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Iran / Israël : la guerre froide de plus en plus chaude ?

Atlantico : Après les frappes israéliennes sur Damas ayant éliminé plusieurs gardiens de la révolution, l'Iran semble désormais adopter une posture plus ferme vis-à-vis d'Israël. Pensez-vous que l'Iran dispose non seulement de la volonté mais également des moyens nécessaires pour s'engager dans un conflit ouvert avec Israël ?




Alexandre del Valle : Il est vrai que c’est la première fois qu'un édifice diplomatique iranien officiel est directement frappé en Syrie par un raid de l’armée israélienne, Le consulat iranien et la résidence de l'ambassadeur d’Iran, touchés en plein quartier résidentiel de Damas ne sont pas des cibles habituelles de Tsahal ou anodines, les six missiles tirés par les F-35 israéliens ayant fait 13 morts, dont six Syriens et sept Iraniens, dont deux commandants de la Force Al-Qods, la section d’élite des Pasdarans ou Gardiens de la Révolution islamique iranienne, Mohammad Reza Zahedi, commandant de la Force Al-Qods pour la Syrie, le Liban et la Palestine, et Mohammad Hadi Haji Rahimi. Il faut toutefois raison garder même si le régime des Mollahs a « promis de riposter ». Je ne suis pas du tout certain d’une escalade régionale, même si il est vrai Israël est allée un peu plus loin que de coutume en touchant ces personnalités.


Les déclarations et revendications iraniennes sont souvent théâtrales et non suivies d’effet, en tout cas directement assumés. Bien qu'il soit vrai que des responsables iraniens aient été tués, ils se trouvaient néanmoins en dehors du territoire iranien, dans une zone périphérique d'un pays arabe, et surtout dans un lieu diplomatique mais où des réunions de guerre ne sont pas censées se dérouler, ce dont les Iraniens sont parfaitement conscients.


La situation serait tout autre si Israël avait bombardé l'Iran. Le président iranien, Ebrahim Raïssi, a certes « prévenu » que le « crime ne resterait pas sans réponse ». Il est possible qu'ils fassent perpétrer un attentat par procuration tout en niant leur implication mais en s’en félicitant en coulisses.


Il est également envisageable qu'ils ciblent des personnalités politiques pro-israéliennes au Liban, voire des chrétiens, comme cela s'est déjà produit à plusieurs reprises, ou encore des communautés juives comme ce fut le cas en Argentine dans les années 1990 (ambassade israélienne et association AMIA), voire même des cibles occidentales moyennes ou mineures basées en Irak, aux Émirats arabes unis ou en Arabie saoudite. Peut-être même l'envoi de missiles sur des cargos israéliens ou affrétés par des Israéliens, voire appartenant à de riches propriétaires occidentaux de confession juive, tout cela via des proxys comme les houtis ou les milices chiites-irakiennes qui ont déjà attaqué ce genre de cibles ou des objectifs pétroliers en Arabie saoudite. Mais non seulement entre temps il y a eu l’accord saoudo-iranien parrainé par Pékin qui limite ce genre de cibles collatérales, mais il est surtout difficile d'imaginer une action directe de l'Iran contre l'État d'Israël, car cela pourrait entraîner une réponse massive de la part de Tsahal, laquelle serait un très bon prétexte, si l’agression iranienne initiale est d’ampleur, pour que Tsahal s’en prenne au programme nucléaire. À l'heure actuelle, l'Iran est conscient qu'il doit au moins menacer de riposter, même si cette menace reste floue, tout en mesurant la « sanction » afin qu’elle ne donne pas un prétexte historique à Tsahal pour attaquer Téhéran. Il s’agit là d’un savant dosage… Donner un tel prétexte à Israël pour une attaque directe n'aurait aucun sens du point de vue stratégique, en tout cas tant que Téhéran n’a pas démontré détenir l’ensemble de la chaine technologique, militaire, balistique et stratégique du feu nucléaire, car après l’avoir démontré, l’Iran sera « sanctuarisé ». Ainsi, toute riposte de l'Iran promet d’être assez limitée, calibrée, indirecte, voire symbolique.

