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Macron est-il ce premier "Président 3.0" qui remettra réellement en cause la Françafrique

Le président français a en effet voulu communiquer un changement radical de perspective


En 2007, à Dakar, Nicolas Sarkozy,avait a déclaré que l'homme africain n'était« pas encore entré dans l'histoire ». Le propos jugé raciste par nombre d’âmes politiquement correctes et d’Africains anti-colonialistes à fleur de peau, déclencha de violentes controverses. Lors du sommet du G20 à Hambourg, début juillet 2017, Emmanuel Macron avait déclaré quant à lui que le défi du continent était « civilisationnel (« les États faillis, les transitions démocratiques complexes, la transition démographique »). Il avait même osé affirmer : « Quand vous avez en Afrique 7 à 8 enfants par femme, si on dépense des milliards d’euros, vous ne changez rien »…

Le propos, jugé « humiliant », avait conforté la perception d’un président « méprisant » ou condescendant envers l’Afrique, et il semblait conforter sa plaisanterie sur les kwassa-kwassa, à propos des migrants des Comores gagnant clandestinement Mayotte.


Dans le même registre, la polémique déclenchée il y a quelques jours par ses propos « choquants » » envers son homologue burkinabé Christian Kaboré, lors d’un jeu de questions-réponses avec une foule d’étudiants africains à Ouagadougou, a une fois de plus puisé dans le registre du victimisme et de l’antiracisme cher à tous ceux qui ne cessent de trouver les moindres prétextes pour rejouer le procès de la France coloniale et esclavagiste. Essayons d’y voir plus clair.

Vexation et indignation face la France : un prétexte pour détourner l’attention des Africains face à l’irresponsabilité et à la mal gouvernance des despotes post-coloniaux qui n’ont rien fait pour leur pays


Une fois de plus, les termes paranoïdes et déresponsabilisant de « racisme », de « haine anti-noirs », de « mépris » et « d’humiliation post-coloniale » sont ressortis. Les médias et les adeptes de la repentance éternelle ne se sont pas privés de puiser dans ce registre vieillot mais toujours omniprésent dans les discours dès que l’on parle du Sud, de l’immigration, ou de l’Afrique. Mais cette vulgate a-t-elle encore un effet auprès des jeunesses africaines qui n’ont pas connu, comme Macron lui-même, le colonialisme ? Cette jeunesse d’Afrique « 3.0 » a en effet surtout souffert de la corruption et du despotisme de ses propres élites issues de la décolonisation, ce que rappelait déjà le géographe français Yves Lacoste dans son livre « Géographie du sous-développement » ou Aimé Césaire lui-même qui parlait des vendeurs vendus à propos des Africains corrompus et despotiques qui ont bradé les intérêts de leurs propres pays au profit de leurs objectifs privés lucratifs masqués par un discours anti-impérialiste et parfois même complotiste de façade qui permet de faire croire que l’ex-colonisateur est responsable de tous les maux des Africains et sans prescription, comme tous les « crimes contre l’Humanité ».


Bien que Macron ait clairement critiqué la Françafrique, dénoncé l’impérialisme, puis encouragé les Africains à prendre en main leur destin et leurs responsabilités afin que les relations entre la France et l’Afrique soient fondées sur un partenariat et non plus une dépendance, ses propos sur la natalité, la responsabilité du président Kaboré, même humoristes et amicaux, ont été jugés une fois de plus « humiliants », inacceptables. En réalité, Macron a surtout choqué les membres africains de la Caste responsable de la pérennité du sous-développement, qui, comme le président burkinabé Christian Kaboré, ont été ainsi mis en face de leurs responsabilités devant leurs propres « sujets », quant à eux appelés indirectement à demander des comptes à leurs « irresponsables » dirigeants...



Un changement radical de perspective ou seulement de ton ?


Seul l’avenir dira si ce ne sont là que de simples « éléments de langage ». Mais toujours est-il que la méthode et le ton ont changé. Lors de son périple en Afrique de l’Ouest, du Burkina Faso - pays de forte de tradition anti-impérialiste - au Ghana anglophone, en passant par l’incontournable Côte d'Ivoire, le président français a en effet voulu communiquer un changement radical de perspective. « Il n'y a plus de politique africaine en France, mais une politique française en Afrique », a-t-il affirmé, pour symboliser sa vision nouvelle de la relation entre la France et l’Afrique, qu’il veut d’ailleurs associer à l’Europe dans son ensemble qui doit s’investir et ne pas laisser à la France (ou même à l’Italie) la gestion des questions sécuritaires et militaires (lutte contre l’immigration clandestine et l’islamisme).


