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Dix ans après la révolution menée par al-Sissi, où en est l’Egypte ?

Il y a dix ans, Abdel Fattah al-Sissi demandait aux Egyptiens un « mandat » pour les sauver du « terrorisme ». Quel bilan tirer de l'action du dirigeant égyptien en cette date anniversaire ?



Présent en Égypte pendant la Révolution de 2011 et retournant régulièrement depuis dans ce pays ainsi qu’au Moyen-Orient pour ses travaux, Roland Lombardi est l’un des experts les plus clairvoyants de la région et notamment de l’Égypte.


Ayant annoncé dès 2011, l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans dans le pays à l’issue des élections qui étaient prévues suite au « Printemps du Nil », il s’était surtout fait remarquer en janvier 2013 avec un article publié dans la célèbre revue Moyen-Orient, où il évoquait le retour inévitable de l’armée égyptienne sur le devant de la scène et en prédisant le rôle incontournable d’un quasi inconnu à l’époque… le général Abdel Fattah al-Sissi !


Il nous propose avec son dernier livre "Abdel Fattah al-Sissi, le Bonaparte égyptien ?" (VA Éditions, 2023) une analyse loin des partis pris et du sensationnalisme médiatique, de l’évolution politique de l’Égypte, pays phare du monde arabe.


A l’occasion de l’anniversaire des 10 ans de la Révolution du 30 juin en Égypte, Alexandre Del Valle s’est entretenu avec Roland Lombardi pour Atlantico.


Alexandre Del Valle :Aujourd’hui en Égypte, c’est l’anniversaire des dix ans de la Révolution du 30 juin 2013, présentée en Égypte, par les médias et institutions officielles, comme une avancée extraordinaire contre le fanatisme politico-religieux complice du terrorisme puis contre l’autoritarisme et la corruption. Mais chez les démocrates américains et dans l’Union Européenne (qui a condamné les atteintes à la liberté), on considère cet épisode comme la fin de la démocratie et même un coup d’État, comment faire la part des choses ?


Roland Lombardi : Bien-sûr que la Révolution du 30 juin 2013 a poussé l’armée égyptienne à faire un coup d’État, il n’y a pas d’autre mot et je ne l’ai jamais nié. J’évoquerais même plutôt un « coup de palais ». Et comme je l’affirme dans mon livre, c’est l’armée qui a également exploité voire même alimenté la grogne contre Morsi durant ces journées de manifestations…


Mais il faut rappeler le contexte de l’époque et rétablir certaines vérités. Mohamed Morsi donc, le candidat des Frères musulmans, avait remporté l'élection présidentielle de 2012, rendue possible par la révolution du 25 janvier 2011. Cette révolution, que certains observateurs occidentaux avaient dans la précipitation renommée « Printemps du Nil » (à la faveur, à l’époque, des fameux « printemps arabes » alors en cours dans la région et faussement comparés aux printemps des peuples dans l’Europe du XIXe siècle), se transforme très vite en hiver islamiste. En effet, car après les élections et les « transitions démocratiques » faisant suite aux manifestations historiques et sans précédent de 2011, en Égypte mais aussi dans tout le monde arabe, c’est la confrérie islamiste des Frères musulmans, opposition politique la plus structurée et la mieux organisée, qui s’impose indiscutablement au Caire et ailleurs. Entre novembre 2011 et janvier 2012, l’organisation politico-religieuse radicale remporte les élections législatives égyptiennes (comme encore une fois en Tunisie, en Libye et ailleurs…). Sur une chambre de 498 députés élus, la « coalition démocratique » dirigée par le parti Liberté et Justice des Frères musulmans a obtenu 235 sièges, tandis que le parti salafiste Al-Nour (« La Lumière »), dont l’émergence fulgurante a constitué une surprise, a remporté 121 sièges. Les forces libérales se partagent le reste des sièges : 39 pour le parti Al-Wafd, 35 pour le Bloc égyptien (Al-Kutla al-Masriyya) et 10 sièges pour le parti Réforme et développement. La coalition révolutionnaire – « Révolution permanente » – n’a obtenu que 7 sièges.


Plus tard, le 30 juin 2012, c’est donc Mohamed Morsi qui remporte sans surprise l’élection présidentielle égyptienne.


Très vite, le nouveau président frériste publie une déclaration constitutionnelle qui lui accordait des pouvoirs illimités. Logiquement, l'opposition accuse alors Morsi de restaurer une autre forme de dictature et d’avoir une politique sectaire et inefficace, ce qui conduit finalement à renforcer les manifestations de masse régulières qui ont déjà lieu depuis novembre 2012 jusqu’en juillet 2013. Au-delà du basculement rapide du nouveau pouvoir islamiste dans l’autoritarisme, s’ajoute sa volonté de faire de l’Égypte un État quasi religieux, presque un nouvel Iran en version sunnite. De plus, Morsi et son gouvernement ont fait preuve d’amateurisme politique et d’une grande incompétence dans la gestion du pays. Sur le plan social, économique, sécuritaire et diplomatique, l’Égypte a alors connu entre juin 2012 et juillet 2013 une régression vertigineuse, ce qui envenime la colère de la majorité des Égyptiens, confrontés par ailleurs à de graves et nombreuses pénuries notamment de fuel. Pénuries, parfois volontairement « organisées » par l’armée, qui ne manquera jamais une occasion, il est vrai, de savonner la planche du pouvoir aux islamistes.


