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Le Vénézuéla de Maduro et ses alliés du monde multipolaire

Nicolas Maduro rempile pour un second mandat à la présidence du Venezuela malgré le fait que treize pays aient appelé à ce qu’il cède le pouvoir à l’Assemblée Nationale.

Alors que le Venezuela continue sa descente aux enfers entre dictature et exode de millions de vénézuéliens, comment comprendre l’appui donné par Moscou au régime de Maduro ? Le monde multipolaire est celui où les intérêts priment sur la morale, et nul ne l’a jamais mieux compris que Vladimir Poutine. Puisque le paradigme ne peut plus être la division gentils/méchants, il faut savoir prendre ses appuis là où ils se trouvent. L’Occident – qui voile son cynisme sous une pseudo-volonté de bienfaisance, est tout aussi cynique mais persiste à mal identifier ses vrais ennemis, avec pour résultat d’avoir poussé la Russie dans les bras d’antioccidentaux confirmés. Il est temps que l’Occident revoie sa stratégie et ses alliances.


L’Etat corrompu et failli du Venezuela commence l’année 2019 avec un second mandat pour Nicolas Maduro, héritier choisi d’Hugo Chavez, et qui, en bon dictateur socialiste, accumule décisions désastreuses pour l’économie du pays et répression brutale de ses citoyens. La production de pétrole du pays – pratiquement son seul revenu puisque le Venezuela en dépend à 95%, est au plus bas. Les installations délaissées pendant des décennies nécessiteraient un investissement de plusieurs milliards par an. Or voici que Caracas a passé un contrat avec Moscou pour 5 milliards de dollars, destiné à relancer la production jusqu’à 1 millions de barils par jour, et envisage – toujours avec Moscou – de construire la plus grande fabrique de kalashnikov hors Europe centrale. Ce dernier projet, qui date de 2006, a cependant soulevé la perplexité de nombre d’observateurs quant à sa faisabilité. Il est clair que l’investissement russe vient à un moment crucial : le Venezuela a déjà fait défaut plusieurs fois à ses créditeurs et l’hyperinflation est d’une ampleur sans précédent.


En réalité, l’appui russe n’est pas une nouveauté. En 2008 déjà, Moscou avait déjà prêté 1 milliards de dollars pour la production d’armes, et encore 2 milliards l’année suivante. Caracas ne respectant pas ses promesses, la Russie s’était alors tournée vers les gisements pétroliers du pays. Outre les 5 milliards de dollars mentionnés, Moscou compte également exporter 600 000 tonnes de blé rien que pour 2019, investir 1 milliard dans les mines (le Venezuela étant un grand exportateur d’or notamment) et soutenir Caracas dans ses plans de modernisation de l’armée. Pour la grande Russie, quel est donc l’intérêt de ce petit Etat de moins de 30 millions d’habitants qui sert de repoussoir au président brésilien Jair Bolsonaro et attire les foudres américaines, le Venezuela faisant partie, selon John R. Bolton, de la Troïka de la Tyrannie avec Cuba et Nicaragua.


Faire front contre les sanctions américaines et de l’UE

Le Venezuela fait l’objet de plusieurs sanctions tant de la part des Etats-Unis que de l’Union Européenne. C’est là sans aucun doute un point commun avec la Russie, l’Iran, la Corée du Nord ou la Turquie. En s’alliant – économiquement du moins, voire militairement – ces Etats peuvent contrecarrer ou amoindrir l’impact des sanctions qui prennent souvent la forme d’embargos. Ce n’est pas un fait nouveau, et d’ailleurs les pays d’Europe centrale (Hongrie de Viktor Orban, Pologne de Duda) sont souvent montrés du doigt pour contrer par exemple les ruptures de subsides (notamment en faisant des accords commerciaux avec la Chine).


