Guerre en Ukraine... bombe iranienne : comment Israël est devenu un pivot de la diplomatie mondiale
Au moment où le Conseil européen réuni à Versailles ce jeudi appelle à un « sursaut » face à la menace russe et tente d'anticiper la crise due aux sanctions (prix des matières premières, suppression des importations d'hydrocarbures russes en Europe, etc.), d'autres puissances pourtant liées à l'Occident, comme la Turquie ou Israël, ont une approche bien plus pragmatique. Loin de couper les ponts avec Moscou, leur offre de “médiation” est l'occasion de défendre leur intérêt national, ce dont les pays européens, prisonniers d'une dérive fédéraliste, sont désormais incapables : l'élargissement sans fin de l'OTAN et de l'UE vers l'Est depuis 2004 fait que les conflits des pays ex-soviétiques sont désormais les leurs…
Jeudi, le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlüt Cavusoglu, a accueilli à Antalya ses homologues russe et ukrainien, Sergueï Lavrov et Dmytro Kouleba, dans le cadre de l’objectif d’Erdogan de réhabiliter son pays « capable de parler à la fois à l’Ukraine et à la Russie ». Un coup de maître pour le néo-Sultan qui fait ainsi oublier qu’en 2020, ses armes ont aidé l’Azerbaidjan à massacrer (dans l’indifférence totale de l’Occident) 7000 Arméniens du Haut-Karabakh, et que de 2014 à aujourd’hui, Ankara a tantôt aidé Daech, tantôt Al-Qaïda en Syrie puis envoyé ses jihadistes de Syrie en Libye puis dans le Caucase…
Quant à Israël, la visite samedi dernier de son Premier ministre, Naftali Bennett, à Moscou pour s’entretenir avec Vladimir Poutine, a inauguré une nouvelle phase dans cette crise majeure marquée par l’incapacité des Européens à dialoguer avec une Russie diabolisée qui démonise elle-même cet « Occident décadent ». Rappelons que c’est à la demande du chancelier allemand Olaf Scholz, après sa visite en Israël le 2 mars dernier, que Bennett a décidé de faire oeuvre de médiateur. L’Allemagne est en effet tiraillée entre une opinion publique, des pressions américaines et otaniennes intenses, et les écologistes du gouvernement, d’où la nécessité d’un émissaire pour porter des messages apaisants impossibles à tenir publiquement, sa crainte étant une rupture d’approvisionnements en gaz et en pétrole russes. Chacun essaie donc de gagner du temps et l’Allemagne avait d’ailleurs obtenu de ne pas inclure dans l’interdiction du système de paiement Swift par les banques russes gérant les achats de gaz par l’Allemagne…
À Moscou, la leçon de realpolitik et de diplomatie d’Israël aux occidentaux
Alors qu’Européens et Américains sont désormais incapables de dialoguer et qu’ils continuent de refuser de reconnaître que l’extension de l’OTAN est depuis 23 ans un casus belli, le fait que M.Bennett soit allé rencontrer en Allemagne le chancelier Scholz juste après sa rencontre avec Poutine en dit d’ailleurs long sur le pragmatisme de l’initiative israélienne par opposition au tout émotionnel de l’UE et des Etats-Unis qui ne parlent que de sanctions, d’envoi d’armes en Ukraine et chassent les sorcières russes. Poutine a d’ailleurs informé M. Bennett des propos tenus lundi lors du 3ème cycle de pourparlers entre Russes et Ukrainiens qui ont d’ailleurs bien plus avancé que ce qu’en ont relaté les médias et politiques occidentaux.
Si le premier ministre israélien, très religieux, a bravé l’interdiction de travailler et de se déplacer durant le shabbat pour se rendre à Moscou samedi dernier, c’est parce que son implication visait à préserver d’abord les intérêts stratégiques israéliens au Moyen-Orient (nucléaire iranien, bombardements des bases ou armements du Hezbollah ou iraniens en Syrie concertés avec l’aviation russe) en plus d’assurer la sécurité de l’importante communauté juive d’Ukraine. Bien que proche des Etats-Unis, Israël a donné ainsi aux Occidentaux une leçon de realpolitik et de diplomatie: Bennet a été critiqué en Occident pour ne pas avoir adopté une position “morale” ferme contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et il a en effet préféré utiliser les expressions de « tristesse » face à la crise puis « d’espoir » dans l’espérance de la fin des combats, laissant les condamnations explicites à son ministre Lapid. Bennett a par ailleurs refusé les demandes ukrainiennes d’envoyer des armes, y compris des fournitures défensives, préférant déployer un vaste effort humanitaire. Israël s’est démarqué de la contre-productive attitude européenne qui a consisté à décider l’envoi d’armes suffisamment légères pour ne pas renverser les rapports de forces mais assez significatives pour risquer que cela soit interprété à Moscou comme un acte de belligérance qui pourrait coûter très cher aux peuples d’ailleurs non consultés sur ce point…
Certes, Zelensky était dans son rôle lorsqu’il a essayé d’impliquer Israël en accusant Bennett de ne pas s’être « enveloppé dans notre drapeau ». Lors d’une conférence de presse lundi à Tel-Aviv, l’ambassadeur d’Ukraine en Israël, Yevgen Korniychuk, s’est quant à lui demandé pourquoi Israël était réticent à fournir des fournitures vitales à son peuple… Pragmatique, le Premier ministre israélien n’a pas caché le fait qu’il s’agit avant tout de protéger ses intérêts nationaux vis-à-vis de Moscou, à savoir sa liberté de frapper des cibles iraniennes en Syrie, ce qui ne peut se faire qu’en concertation avec l’armée russe. Et contrairement à la France, que des témoignages nombreux accusent de n’avoir rien fait pour exfiltrer et protéger les Français restés ou coincés sur place en Ukraine, Israel a déployé des efforts considérables pour protéger les 200 000 Juifs d’Ukraine, notamment ceux ayant besoin d’être évacués sous le feu russe. La priorité de l’Etat hébreu était de maintenir son “mécanisme de déconfliction” avec la Russie en Syrie, en vigueur depuis septembre 2015, lorsque les forces russes sont intervenues pour défendre le régime de Bachar al-Assad face aux jihadistes. Des officiers militaires israéliens à Tel-Aviv communiquent ainsi chaque jour avec leurs homologues russes des bases de Tartous et de Hmeimim en Syrie, dans le cadre des bombardements réguliers de l’armée de l’air israélienne contre les actifs iraniens, les milices alliées (Hezbollah) et les livraisons d’armes. Lundi, dernier deux jours après la rencontre de Bennett avec Poutine, des avions à réaction israéliens ont d’ailleurs frappé des cibles du Hezbollah pro-iranien près de Damas.
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