Pour le moment, nul relent de mépris colonial ou paternaliste dans ces propos. Bien au contraire, d’autant que Macron a tenu à préciser que les questions sécuritaires, abordées à Abidjan, ne doivent pas dominer, car l’enjeu majeur de l’Afrique est le développement et donc la formation de la jeunesse et l’entreprenariat.

Pour le Président français, ce changement de perspective visant à rompre notamment avec la Françafrique du passé (fondée sur des rentes et des arrangements qui compromettent un développement véritable) serait en partie permis par son jeune âge, lui qui n’a « connu qu’une Afrique non colonisée ». Cette réalité, mise en avant de façon démagogique mais aussi réaliste par le jeune président français,était censée plaire à une jeunesse ouest-africaine épidermique ment hostile à tout relent néo-colonial, et cela a apparemment plu, en dépit des propos jugés choquants du président. D’où la volonté de Macron de déclassifier les documents d’archives concernant les conditions de l’assassinat du célèbre président anti-impérialiste Thomas Sankara (héros de la jeunesse africaine) qui fut tué en 1987 au Burkina-Faso et dont la mort est attribuée pour beaucoup à la France en raison de l’hostilité qu’il entretenait envers la métropole française et de son anti-impérialisme militant.


L’idée de Macron est également de montrer à la jeunesse africaine qu’il ne sera pas l’homme de la complaisance avec les despotes africains méga-maintenus au pouvoir avec la bénédiction de l’ancienne métropole, lui qui ne vient pas des partis traditionnels français ayant soutenu ces tyrans qui ont tous d’une façon ou d’une autre pérennisé le sous-développement de leurs pays en captant les mannes locales, puis qui ont soudoyé les hommes politiques français de tous bord et même financé, paradoxe pour des pays réputés « pauvres », les partis politiques français durant des décennies de Françafrique.


Car en Afrique, s’il y a de la pauvreté, il y a aussi beaucoup d’argent…


Certes, Macron ne peut pas tout brader d’un coup, ni « le lien spécial », qui le dépasse, ni les intérêts géopolitiques et économiques avec ce continent dont la dépendance envers Paris contribue au fait que la France demeure encore une puissance mondiale. Avec la Francophonie, les mines d’uranium, la présence des grands groupes industriels français (Bolloré, Bouygues) et des grandes banques françaises (Société générale, BNP Paribas, etc), hégémoniques en Afrique francophone, l'armée française contribue aussi au poids de la France en Afrique, laquelle qui n’est plus seulement synonyme de Françafrique pour Macron, du moins au sens où l’entendent les détracteurs de l’influence française en Afrique, sachant que la Françafrique des barbouzes gaullistes de Jacques Foccart et de ses successeurs mitterrandiens n’est pas celle de Félix Houphouët-Boigny,l’ancien président ivoirien, qui avait créé cette expression au départ à connotation positive et constructiveen réponse à celle « d’Eurafrique » de Léopold Sédar Senghor. Cette dernière expression va d’ailleurs plus dans le sens de la vision macronienne puisque le président « jupitérien » a clairement appelé l’Europe à s’investir en Afrique aux côtés de la France et à européaniser cette « relation spéciale » qui doit devenir une coopération mutuelle.

Il estvrai que tous les prédécesseurs de Macron ont promis, depuis Mitterrand, de mettre fin à l'ingérence française « néo-coloniale » dans les affaires du continent et donc de clore la Françafrique, sans qu’aucun d’entre n’ait pu ou réellement voulu tenir cet engagement. Ils ont été en ce sens fidèles à la célèbre maxime attribuée tantôt à Jacques Chirac, tantôt à Charles Pasqua, mais qui est digne de Mitterrand et de son exemple Talleyrand : « Les promesses n'engagent que ceux qui y croient » …


Macron va-t-il pouvoir rompre avec les travers de la Françafrique ?