Si l’on peut comprendre la frustration américaine et de l’Union européenne à voir leurs mesures punitives, qui en principe doivent permettre de remettre les trublions sur la bonne voie, être ainsi mises en échec, il faut également s’interroger sur la pertinence de telles sanctions sur le plan stratégique. Economiquement, la Russie a été durement frappée depuis 2014 par les sanctions de l’Union Européenne, d’ailleurs reconduites pour la huitième fois à la mi-décembre 2018, en réponse à ses incursions militaires en Ukraine. Ce qui ressemble à un mauvais coup de la part de Moscou est en fait surtout beaucoup de mauvaise fois de la part de l’Europe, puisqu’il avait été promis que l’Ukraine demeurerait la « ligne rouge » à ne pas franchir : l’OTAN pouvait s’étendre à l’Europe centrale, mais devait laisser « l’étranger proche » de la Russie en dehors. En 2014, cette promesse est trahie lorsque les Occidentaux font miroiter à l’Ukraine une adhésion future à l’UE et à l’Alliance.


Avec une base militaire en Crimée, la Russie - menacée par l’encerclement - s’empresse de sauver son accès aux mers chaudes. Or le Venezuela (l’une des sources d’approvisionnement énergétique des Etats-Unis) est un peu à l’Amérique ce que l’Ukraine est à la Russie : son « étranger proche ». C’est une façon pour Moscou de se rappeler au bon souvenir des Américains, tout en consolidant ses amitiés avec des nations plus critiques envers les Etats-Unis, or le « bolivarisme » est surtout une couveuse de sentiment anti-américain dans la région. En décembre 2018, deux bombardiers russes – surnommés les « cygnes blancs » - pouvant transporter de l’armement nucléaire, ont ainsi fait leur entrée au Venezuela, certes un signe de soutien au régime de Maduro, mais cela a été perçu comme une véritable provocation pour Washington. Un échange d’amabilités avait eu lieu entre les deux pays, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo fulminant qu’on fasse faire la « moitié du tour du monde » à deux bombardiers. Pourtant, l’inverse est aussi vrai quand il s’agit d’encercler la Russie. Lorsque Pompeo a fustigé l’attitude de « deux gouvernements corrompus dilapidant les fonds publics », le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, a répondu qu’il était « inapproprié pour un pays dont la moitié du budget de la défense pourrait nourrir l’Afrique entière de faire de telles déclarations. Moscou, qui ne s’est en effet jamais soumis ni au politiquement correct ni à la dictature moraliste, n’a donc pas manqué de rappeler à ses interlocuteurs que toute morale est secondaire face aux intérêts premiers d’un pays, notant par ailleurs la myriade de bases militaires américaines présentes dans le monde entier.


Moscou et un autre ennemi de l’Occident : l’Iran ?


Les sanctions sont encore le dénominateur commun pour comprendre les relations de Moscou avec Téhéran et Beijing, mais pas seulement. L’Iran – d’ailleurs également un investisseur au Venezuela qui distribue des passeports à des ressortissants iraniens – et la Russie ont des relations compliquées et complexes depuis longtemps. Les points d’accord et de désaccords sont multiples : si dernièrement les deux Etats se sont entendus contre un changement de régime en Syrie, en réalité, Moscou a été extrêmement mesuré dans son soutien au régime des Mollahs, tant sous Ahmadinjad que sous Rohani. Là où l’Occident est prompt à voir une alliance de despotes, il s’agit surtout pour Moscou de protéger ses acquis en Iran contre une possible mainmise par des industries américaines, puis de vendre à Téhéran des armes et des équipements industriels et aéronautique.


Venezuela dans un monde multipolaire : croisement de l’Iran, Turquie et Russie


L’entente pragmatique scellée entre la Russie et la Turquie depuis 2016 sur le conflit syrien, où les deux Etats sont lourdement engagés, au départ chacun dans un camp opposé, a également beaucoup fait couler d’encre. Comme à l’accoutumée, l’étendard moraliste a été brandi par les Occidentaux qui ont dénoncé le cynisme de deux Etats autoritaires liés à deux camps diaboliques (Turquie avec les islamistes et Russie avec le régime d’Assad). Mais les Occidentaux ont eux-mêmes aidé des forces islamistes (non Daech) en Syrie et leur cynisme est encore plus hypocrite quand ils abandonnent d’un coup leurs supplétifs kurdes en Syrie face aux Turcs après les avoir instrumentalisé face à Daech.