Par ailleurs, je note que le régime iranien est assez faible et redoute par-dessus tout un conflit ouvert direct avec Israël qu’il perdrait.


Le piège actuel pour Téhéran est que les Mollahs et les Pasdarans sont obligés de riposter, mais de façon mesurée et assez symbolique afin d’éviter que le conflit ne monte trop en intensité et passe à l’escalade incontrôlée, comme cela a été le cas en fin de compte depuis la fin de la guerre des 33 jours en 2006 qui avait opposé le Hezbollah à Tsahal. On peut donc s'attendre à une réponse assez limitée, mais personne ne peut prévoir avec certitude l’avenir, ceci est juste le scénario le plus rationnel et probable. Une riposte trop brutale et meurtrière de l’Iran serait suicidaire pour le régime dont l’objectif stratégique premier est l’accès au feu atomique.


Une option serait pour les Pasdarans et les forces Al-Qods de cibler les représentations diplomatiques israéliennes ans le monde comme en Argentine dans les années 1990, la chose étant de surcroit « symétrique » et non reconnue officiellement puisque niée et sous-traitée à des proxys habituels comme le Hezbollah, très présent au niveau mondial de l’Afrique à l’Amérique latine, en passant par la Malaisie, et pas seulement au Proche et Moyen-Orient.


Quelle est la doctrine d’action de Téhéran dans la région et vis-à-vis de la Palestine et d’Israël notamment ?


La doctrine de la République islamique au Moyen-Orient, est en réalité assez simple et logique : l'Iran ne se comporte pas comme les djihadistes sunnites, par ailleurs ses ennemis existentiels, bien qu'il puisse parfois utiliser des tactiques radicales de type terroristes. Elle poursuit une stratégie de déstabilisation et démontre ses capacités de nuisance au niveau régional, tantôt dans le but de négocier des accords avec les Américains et les Occidentaux, en vue de lever des sanctions en échange d’une future accalmie, tantôt pour faire admettre son leadership régional, tantôt afin d'obtenir la reconnaissance tacite d'un programme nucléaire militaire, et bien sûr afin d’étendre sa « profondeur stratégique » au Proche et Moyen-Orient, ambition partagée avec les autres « empires » mondiaux et régionaux, quoi de manière différente, certes, comme les Turcs, les Etats-Unis, les Britanniques, et même les Russes, le but étant de contrôler des zones donnant un débouché sur la Méditerranée, comme cela était le cas lorsque l’empire iranien alla jusqu’au Caucase et à la Grèce-Macédoine.


Il est donc important de comprendre que le pouvoir de nuisance de l'Iran et son soutien aux milices ne relèvent pas d'une guerre existentielle contre Israël et d’un « amour » de la Palestine ou des Palestiniens « persécutés ». Si tel était le cas, le Hamas et le Hezbollah bombarderaient Israël de manière coordonnée et prolongée, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Car l'Iran ne cherche pas à détruire forcément aujourd’hui Israël, mais à déstabiliser la région, et surtout à justifier démagogiquement - par la défense de la cause palestinienne et la haine surjouée/exterminatrice des Juifs/sionistes, leur impérialisme sur les pays arabes. Ceux-ci sont piégés ou même « buggués » et dupés par cette stratégie maline qui met les élites arabes signataires des accords d’Abraham ou même de Saoudie en porte-à-faux total avec les masses arabes et islamiques de plus en plus obsédées par la cause palestinienne qui a été habilement et cyniquement « réislamisée » par la propagande des Frères musulmans, donc du Hamas, de la Turquie erdoganiste, et bien sûr de l’Iran, des Houtis, du Hezbollah et des milices chiites islamistes d’Irak composant « l’Axe de la Résistance ».


