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Le Traité franco-allemand ou la stratégie de diabolisation des Européistes contre « europhobes »

Un nouveau traité franco-allemand vient d’être signé. Dénoncé par les uns comme bradant la souveraineté française, loué par les autres qui accusent « l’extrême-droite » de relayer des fake news, l’accord est pour le moins controversé. Que l’on soit « européiste » convaincu ou « souverainiste » jusqu’au bout des ongles, il est vrai que le document a de quoi rendre perplexe. Le sentiment de défiance à l’égard des « gens du haut », incarné par les infatigables Gilets jaunes, ne risque pas de s’apaiser devant ce qui ressemble à un autre accord signé « dans le dos » des citoyens comme celui de Marrakech. Quel est donc ce document, que recouvre-t-il ? S’il ne s’agit pas d’annexer l’Alsace comme on a pu le voir sur les réseaux sociaux, il s’agit en tous cas de plus d’Europe. Beaucoup plus. Alexandre del Valle analyse ici les principaux aspects problématiques du traité et la façon sont les récalcitrants sont systématiquement diabolisés via la reductio ad hitlerum.




Selon les termes mêmes de l’accord, il s’agirait de renforcer la collaboration franco-allemande dans « les domaines de la politique économique ; de la politique étrangère; de la sécurité ; de l’éducation et de la culture ; de la recherche et de la technologie ; du climat et de l’environnement ainsi qu’en matière de coopération entre les régions frontalières et entre les sociétés civiles ». la première question qui se pose est la suivante : est-on en face d’un projet ambitieux ou d’un déballage de belles paroles ?


Lorsqu’il s’agit d’une « Europe plus souveraine, unie et démocratique », on se demande ce qu’est cette souveraineté d’une Europe dont on ne comprend pas bien si elle recouvre l’Union européenne, une zone géographique, une idée vague, souvent illusoire, s’il s’agit d’une Europe unitaire au plan géocivilisationnel dont pourtant nombre de dirigeants – Merkel et Macron y compris –ont refusé de la démarquer par exemple de l’islam. D’autre part, collaboration n’est pas convergence, or c’est de cette dernière dont il s’agit : faire « converger leurs économies et leurs modèles sociaux, favoriser la diversité culturelle et rapprocher leurs sociétés et leurs citoyens ».


Est-ce là un énième appel à la diversité – après Marrakech, qui établissait a priori « l’apport positif » des allochtones et les tendances agressives des autochtones ? On est en droit de se poser la question, d’autant que l’on ne voit pas ce que convergence et diversité culturelle peuvent faire ensemble. On peut remarquer par ailleurs que s'agissant de la culture française, il n'a jamais été question de demander à qui que ce soit - pas même aux "nouveaux venus" de faire "converger" leur culture avec celle de la nation. Ce sont là des paradigmes complètement différents, et si l’esprit de collaboration, d’amitié, de « convergence », préside à ce traité d'Aix-la-Chapelle, en pratique il s'agit de mettre en oeuvre des principes d'organisation de la société qui s'opposent (Convergence et diversité culturelle, collaboration et "instauration" d'une culture, etc).


En fait, ce sont les menues oppositions et les termes ambigus de ce type qui posent question. Lorsqu’il s’agit de coopération militaire en vue « d’instaurer une culture commune », on se demande ce que sont devenus les doux termes d’amitiés et de collaboration pour qu’on « instaure » une « culture », comme on le fait d’un régime politique ou de l’état d’urgence.


Certes, on aura rappelé à l’envi que ce n’est pas le premier pacte du genre entre Paris et Berlin, le traité de l’Élysée de 1964 entre De Gaulle et Adenauer établissant déjà ce rapport « d’amitié » entre les deux pays. Pourtant, à comparer les deux, force est de constater que le nouveau-né traité d’Aix-la-Chapelle ne semble carrément plus faire cas de la notion même de « nation ». Allemagne et France ne sont plus des nations bien distinctes, avec ce que cela implique en termes de culture, d’identité, d’intérêts, et les voit au contraire tomber au rang d’entités administratives, comme cela est le cas (hélas) des villes. C’est d’ailleurs le sens – il ne faut pas s’y tromper – de l’insistance avec laquelle le traité parle de la « souveraineté » de l’Europe (entendez Union européenne). Or cette souveraineté ne pouvant se définir que par rapport à un tiers extra-européen (les Etats-Unis par exemple), elle implique également un certain rapport à ses éléments internes. En somme, l’Union européenne serait une Supra-nation, dont les citoyens, sans avoir eu leur mot à dire, ont progressivement vocation à être extraits de leurs nations d’appartenance pour accéder au statut (supérieur) de « citoyen de l’Union », de « citoyen européen ». La souveraineté nationale est donc ici soit oblitérée soit diluée dans une souveraineté plus large et de facto puis de jure antinomique qu’est la « souveraineté européenne ».