Toujours est-il que Macron a adopté une stratégie, des choix de visites diplomatiques, des thèmes, un ton puis des discours officiels originaux qui tranchent nettement avec ses prédécesseurs. Pour revenir au discours et au jeu de questions-réponses du président français aux étudiants réunis à Ouagadougou, le choix de Macron de répondre très directement aux questions posées par l’assemblée était inédit, et la franchise des propos puis la relative brutalité de certaines piques et réponses, sont peut-être le signe d’un changement réel d’attitude et surtout la marque de la fin de la complaisance et des connivences avec les responsables de la faillite de ces pays, quitte à indisposer l’hôte et homologue burkinabé « publiquement vexé ». Durant l’échange de trois heures avec la jeunesse africaine de Ouagadougou, le choix de Macron a clairement été de court-circuiter l’autorité locale suprême, ainsi blessée dans son orgueil,en s’adressant directement à la société civile africaine jeune, c’est-à-dire aux vraies forces-vives du futur, c’est-à-dire dans le continent qui a à la fois le plus fort taux de natalité du monde et le plus fort taux de croissance économique de la planète. Le fait de s’adresser à une foule comme les Papes Jean Paul II ou Benoit, en laissant son hôte Kaboré de côté sur une chaise tel un simple spectateur, est en soi une prise de distance avec la Françafrique personnifiée. Et cette mise en scène, qui envoie un message aux autres protagonistes de cette Françafrique, fait quasiment penser à un transfert de pouvoir entre le chef de l'Etat africain et ses étudiants.


Macron est un homme de la « génération 3.0 » qui sait que les canaux du pouvoir comme ceux de l’information et de l’économie, sont désormais diversifiés et passent de plus en plus par la société civile et les réseaux sociaux, qui portent une exigence grandissante d’hyper-transparence et de défiance vis-à-vis des dirigeants, médiaset autorités officielles.

N’oublions pas d’ailleurs que ce fut cette jeunesse « anti-impérialiste » et très connectée qui a fait dégager, il y a peu, l’ex-despote françafricain Compaoré et l’ex-dynastie sénégalaise Wade à la façon des « révolutions de velours » ou du Jasmin, elles-mêmes « 3.0 ». Par ce mode de communication direct de « jeune à jeunes, comme il ne s’est pas gêné de le souligner, Emmanuel Macron a en fait invité toute une génération qui n'a pas encore connu de missions politiques à prendre son destin en main ainsi que ses responsabilités.


Il l’a invitée en particulier à « prendre des risques » et même, indirectement, à passer par-dessus les vieux crocodiles : "Vous et nous comprenons" puisque "c'est notre génération qui a le ballon dans les mains ». Macron n’a pas hésité de la sorte à secouer les vieilles traditions dans une Afrique où la parole des anciens est pourtant sacralisée, mais coresponsable de la mal-gouvernance et des mandats indéfinis de despotes corrompus.


En guise de conclusion


Il est clair que pour Macron, premier « Président 3.0 »,l'Afrique est entrée elle aussi dans la mondialisation : les investissements étrangers augmentent de plus en plus, surtout les investissements chinois, mais également indiens, turcs, américains, israéliens, etc. L’Afrique est un marché extraordinaire pour de nombreuses entreprises engagées dans les nouvelles technologies de communication et de paiement, comme on le voit avec le succès incroyable de la téléphonie et des nouveaux moyens de paiement par mobiles (« mobile Bank »), sans oublier les taux de croissance de pays comme le Nigeria, l’Ethiopie, le Ghana ou le Rwanda, qui dépassent ceux de la Chine, de l’Inde et d’autres Tigres ou Dragons d’Asie. Une vraie classe moyenne émerge ainsi à Afrique en ignorant ou malgré la Françafrique et elle ne cesse de s’élargir, certes, parallèlement aux pauvres qui grossissent eux aussi en raison de la natalité non maîtrisée. En ce sens, si ses propos ont été jugés choquants ou maladroits, Emmanuel Macron a pourtant rappelé une vérité criante lors du sommet du G20 de juillet dernier en disant qu’une natalité trop forte créait de la pauvreté en dépit de richesses et de création d’emplois.

