L'escalade hautement sismique entre deux empires stratégiques : Russie et OTAN
Cette semaine, notre chroniqueur Alexandre del Valle poursuit sa série sur les vrais objectifs stratégiques et tactiques russes en Ukraine et s'inquiète du risque accru de conflit OTAN-Russie induit par la surenchère des deux côtés.
Le nouvel objectif hautement stratégique de Vladimir Poutine en Ukraine vise à s’emparer de 40 % de l’Ukraine, de prendre l’est et le sud russophone, de contrôler le canal de Crimée du Nord, les détroits, les ports en eau profonde et les routes maritimes de la Mer noire, puis de contrôler l’eau en général, dont le fleuve du Dniepr, condition sine qua non pour développer l’agriculture de Crimée, qui fait face à des pénuries d’eau depuis que l’Ukraine a coupé l’approvisionnement en eau douce en 2014. Dans le cadre de ces objectifs stratégiques, la question centrale — que nos dirigeants et stratèges occidentaux doivent se poser — est la suivante: la Russie parviendra-t-elle à couper totalement l’Ukraine de la mer Noire en s’emparant du vaste territoire situé entre le Donbass et la Crimée, via Marioupol (déjà conquise depuis deux semaines), puis entre la Crimée et la Transnistrie (Moldavie), via Odessa, donc de la Nova Rossia ? Ces buts de guerre sont-ils tenables à long terme, étant donnée la quantité croissante d’armements sophistiqués envoyés par les Etats-Unis et les pays de l’OTAN à l’Ukraine?
Pour contrer ce but, l’objectif des Occidentaux est d’armer massivement les Ukrainiens, d’essayer d’embourber durablement l’armée russe en Ukraine (reproduisant ainsi le “syndrome afghan”) et même tenter de provoquer par là un changement de régime en Russie. Plus largement, les Anglo-saxons qui dominent l’Occident et l’OTAN, veulent profiter de la guerre en Ukraine pour renforcer leur emprise sur le Continent par l’extension sans fin de l’Alliance (pays scandinaves, Moldavie, Balkans, Ukraine, Géorgie, politique de portes ouvertes inaugurée en 2008 et qui a mis le feu aux poudres), dans le cadre d’une traditionnelle stratégie de “roll back” du Heartland russe. Les buts de guerre de l’OTAN et des Anglo-saxons, qui ont entraîné dans cette aventure toute l’UE, sur demande express des Polonais, des Roumains et des Baltes, sont désormais assumés, et incluent la recherche de la chute de Poutine. Ils dénotent donc avec la prudence de Joe Biden au début de l’invasion russe. D’où la crainte que l’ours russe utilise toute sorte de moyens pour conjurer ces plans vus comme une menace existentielle. L’OTAN a d’ailleurs récemment lancé son plus grand exercice militaire de la Baltique à la mer Noire face à une Russie plus désignée comme ennemie que jamais. Vladimir Poutine va donc intensifier encore plus « l’Opération militaire spéciale » en Ukraine, en proclamant la guerre officielle lors du défilé du 9 mai, et en accentuant les surenchères stratégiques comme on le voit depuis quelques jours (menaces de frappes nucléaires tactiques brandies dans les médias russes, etc). L’emploi du mot guerre signifie que l’aide militaire occidentale aux Ukrainiens (qui va plus loin que la seule vente d’armes) sera assimilable à une belligérance, avec toutes les conséquences possibles à craindre.
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