Cela permet de mettre en difficulté les dirigeants arabes souvent peu favorable à la cause palestinienne dans les faits, quand on sait que même la Syrie avait rompu avec le Hamas en 2012 au début du conflit syrien lorsque les islamistes palestiniens avaient pris le parti des rebelles fréristes et jihadistes anti-Bachar. Presque autant pays arabe n’aide vraiment la Palestine ou Gaza, le Hamas est un ennemi direct redouté et contenu par l’axe pro-saoudien-émirati et partisan des accords d’Abraham, et quasiment tous les pays arabes persécutent ou redoutent les Frères musulmans qui ont créé le Hamas à part le Qatar et le Koweït. Même la Tunisie nationaliste a défendu en parole le Hamas après le 7 octobre mais a mis hors la loi, les amis Frères musulmans du Hamas. La place est donc libre pour l’Iran et ses alliés non-étatiques pour reprendre le flambeau de la « vraie » Palestine, celle des « résistants » face aux « traitres » de l’Autorité palestinienne elle-même mise en difficulté en Cisjordanie où le Hamas a gagné les esprits.


En réalité, aucun pays arabe ne soutient réellement le Hamas sur le plan idéologique ou stratégique. Cependant, ne pas soutenir le Hamas reviendrait à être perçu comme un traître pro-israélien, d’où l’énorme décalage entre les déclarations populistes des dirigeants arabes et leurs actes. Cette stratégie propalestinienne de l'Iran et de ses proxys est donc simplement destinée à masquer ses véritables intentions impérialistes visant à coloniser des pays arabes ! Mettez-vous à la place d'un Iranien. Depuis des siècles, l'Iran a cherché à étendre son influence sur le Proche-Orient. À l'époque antique, le Proche-Orient n'était pas arabe, mais aujourd'hui, il l'est. Comment masquer cette ambition impérialiste-irrédentiste tout en prétendant soutenir les Arabes contre Israël ? En prétendant aider les Arabes à « combattre le diable Israël et ses alliés occidentaux ».

Il est important de noter que cette rhétorique est un mensonge, car les Iraniens se soucient peu des Palestiniens. Cependant, ils utilisent leur cause pour séduire les Arabes.


C'est là que réside la subtilité de leur stratégie. On pourrait objecter que l'Iran prend régulièrement des risques en incitant ses mandataires à attaquer Israël, comme le Hamas ou le Hezbollah. Cependant, ces actions sont souvent en partie de la gesticulation, comme les cadeaux d'un manipulateur pour prouver son amour à sa fiancée et faire qu’il n’y a pas que des mots, alors qu’en réalité, il n'a aucune bonne intention à long terme. C'est exactement ce que font les Houthis au Yémen, qui, pour « prouver » leur soutien à la cause palestinienne, envoient des missiles vers Israël, même s'ils ratent leur cible, ou attaquent des cargos prétendument israéliens ou appartenant à des juifs, simplement pour donner l'illusion d'une action auprès des populations yéménites arabes sunnites que les chiites houtistes essaient de dominer et occuper durablement depuis le début de la nouvelle guerre civile yéménite initiée avec le printemps arabe lorsque les Houthis, alors peu liés à Téhéran, ont refusé le pouvoir sunnite prépondérant des Frères musulmans et sont partis à l’assaut de régions non chiites et de la capitale Sanaa elle-même. Ainsi, la stratégie de l'Iran est d'utiliser des mandataires qui, de temps en temps, prennent des mesures « concrètes » contre Israël pour « prouver » qu'ils ne se contentent pas de paroles, mais ne franchissent jamais une ligne rouge absolue, sauf dans le cas inédit et peut être « mal contrôlée » par l’Iran de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023 qui est allée plus loin que ce que souhaitait la République iranienne. L'objectif réel de l'Iran n'est pas de détruire Israël, mais de convaincre le monde de sa légitimité à posséder l'arme nucléaire et de dominer le Proche-Orient et accéder à la Méditerranée sous le prétexte de « protéger » le Liban, la Syrie et les Palestiniens contre Israël….