Moscou, Ankara et Téhéran sont trois partis intéressés par Caracas, à des échelles différentes. Caracas dépend principalement de Moscou avec les accords astronomiques. Mais Erdogan a également multiplié les accords avec Maduro, le dernier en date atteignant 4,5 milliards de dollars, en plus de l’aide alimentaire et de plans économiques dans plusieurs secteurs. Est-ce à dire que les dictateurs se tiennent tous les coudes ? En partie, oui. Voilà quatre Etats sous le coup de sanctions et dénonciations internationales, qui en outre partagent la même défiance envers « l’impérialisme » américain.


Mais il serait réducteur de n’y voir qu’une alliance « de salauds » - version quadrupède de la « troïka de la tyrannie » de John R. Bolton. Il y a en réalité d’une part une réaction prévisible, compréhensible même, à l’isolement subi par ces Etats avec l’aval des Etats-Unis et de l’Union Européenne, et, d’autre part, le « nouvel ordre mondial », celui où Washington semble prendre peu à peu ses distances avec son rôle de leader et propagateur ultime des « libertés », où les deux blocs de la guerre froide ont depuis longtemps fait place à la multiplicité des intérêts politiques, stratégiques et économiques, où – quoique ce soit à peine en marche – la justification moraliste des alliances et mésalliances commence à se fissurer pour mettre à jour un monde multipolaire caractérisé avant tout par le retour de la Realpolitik et des intérêts souverainistes. C’est dans cette nouvelle donne que l’Occident doit revoir entièrement sa stratégie et repenser sa géopolitique et sa diplomatie. Après les dix années d’incertitudes post-guerre froide, rappelons que les Occidentaux ont donné à la Turquie néo-islamiste-ottomane candidate à l’intégration dans l’UE dans les années 2000 tous les moyens d’un chantage honteux sur le dos des migrants alors qu’il était clair dès l’arrivée d’Erdogan au pouvoir que l’héritage kémaliste n’était plus qu’un souvenir.


A partir du même milieu des années 2000, l’Occident triomphant se croyant éternellement unipolaire et méprisant la Russie post-soviétique, a tout fait non seulement pour pousser Moscou dans les bras de la Chine entre autres, mais pour de carrément provoquer la Russie, ce qui explique que le « Poutine 1 » qui s’entendait avec Bush fils et qui voulait intégrer les institutions occidentales entre 1999 et 2003, est devenu un opposant à l’Occident après les funestes « révolutions de couleur » en Ukraine et en Géorgie puis après la terrible guerre d’Irak qui a abouti, comme jadis en ex-Yougoslavie et plus tard en Libye, à détruire des régimes nationalistes pro-russes au profit du chaos géopolitique. Alors que le Russian bashing bat son plein – de façon quasi ininterrompue depuis des décennies – force est de constater que Moscou se montre plutôt mesuré, voire impavide, dans sa réaction face à cette adversité. En réalité, si l’on peut condamner idéologiquement et moralement le régime « socialiste-bolivariste » vénézuélien tout comme le régime islamo-totalitaire des Mollahs en Iran, deux alliés de Moscou (on peut même ajouter la Chine et la Corée du Nord), il serait réducteur réduire la Russie à un pur ennemi de l’Occident allié à tous ses ennemis : les alliances de Moscou sont en réalité un modèle de pragmatisme géopolitique et de pluralité, car ce même Etat allié de pays communistes ou ex-soviétiques, est aussi très lié à l’Etat d’Israël, à l’Inde jadis non-alignée sans oublier la Turquie membre de l’Alliance atlantique.


Et si l’Occident avait accepté la main tendue par Moscou dans les années 1990-2000, la Russie serait probablement aujourd’hui un grand allié stratégique et économique de l’Union européenne. Mais c’est afin de conjurer ce cauchemar pour les forces atlantistes que les stratèges américains ont tout fait, depuis ces mêmes années charnières, pour braquer les Russes, les faire quitter le navire occidental. Divide et impera…

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