Les propos ont choqué les âmes sensibles en Europe, en France et au sein de nombre de foyers africains modestes, pour qui l’enfant est la seule richesse et souvent le seule « retraite », mais ils décrivent un phénomène indéniable : l’Afrique a de plus en plus de millionnaires, sa classe moyenne grandit, certains pays africains comme l’Angola peuvent « racheter » leurs ancienne métropole colonialiste, comme on le voit au Portugal où des sociétés angolaises dominent des secteurs clefs, mais le nombre de pauvres grandit aussi, pour des raisons essentiellement démographiques. Si l’Europe et le Japon sont menacés par la Sous-natalité, littéralement suicidaire, à terme, l’Afrique est rendue explosive par sa surnatalité, facteur de pauvreté, de pollution, de violences et de sous-développement, le contre-exemple de la Tunisie bourguibien ayant montré le lien entre maîtrise de la natalité, éducation et diversification économique.


Conscient de ce changement de l’Afrique, elle-même plurielle (elle est tout sauf un « bloc »), qui se développe à grand pas, Macron sait aussi pertinemment que l'influence française dans la région a fortement diminué et que l’époque où Paris pouvait impunément perturber les gouvernements africains (comme récemment en Côte d’Ivoire et en Libye, sous le mandat de Nicolas Sarkozy) est terminée. Il suffit de consulter la « rue africaine » à propos des cas de la Côte d’Ivoire - où la France a détrôné l’ex-Président Laurent Gbagbo au profit de Alassane Ouattara, l’ami de Nicolas Sarkozy et chouchou du FMI -, puis de la Libye, où l’armée française a renversé et tué Kadhafi au prix d’une déstabilisation générale de l’Afrique et de la Méditerranée, pour constater à quel point le prestige de la France auprès des Africains, qui se considèrent toujours comme des victimes de l’impérialisme, a baissé.



Le formidable atout de la langue française n’est lui-même plus du tout le seul outil ou le levier suffisant. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Emmanuel Macron a choisi de se rendre au Ghana, pays africain parmi les plus riches mais anglophone. Il sait bien que l’Afrique qui réussit son développement et qui ne vit pas que des rentes matières premières, c’est essentiellement l’Afrique anglophone (Nigeria, Kenya, Ethiopie, Rwanda, Ghana Tanzanie, etc). Il sait que les sociétés françaises doivent s’y intéresser et s’y implanter, ainsi que nos réseaux diplomatiques et culturels.Beaucoup reste à faire dans ce sens.


Certes, Macron a exhorté les jeunes africains à « s'approprier »encore plus la langue française et à en faire la « première langue dans le monde » (ce qui sera le cas pour des raisons de croissance démographique). Cependant, si cet appel était logique et incontournable, le président français sait, notamment à la lumière de l’évolution vers l’anglophonie de certains pays francophones comme le Rwanda (au développement stupéfiant), que nous assistons-là à la fin d'une époque, à un renversement de paradigme et à une redéfinition des rapports de force et des priorités. Cela ne veut absolument pas dire qu’il faille abandonner la francophonie et baisser les bras en capitulant devant les partisans anglophones de l’éradication de l’influence culturelle française en Afrique et dans le monde, mais cela signifie que la France doit pouvoir penser l’Afrique plus largement, de façon « continentale » et pas seulement à l’aune de son histoire coloniale et de son pré-carré francophone et militaire. A ce propos, la rébellion contre le franc CFA, à l’œuvre dans l’Afrique francophone, notamment au sein des milieux anti-impérialistes et de la jeunesse, semble avoir été entendu par le président Macron qui a semblé clairement accepter l’éventualité d’une sortie de la zone CFA, cette monnaie « néo-coloniale » imprimée en France et qui pénalise les exportations africaines puisqu’elle est indexée sur l’euro en parité fixe, si toutefois tel est le vœu des Etats africains et de leurs dirigeants. Certes, le fait que Macron n’ait pas exclu les hypothèses de « supprimer ou renommer le franc CFA » n’est ni une proposition ni une promesse. Et cela ne veut pas dire qu’il soit opposé au CFA, qui permet de tenir sous le contrôle de la France 15 pays africains et ses dirigeants (obligés de déposer 50 des réserves des Etats concernés au Trésor français…), mais le fait d’aborder ouvertement ce sujet hautement tabou jusqu’à aujourd’hui est en soi révolutionnaire. Seul l’avenir pourra permettre de savoir si ce n’est là qu’un effet d’annonce conçu pour séduire les « Africanistes » ou si cela correspond à un vrai changement de paradigme géoéconomique et stratégique pour la France en Afrique face à la Françafrique..

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