Le non-dit antinational du projet fédéraliste européen tel qu’il évolue involue depuis les années 1990


Depuis plusieurs années, on constate une polarisation croissante du débat, sur fond de (cosmo)politiquement correct, qui consiste à accorder une fausse liberté de parole à celui qui pense de façon récalcitrante, soit en limitant son expression ou en le faisant taire, soit en le caricaturant ou le plus souvent en le diabolisant. Tout comme la question de l’immigration, de l’islam, du Brexit, le traité d’Aix-la-Chapelle n’échappe pas à ce syndrome. C’est ainsi que Guy Verhofstadt, l’ancien Premier ministre belge, candidat aux Européennes avec pour slogan de « mettre fin aux nationalismes », a assimilé ces jours-ci les voix critiques du traité franco-allemand à des discours d’extrême-droite. Dans le contexte de réactions échauffées sur le traité, Emmanuel Macron a quant à lui évoqué « ceux qui oublient la valeur de la paix et répandent le mensonge », et se rendent ainsi « complice des crimes du passé », ce qui revient en fait carrément à faire passer les eurosceptiques pour des pro-nazis, des nostalgiques ou des complices de la Collaboration. D’autres partisans du traité franco-allemand évoquent les « mouvements nationalistes » à l’intérieur de l’Europe, et qui, par conséquent, la menaceraient à nouveau.


Macron parle ainsi de lutter contre « les ennemis de l’Europe. De la même manière et avec la même pratique du « point Godwin », le discours d’Angela Merkel fait elle aussi régulièrement de multiples références à la seconde Guerre Mondiale, diapason exclusif et indépassable depuis des décennies pour tout débatteur et tout dirigeant européen bien-pensant. En réalité, rien n’indique ou n’atteste, que le fait de voir ce traité d’un œil un peu moins qu’amène soit effectivement une preuve d’extrême-droitisme, bien au contraire, car tous les totalitarismes sont impérialistes et hostiles aux souverainetés des Etats et Nations qu’ils veulent absorber, annexer ou détruire, pacifiquement ou violemment. De ce point de vue, c’est plutôt le projet européen germano-centré et néo-impérial qui devrait alerter les consciences vigilantes et « résistantes » et non la volonté légitime des peuples à ne pas se résoudre à leur dilution annoncée.


A ce titre on remarque que Merkel comme Macron, et d'autres européistes convaincus, ne cessent de faire des allusions à la guerre, à l'ennemi. Or l'ennemi, c'est avant tout le "nationaliste" (en effet le croquemitaine a changé: il suffit d'être nationaliste). La coopération militaire ainsi envisagée fait donc s'interroger sur la véritable cible: est-ce la nationalisme extra-européen qui menace l'Union européenne? Aussi, lorsque le président français affirme vouloir faire de l’Europe « un bouclier pour protéger nos peuples des changements du monde », on se demande ce qu’il a vraiment en tête.


Ceux qui sont pour l’Union européenne, ceux qui sont contre...est-ce vraiment là le clivage ?


Macron et Merkel ont beaucoup eu à dire sur leur « plus d’Europe », et les défenseurs du traité ont fait mine de croire que seuls les anti-européistes extrême-droitards pouvaient y trouver à redire, et ce en répandant des fake news, bien sûr, lesquelles sont inconcevables de la part des « bons », forcément honnêtes, objectifs et ethiques. En réalité, ceux qui tiennent au projet d’une Union européenne rassemblant des Etats pour certains buts communs mais en gardant leur souveraineté, ce qu’était le projet originel de Schuman, De Gasperi, Adenauer, De Gaulle, ne peuvent voir ce traité sans inquiétude.


Alors que Mme Merkel se lamente sur les attaques faites au « multilatéralisme », voilà que la réponse apportée par la chancelière allemande et le président français est un accord bilatéral où Paris et Berlin se constituent en noyau dur de l’Union européenne, certes « ouvert » à tous les autres membres de l’Union. On pourrait préciser un club qui, même « ouvert » à d’autres, reste en réalité la propriété de ses premiers fondateurs « bien orientés », tandis que les « nouveaux » membres, venus de l’Est, en majorité populistes et/ou nationalistes (Hongrie, Pologne, etc), sont niés dans leur vision alternative de l’Europe.


On comprend d’autant moins une telle posture que les Etats « rétifs » se multiplient, avec la nécessité d’apporter des réponses spécifiques à chaque nation. Au moment où l’Union vacille sous l’affront britannique du Brexit, n’y avait-il vraiment pas de meilleure réponse que de créer cette polarité manichéenne qui ne laisse plus aucun espace pour ceux qui, sans être des « exiteurs », ne veulent pas cautionner la dérive fédéralisto-mondialiste et lui préfèrent la voie « réformiste » d’une autre Europe ? Alors qu’on fustige ceux qui s’en vont pour de bon (Brexiteurs) pour n’avoir pas voulu « faire changer de l’intérieur », faut-il vraiment continuer à exclure, diaboliser les Kurtz-Orban-Salvini qui proposent de réformer l’Europe pour la sauver de son auto-dissolution annoncée ? Est-ce intelligent et productif de la part de nos élites vertueusement euro-fédéralistes de laisser entendre qu’en fait d’Union européenne il y aurait surtout un « moteur » franco-allemand, à la rigueur enrobé du Benelux, et que le reste de l’Europe « périphérique » n’aurait qu’à se soumettre ou se démettre ? On se rappelle qu’il y a quelques années, Angela Merkel avait reconnu, dans un élan de lucidité (électorale), l’« d’échec du multiculturalisme », ce qui lui coûta la présidence de son parti. Consciente qu’elle ne pouvait pas plus cautionner les « identitaristes », elle a depuis fait venir des centaines de milliers de « migrants », n’a cessé de nazifier ceux qui ont tiré les conclusions de son propre constat d’échec du multiculturalisme, puis signe maintenant un traité dont son successeur ne connaissait même pas la teneur...


