des musulmans se traduit presque quotidiennement par des discours stigmatisant, des pratiques discriminatoires ou des agressions physiques… ». Il existerait ainsi en France une tendance sociétale et étatique en faveur « de mesures législatives d’exception ou de pratiques discriminatoires à l’encontre des musulmans », « un régime juridique dérogatoire de droit commun » ... Le choix de pareils termes fait non seulement écho aux lois antisémites du régime de Vichy, mais il renverse les responsabilités puisque tout le problème posé aujourd’hui en France par l’islamisme est justement le fait que les organisations dites représentatives de l’islam liées aux pôles fondamentalistes mondiaux refusent l’intégration des musulmans en Occident et exigent pour eux des immunités territoriales, de dérogations au droit commun.


Dans le manuel précité, l’extrême-droite raciste et les partis populistes « islamophobes » ne sont pas désignés comme les seuls acteurs de la haine envers les musulmans et l’islam. Cette haine proviendrait surtout d’un « consensus national » des instances dirigeantes comme des masses qui auraient « inventé un problème musulman ». Dans un langage bourdieusien cher à l’extrême-gauche tiersmondiste, cette islamophobie constituerait une « violence symbolique » exercée par les élites françaises. Dans ce même ouvrage, la laïcité républicaine est désignée en elle-même comme source majeure d’islamophobie : « Les écoles publiques, où l’on interdit aux jeunes filles de porter un signe religieux « ostensible » (hijab ou bandeau assorti d’une jupe longue) […] où on oblige des enfants musulmans à manger de la viande non halal à la cantine… ». Les cantines des écoles publiques, où l’on « oblige des enfants musulmans à manger de la viande non halal », sont présentées comme des « lieux de persécution des musulmans », ce qui paraît exagéré pour un esprit rationnel mais qui est en fait une logique subversive visant à répandre une paranoïa musulmane à des fins de sécessionnisme.


Pourtant, d’après le rapport 2016 du Défenseur des droits, concernant les discriminations, le critère des religions ne représente que 3,7% du total des réclamations . 5203 pour 2016, avec pour critères premiers l’origine et le handicap, autour de 20%. 1500 plaintes par an pour le motif de discriminations religieuses. De son côté, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, a affirmé, dans son rapport de 2015 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, qu’en dépit les attentats qui ont frappé la France depuis les attentats de Charlie Hebdo de 2015, et bien qu’elle reconnaisse l’existence d’une islamophobie, la tolérance a continué à globalement progresser en France . Un constat également fait par Hakim El Karoui, auteur d’un ouvrage sur l’islam en France ainsi que du rapport précité de l’Institut Montaigne.



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