Les conséquences en cascade que pourrait avoir le coup d’Etat au Mali
Quatre jours après le coup d'Etat au Mali qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, toujours aux mains des militaires putschistes, l'incertitude demeure pour l'avenir du pays. Alexandre del Valle décrypte les conséquences pour la région, pour l'avenir du Mali et pour la présence militaire française.
Atlantico.fr : Qui est à l’origine du coup d’état qui s’est déroulé au Mali ?
Alexandre del Valle : Dans l'état actuel des choses, il y a beaucoup de questions, peu de certitudes, mais ce que l’on sait est que :
1/ la population ivoirienne est majoritairement favorable au départ du président déchu Ibrahim Boubacar Keita (IBK),
2/ que les Etats voisins du G5 Sahel et de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) pensent le contraire et voudraient vainement rétablir IBK dans ses fonctions, ce qui semble irréaliste puisque les islamistes radicaux, la population et l’opposition classique et l’armée sont contre.
3/ Rappelons que le 5 juin dernier, plusieurs milliers de manifestants étaient descendus dans les rues pour exiger le départ d’IBK, jugé non seulement corrompu, mais incapable de faire face et à la gravissime crise économique et à la fracturation entamée du pays, et aux questions de rivalités intertribales et islamiste et a fortiori la menace jihadiste grandissante.
Précisons que c’est en réalité toute l’Afrique de l’Ouest qui est traversée par une vague de déstabilisatiion et de discrédit des dirigeants en place: la Côte d’Ivoire où la population manifeste contre un troisième mandat de trop (et anticonstitutionnel) de Ouatara, le Niger, récemment frappé par des attentats terroristes anti-francais mais régulièrement tournés contre l’Etat et l’Armée, comme au Burkina Fasso, ou encore la Guinée, où Alpha Condé se dirige lui aussi vers un troisième mandat (de trop?) controversé mais que l’on voit mal être empêché par les oppositions externes et internes. Pour revenir au récent coup d’Etat militaire, ce que nous savons, d’après nos correspondants du Multipolar World institute, notamment Drissi Kananbaye, c’est qu’il est composé d’’ennemis du président mais aussi d'anciens proches du président déchu, ce qui rappelle les révolutions arabes lorsque des militaires en Egypte notamment déposèrent leur ancien chef-Rais Hosni Moubarak pour répondre au ras-le-bol populaire et sauver un système à défaut d’un homme. On sait que le Général Fanta Madi Dembélé, qui pourrait être le cerveau du coup d'Etat, est le gendre de Madame Sy Kadiatou Sow, membre du M5 et militante du Mouvement Démocratique. Le Colonel Goita était celui qui coordonnait les navettes du président IBK entre Koulouba et Sèbénikoro. Très proche de la famille présidentielle. Le Colonel Malick Diaw est un petit de teacher Amadou Aya Sanogo, l’homme qui prit la tête du coup d'État du 22 mars 2012 fomenté contre le président Amadou Toumani Touré.
Quant au colonel Modibo Koné, très décrié dans la gestion de la crise au centre, il était basé à Koro puis à Sévaré. Le Commandant Alpha Yaya Sangaré, soupçonné d'avoir coordonné les opérations de la Forsat lors de la marche du 10 juillet, est par contre «l 'ex" de Maimouna Atch, la deuxième épouse de Karim Kéita et ami de Momo Bagayogo ( homme de main de Karim Keïta) et fils du Général Tiékoro Bagayogo. On le sait très proche du Gal Diawara de la SE. Son père est un général de police à la retraite. Enfin le Colonel-major Wagué pourrait également être impliqué.
Quelles conséquences ce coup d’état pourrait-il avoir sur l’Europe ?
Si le nouveau régime qui va être mis en place au Mali n’adopte pas une position clairement anti-islamiste, l’Europe et en particulier la France, pourraient se retrouver exposées à une vraie menace.
Pour l’instant, dans le chaos de la situation malienne, seules les suppositions sont permises. Pour autant, on peut définir que le principal danger pour les Européens vient du front islamiste ( non djihadiste ) mené par l'imam Mahmoud Dicko : durant la récente crise, cette figure de l opposition islamiste anti occidentale et anti française formée au salafisme saoudien s était entretenu avec les cinq chefs d'Etat d'Afrique de l'Ouest venus à Bamako pour appuyer les efforts de la médiation de la Cedeao. A la tête d'une coalition hétéroclite qui mène le plus important mouvement de contestation anti-pouvoir qu'ait connu le Mali depuis le coup d'Etat de 2012, Dicko a semblé vouloir préparer une prise de pouvoir en menant les manifestations de masse anti régime et en exigeant le départ du président déchu .
Précisons que Dicko avait été un soutien du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), et qu’il est devenu, depuis la guerre civile malienne, sa bête noire. Le coup d’Etat est arrivé après que les présidents africains n'ont pas réussi à faire accepter leur plan de sortie de crise – qui ne prévoyait pas le départ d’IBK, pourtant exigé par l’opposition.
Si aux prochaines élections le Mali passe aux mains des islamistes radicaux menés par Mahmoud Dicko, qui n’est pas sans entretenir des contacts extrêmement positifs avec les djihadistes, ce serait une menace extrêmement grave pour les troupes françaises sur place ( plus de 5000 soldats ) mais aussi pour le continent européen tout entier.
Quels avantages la Turquie pourrait-elle tirer de l’instauration d’un régime islamiste au Mali ?
Pour Erdogan, il s’agit d’une opportunité remarquable d’étendre son influence en Afrique de l’Ouest. Après avoir rallié la Mauritanie à sa cause ( régime associé aux Frères Musulmans ), le Mali pourrait bien être la prochaine étape. Les Turcs s’implantent déjà au Mali en utilisant des réseaux de formation religieuse et scolaire. Bien que leurs investissements dans le pays soient inférieurs à ceux des Saoudiens depuis une dizaine d’années, leur présence commence à être visible. Dans l’ensemble de l’Afrique musulmane, les Turcs tentent de jouer la carte de l’alternative au « colonisateur européen » en tant que prétendant au « leadership" du monde musulman.
D’un point de vue occidental, voir la Turquie étendre son influence partout en Afrique, approfondir ses relations avec les mouvances islamistes anti-européennes et anti-françaises, et même parfois avec des forces djihadistes comme on le voit en Libye ou en Somalie, notamment, où les constructions de bases militaires turques accompagnent l’installation des « proxys » jihadistes venus de Syrie ou d’ailleurs, ne peut être qu’une mauvaise nouvelle. De ce point de vue, l’indifférence de l’UE à ce qu’il se passe dans cette région du monde, en y laissant seule la France, face aux jihadistes dans la Zone G5 et face à l’agressivité turque néo-impériale en Méditerranée et en Libye, est une erreur fondamentale que l’ensemble de l’Europe (qui a abandonné les Africains, les Chypriotes et la Grèce face aux islamises et à Erdogan), paiera très cher dans un avenir proche.
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