Il est important de comprendre que l'Iran n’utilise la cause arabo-palestinienne islamisée (« Al-Qods. Al-Aqsa ») que pour endormir les Arabes. C'est une stratégie bien plus subtile et calculée qu'il n'y paraît, orchestré par des dirigeants pragmatiques qui utilisent le nationalisme palestinien pour masquer leurs ambitions impérialistes. Cette stratégie est similaire à celle employée par Erdogan de façon récurrente et moins profonde. On rappellera en effet qu’après douze ans de crise grave avec Israël, la Turquie d’Erdogan - qui a soutenu le Hamas pour faire oublier aux électeurs du néosultan et aux masses arabes que la Turquie n’a jamais dénoncé les accords stratégiques israélo-turcs des années 1990 – Erdogan s’est à nouveau rapproché d'Israël juste avant le 7 octobre, allant jusqu’à rencontrer le premier ministre hébreu Benjamin Netanyahou qui s’en est imprudemment vanté. Erdogan en avait besoin car il s’était rapproché de l’axe anti-iranien Egypte-Emirats-Arabie-saoudite, dans un contexte de crise économique, mais il a jugé utile de rompre à nouveau avec Netanyahou, car après l’attaque du 7 octobre et le « succès médiatique » du Hamas après les représailles de Tsahal, il ne pouvait pas risquer de perdre le soutien des électeurs islamistes de l’AKP qui votent pour lui et des pays arabes musulmans qu’il voudrait réintégrer dans une sorte de nouvel empire ottoman indirect. Si le 7 octobre n'avait pas eu lieu, Erdogan aurait probablement continué à se rapprocher d'Israël.


La Turquie, tout comme l'Iran, utilise la cause palestinienne et antisioniste pour masquer ses ambitions néo-impérialistes et mobiliser les masses arabes et islamistes, sauf qu’à la différence de l’Iran, Ankara joue sur deux ou trois tableaux simultanés en tant que rival des Arabes et des Perses et membres de l’OTAN et allié de revers (comme l’Azerbaidjan) historique des Israéliens face aux autres pays musulmans rivaux.


En conclusion, tant l'Iran que la Turquie poursuivront des visées néo-impérialistes sur le Proche-Orient et des pays arabophones, ils utiliseront la cause palestinienne et antisioniste pour dissimuler leurs véritables intentions et mobiliser les masses arabes et islamistes dans une logique de soft power, de séduction et de camouflage de leurs intentions irrédentistes-impériales.


Pensez-vous qu'Israël, constamment harcelé par les proxys iraniens, puisse finalement se lasser et décide de déclencher un conflit ouvert et bien plus direct avec l'Iran ?


C’est difficile, car si l'Iran était attaqué et son régime détruit, son programme nucléaire ne serait probablement temporairement ou durablement perturbé, selon les succès de l’opération de l’armée israélienne, laquelle prépare ce plan B par ses accords de bases militaires et d’utilisation des couloirs aériens conclus avec l’Azerbaidjan, voisin laïque panturquiste et nationaliste turcophone de l’Iran qui est son pire ennemi en raison des visées azéries sur la partie de l’Iran peuplée de turcophones-azéris. Certes, il semble difficile d’arrêter totalement ce programme nucléaire iranien, car Téhéran s’est également préparé depuis longtemps à une éventuelle attaque israélienne. Les Iraniens ont enfoui profondément sous terre des bases, des rampes de lancement, des stocks d’uranium et des centrifugeuses, ce qui obligerait Israël, s'il attaquait l'Iran, à utiliser des bombes pénétrantes qui feraient des centaines de milliers de victimes étant donné que certains de ces sites sont situés sous des villes.


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