Que pareil traité soit signé entre un président sans appui national et une chancelière sur la voie de la sortie, tout deux en perte de légitimité, en dit long sur la nature « post-démocratique » de l’européisme. Et ce « Pacte franco-allemand » ne fait que renforcer - au sein des peuples attachés à leur souveraineté - le sentiment, vrai ou faux, selon lequel nos dirigeants post-démocratiques œuvreraient à la dissolution progressive des nations, condition sine qua non pour construire la « Nation européenne ». Angela Merkel et Emmanuel Macon, ont ainsi tous deux fait le vœu de développer l’Union dans un sens fédéraliste quoi qu’il advienne, même si les eurosceptiques sont de plus en plus nombreux au sud (Italie, Grèce) et à l’Est (groupe de Visegrad). Les discours ultra-clivants qui dépeignent le nationalisme et même le simple souverainisme comme des « menaces » majeures pour l’Union ne peuvent qu’inquiéter l’européen qui veut encore être citoyen de sa nation avant d’être celui de l’Europe.


Convergence, convergence... substitution, démission


Convergence des modèles économiques et sociaux, « espace culturel et médiatique commun » (décidément les médias ont l’attention des dirigeants, souvenons-non des plans de « sensibilisation » que le pacte de Marrakech prévoyait pour ces « acteurs » de la société)... voilà beaucoup à mettre « en commun » (en plus des capacités militaires), tout cela saupoudré de « diversité culturelle ». Lorsque les deux pays se promettent une vision commune afin que l’Union européenne présente un front uni (notamment aux Nations Unies), force est de constater qu’on va au-delà de la convergence et qu’on est proche de la substituabilité des deux pays.


Or les jeux de passe-passe et de substitution que font Angela Merkel et Emmanuel Macron par ce traité n’effacent pas les différences essentielles. La France détient l’arme nucléaire, pas l’Allemagne. La « collaboration » s’étendra-t-elle jusque-là ? A quel prix ? La France est membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies, pas l’Allemagne. La France va-t-elle renoncer à son siège exclusif pour le partager avec son partenaire ? Faire du désir d’accession de l’Allemagne au statut de membre permanent de l’ONU une « priorité de la collaboration franco-allemande » est non seulement étonnant, mais cela devrait nous inciter à demander quelle sera la contrepartie allemande envers la France. La réponse est peut-être dans l’attention commune que les deux pays portent à l’Afrique, où la France est militairement embourbée... On passe donc de la convergence (déjà discutable) à une quasi-démission de la Nation au profit d’une alliance franco-allemande.


Fake news etc ?


Comme pour le pacte de Marrakech, nombre de chroniqueurs, fact-checkeurs et autres limiers à la recherche du faux se sont attelés à convaincre le public que le traité d’Aix-la-Chapelle est surtout « symbolique » (lui aussi !), qu’il ne présente rien de neuf, et que surtout, il n’y aurait pas tant de questions à se poser à son sujet que ce que l’omniprésente « extrême-droite » ferait croire. Et comme pour le pacte de Marrakech (soi-disant « non-contraignant »), on se demande à quoi servirait de signer un acte dont on nous précise qu’il n’aurait ni valeur, ni impact, ni rien de neuf ?


Or s’il s’agit d’une chose aussi anodine et inoffensive, si les « populistes » auraient « menti » sur ce pacte, comment qu’il ait fallu attendre jusqu’à la dernière minute (quelques jours à peine avant la signature du 22 janvier) pour que l’Élysée publie enfin le document sur son site ? Pourquoi les parlementaires eux-mêmes n’en ont-ils pas été informés ? Pourquoi, dans un contexte de défiance à l’égard de l’Union européenne, et pourtant sous couvert de la « renforcer », n’a-t-il été fait aucun cas des citoyens et des élus ? Tout le problème réside dans le fait que, dans un domaine qui relève de la politique et de la stratégie militaire, Merkel comme Macron aient choisi de fausser le débat en opposant de façon manichéenne populistes versus les européistes, c’est-à-dire selon les indésirables et les acceptables. Ils ont par-là cadenassé plus encore cette Europe à laquelle, paraît-il, tout le monde appartient, mais que nul ne peut toucher, que l’on n’a pas le droit définir d’un point de vue identitaire, et qui a vocation, tel un empire normatif, à s’étendre sans limites de frontières et de cultures, dès lors que l’on en partage la religion des droits de l’homme et que l’on se soumet à ses normes.

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