Les Occidentaux vont-ils laisser la Turquie écraser les Kurdes de Syrie sans réagir ?
Atlantico : Depuis la chute de Bachar el-Assad en Syrie, la Turquie mène une offensive violente contre les Kurdes. Que sait-on précisément de ce qui est en train de se dérouler en Syrie ?
Alexandre del Valle : Commençons par rappeler que les Kurdes de Syrie peuvent s’appuyer tout à la fois sur une grande part des ressources naturelles syriennes (ils ont tout ou partie du pétrole local, ainsi que le coton) et des troupes bien entraînées. La région dans laquelle ils sont aujourd’hui installés est hautement stratégique. Les Kurdes ont élargi leur territoire depuis le début de la conquête de la Syrie par les forces rebelles, et d’aucuns pourraient même arguer qu’ils en sont les grands gagnants, avec Israël (qui a tendance à se méfier du régime en place, lequel tend d’ailleurs à affaiblir le Hezbollah).
La Turquie aussi fait figure de gagnante, puisqu’elle va pouvoir reloger dans le Nord ses réfugiés syriens et sunnites qu’elle va vraisemblablement utiliser pour remplacer les Kurdes, dans l’espoir de les pousser vers l’Est. D’une façon générale, les Kurdes de l’Est ont élargi leur territoire et profitent de la chute de Bachar el-Assad, qui avait ordonné à ses militaires de ne pas combattre les forces kurdes pour éviter un bain de sang. Ils avaient pour mission de négocier leur reddition.
Chaque abandon de poste a profité aux Kurdes, qui ont pu reprendre des villages qu’ils avaient historiquement perdus à la fin de la guerre civile syrienne. Par conséquent, on peut dire des forces kurdes qu’elles sont aujourd’hui plus puissantes qu’elles ne l’ont jamais été dans tout l’est du pays. Cela représente tout de même un quart du territoire qu’ils ne veulent plus lâcher.
Pour autant, il faut bien comprendre que le régime turc d’Erdogan fait appel à ses milices (et tout particulièrement à l’Armée Nationale Syrienne, ANS) pour empêcher l'existence d’un Kurdistan indépendant. Comprenons-nous bien : la Syrie n’a pas été reprise par un groupe uni, mais par une coalition qui se compose du HTS de Jolani (qui réunit notamment des groupes salafistes) et de l’ANS, qui rassemble des rebelles classiques, quelques islamistes et des Turkmènes, ainsi que des anciens militaires syriens qui, en 2011, participaient à la révolution. Bien davantage que le HTS de Jolani, l’ANS répond à la Turquie. Certaines de ses composantes, notamment les Turkmènes, sont particulièrement anti-kurdes. Ils détestent les Kurdes et, comme les Syriens arabes, refusent toute indépendance du Kurdistan.
La question, dès lors, est la suivante : vont-ils attaquer ? Alors que Joe Biden a maintenu en poste près de 1 000 militaires américains au Kurdistan ? Pour l’heure, le président américain ne veut pas tout à fait abandonner les Kurdes de Syrie, et il est peu probable que la Turquie prenne le risque de bombarder la zone et de tuer des militaires américains. Dans le cas où Erdogan oserait, il forcerait Biden à répondre avec virulence, ce que l’Amérique est tout à fait en mesure de faire. Israël aussi pourrait frapper la Syrie. L’État hébreu a tout intérêt à garder la Syrie divisée, particulièrement si cela implique l’existence d’un groupe kurde en Syrie. Quand Donald Trump arrivera à la Maison Blanche, la dynamique changera peut-être.
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