top of page

Démocraties contre autocraties : de l’Ukraine au Moyen-Orient, qui prend la main aujourd’hui ?

Leonardo Dini, déjà interrogé il y a plusieurs mois dans les colonnes d’Atlantico, vit en Ukraine depuis février 2022 et enseigne à Lviv la philosophie éthique économique à l’Université de Lviv. En tant qu’observateur et analyste géopolitique privilégié, son regard est d’autant plus précieux qu’il allie une vraie solidarité avec l’Ukraine dans sa guerre courageuse contre l’envahisseur russe avec une vraie lucidité qui dénote avec le discours de tant de pro-ukrainiens occidentaux parfois enclins à faire la différence entre leur désirs légitimes de voir l’Ukraine vaincre et la propagande teintée de wishfull thinking.





Alexandre del Valle : Pensez-vous que le pouvoir russe va revenir à la table des négociations malgré le fait qu’à la suite de l’incursion spectaculaire à Koursk depuis le 6 août dernier, Moscou ait refusé de participer au prochain sommet de la paix auquel Zelensky lui-même avait accepté la présence de la Russie, contrairement à la première conférence de haut niveau sur la paix en Ukraine, qui a eu lieu au Bürgenstock les 15 et 16 juin 2024, en Suisse, qui a été un échec car outre le refus de la présence russe, la Chine avait boycotté le sommet ?


Leonardo Dini : Je dirais que trois éléments, complètement nouveaux, sont apparus : le premier est celui de la négociation publique promue par le Vatican, officiellement liée aux questions humanitaires et confiée au cardinal Zuppi, négociation apparemment collatérale. La diplomatie Vaticane est, actuellement, la seule qui, compte tenue de la neutralité de la Papauté, tente de résoudre la quadrature du cercle, vers une hypothèse de dialogue de paix.


Deuxième élément : le Plan de Victoire, quelque peu éphémère (où sont aujourd’hui les nouveaux De Gaulle ou Churchill de l’Europe ?), que Zelensky a déjà proposé à Joe Biden et à ses alliés Starmer, Macron, Meloni et Scholz, et qu’il a proposé au Parlement de Kiev le 16 octobre, à la Veekhovna Rada. Un plan qui ressemble cependant, plus à un vœu pieux, à un rêve, qu’à une feuille de route pour la paix, tant il est largement irréalisable. Troisième élément, on constate la reprise de pourparlers bilatéraux entre l’Allemagne et la Russie (liée aussi au problème du Gaz) depuis quelques temps, ceci en alternative aux tentatives de dialogues malheureusement ratés, entre Macron et Poutine, au début du conflit.

Pour revenir au Vatican, celui-ci craint qu’une étincelle ne provoque un conflit mondial à partir d’autres théâtres de guerre : on l’a vu ces dernières semaines, avec l’encerclement progressif des Chinois à Taiwan. On constate aussi l’aggravation de la confrontation entre l’Iran et Israël, et on décèle aussi ce climat de choc global dans les déclarations de Vladimir Poutine sur l’irréversibilité du déclin militaire et géopolitique américain, ce qui ne peut manquer d’avoir des conséquences militaires directes ou indirectes dans le monde entier, ou du moins, dans les trois grands foyers de guerre : Ukraine, Moyen-Orient et Asie (Mer de Chine, Taïwan et Corées). 


Vous qui étiez en Ukraine pendant l’incursion ukrainienne vers Koursk, pensez-vous que les États Unis, la Grand Bretagne et les pays de l’OTAN ont encouragé l’attaque spectaculaire de l’armée ukrainienne ? Craignez-vous comme certains que cela risque d’augmenter le risque de guerre directe entre les pays de l’OTAN et la Russie, sachant que le tabou de la sanctuarisation du sol d’un pays nucléaire a été ébranlé ?


La présence occidentale est évidente dans l’organisation de l’attaque sur Koursk : la très discutée et redoutée escalation s’est maintenant réalisée. Depuis quatre mois, les Américains ont autorisé les Ukrainiens à frapper le sol russe, à des fins défensives, certes, officiellement, mais aussi en les autorisant implicitement à créer des zones tampons libres à proximité des frontières, stratégie vue comme étant utile pour arrêter l’avancée russe vers Soumy mais aussi pour juguler les menaces russes potentielles vers Kiev. Une tout autre question à mon avis plausible, est de savoir si l’objectif des Occidentaux et des Ukrainiens est de préparer des territoires à échanger lors d’une trêve ou de négociations de paix. En fait, la difficulté et la complexité de l’opération ukrainienne à Koursk suggèrent une possible coordination avec l’OTAN, laquelle ne peut pas non plus s’impliquer directement et officiellement dans le conflit. Toutefois, on sait parfaitement que des armes américaines et anglaises ont été utilisées à Koursk. Peut-être même que des instructeurs ou conseillers militaires de l’OTAN ou anglo-saxons opèrent, directement, à Koursk, même s’ils ne sont pas déclarés ni déclarables... En somme, peut-être que les Russes utilisent à leur tour en Ukraine des techniciens militaires nord-coréens, latino-américains, iraniens ou chinois, eux aussi non déclarés. Ce n’est pas une coïncidence si la zone touchée par les opérations militaires actuelles, entre Soumy et Koursk, était également celle dans laquelle de nombreux points d’écoute d’espionnage des services secrets américains opéraient activement bien avant le début de la guerre russo-ukrainienne, notamment dans les forêts frontalières de Soumy et Kharkiv : il s’agit d’une autre forme de sanctuarisation, secrète, cette fois…


Les Russes eux-mêmes, par la voix de Patroutchev, Medvedev et Zakharova, ont dénoncé une invasion ukrainienne de terres russes non réellement avouée mais planifiée par l’OTAN, sur le théâtre de guerre de Koursk. Aujourd’hui, la soi-disant “sanctuarisation” par la détention du feu nucléaire militaire (en particulier le tactique) semble être bel et bien dépassée par les faits, ce qui est tout sauf un détail. Mais ces bouleversements des scénarios nucléaires ne se produisent pas seulement ici en Ukraine : il suffit de considérer Israël, puissance nucléaire à part entière, elle aussi agressée sur son sol par une force non-détentrice du feu atomique. Sans oublier la puissance nucléaire naissante de l’Iran des Mollahs, de ses centrales nucléaires et de ses hypothèses sur la bombe nucléaire bientôt prête et bientôt fixable sur des vecteurs efficaces balistiques et ou hypersoniques. Pensez également par exemple aux tensions fréquentes entre l’Inde et le Pakistan, deux pays nucléaires, ou aux menaces concrètes de la Corée du Nord d’utiliser des armes nucléaires balistiques. Cette même Corée du Nord qui fournit en toute simplicité des missiles pour la guerre de Poutine en Ukraine. Mentionnons aussi le défi  qui se dessine à Taiwan entre les puissances nucléaires chinoise et américaine…


Pour ce qui est de la seconde partie de la question, je pense que la guerre directe avec l’OTAN ne peut commencer que si Kiev tombe ou est détruite, ce qui suppose un coup de théâtre du côté russe. Un scénario aussi imprévisible que l’invasion russe en Ukraine de 2022 et celui de l’Ukraine en Russie de 2024.


Comments


A la une

INFOLETTRE (NEWSLETTER)

bottom of page