Ainsi, la contestation atteint son apogée le 30 juin 2013, soit le premier anniversaire de la victoire de Morsi, avec plus de 10 millions de manifestants à travers l'Égypte qui descendent dans les rues et appellent à la démission du président. Précédemment, une pétition à cet effet avait été lancée par l’opposition et avait recueilli près de 22 millions de signatures.

Après trois jours de manifestations monstres anti-Morsi, la police et l'armée refusent les ordres de Morsi qui veut réprimer violemment la foule. Les deux institutions, piliers historiques de l’État égyptien, rejoignent l’opposition.


Ainsi, fort d’un soutien notable de la majorité de la population, l’armée, toujours très populaire dans le pays, décide de reprendre les choses en main.

Comme le général Bonaparte, en France et en son temps, et devant le chaos postrévolutionnaire (ce que j’explique dans les détails dans mon dernier livre Sissi, le Bonaparte égyptien ?), le général Abdel Fattah al-Sissi, commandant en chef des forces armées et ministre de la Défense, donne 48 heures au président Morsi pour prendre les mesures nécessaires au rétablissement de la stabilité. Le 3 juillet 2013, en début de soirée, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) arrête le président Morsi et déclare qu'il n'est plus le président de l'Égypte à partir de cette date.


Le président de la Cour constitutionnelle suprême Adly Mansour a alors été nommé président par intérim du pays. Il ne s'est pas présenté à la présidence lors des élections suivantes, et qui seront remportées par Sissi.

Quoi qu’il en soit, et en dépit aujourd’hui encore en Égypte, des atteintes à liberté d’expression, et aux libertés en général, que l’on ne peut que condamner, si Sissi n’avait pas usé de la force envers cette organisation islamiste, la plus dangereuse de la planète et matrice idéologique d’Al-Qaïda et de Daesh, l’Égypte aurait connu sûrement une situation à l’algérienne des années 1990 ou plus récemment, le sort de la Syrie (devant la destitution de leur président, on oublie que les Frères musulmans ont commencé à s’attaquer aux manifestants, s’apprêtaient à prendre les armes et à passer à la lutte armée et au terrorisme !). Assurément, la crise migratoire qui aurait suivi aurait été bien plus grave qu’en 2015 ! Cela aurait été un tournant tragique pour toute la Méditerranée et tout le Moyen-Orient. Et il suffit juste d’imaginer le cauchemar pour la région, l’Europe et surtout les Égyptiennes et les Égyptiens !


ADV :Que répondez-vous à ceux qui estiment que vous dépeignez une vision un peu trop positive de cet événement, certes historique, mais qui a été permis par une interruption du processus démocratique et la déposition d’un président élu par le chef d’état-major de l’armée égyptienne ?


RL : Tout d’abord, je rappellerais à ceux (et surtout à certains « experts ») qui ont cru naïvement que les printemps arabes aboutiraient partout dans cette région à des démocraties à la scandinave, qu’ils faisaient preuve d’une immense méconnaissance de cette zone. Ceux qui affirmaient cela, étaient soit de mauvaise foi, soit des idéologues ou pire, des idiots !


Cela a été une grave erreur de certains que d’occulter, à cause d’un regard du monde arabe vu par le petit bout de nos lorgnettes occidentales, les spécificités propres des hommes, de l’histoire, des cultures, des traditions et des philosophies intrinsèques de cette partie du monde. C’est pourquoi beaucoup n’ont pas compris ce qui était en train de se passer et se sont surtout lamentablement trompés sur ce qu’il allait advenir véritablement avec ces « printemps arabes ».


L’idéologie et « l’illusion désirée » sont de véritables fléaux dans la recherche et les analyses en France et en Occident en général. Pour ma part, dans mes travaux, je m’efforce toujours de décrire le monde tel qu’il est et non tel que j’aimerais qu’il soit ! C’est ma règle !


Ainsi, le principal message que j’essaie de faire passer aux lecteurs, c’est que si un homme d’État n’a pas le droit de laisser ses sentiments interférer et que les autocraties ne sont absolument pas défendables, elles sont néanmoins explicables.


De même, finalement, qui sommes-nous, nous Occidentaux, pour juger et donner encore une fois des leçons de morale ? Surtout nous Français, puisqu’il nous aura fallu trois révolutions et cinq républiques afin de parvenir à une démocratie encore bien imparfaite…


Enfin, je leur dirai aussi de lire mon livre qui n’est absolument pas une œuvre panégyrique sur le président égyptien. Ils seront étonnés d’y trouver de nombreuses critiques. Mais les critiques ne font pas seules des analyses. Ainsi, m’inspirant de la célèbre citation de Spinoza, « Je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines : Ne pas rire, ni pleurer, ni détester, mais comprendre », j’ai tenté, par cet ouvrage, d’expliquer, loin du sensationnalisme médiatique et des filtres idéologiques déformants et dépassés, ce qui s’est réellement passé et ce qui est en train vraiment de se jouer en Égypte et surtout de ce côté-là de la Méditerranée. Dès 2013, et comme je l’explique dans tous mes écrits depuis cette date, j’ai toujours affirmé que « Sissi était un dictateur peut-être plus terrible que ses prédécesseurs ». Or, à bien des égards, il fait penser à une sorte de « dictateur éclairé ». D’où le parallèle dans mon livre avec Bonaparte, Premier consul, avec qui l’Égyptien possède de nombreuses similitudes quant à son parcours et son volontarisme politique. Comme le plus illustre des généraux français, Sissi est issu d’un milieu modeste et il a eu une enfance timide, taciturne mais studieuse. À la faveur d’une période révolutionnaire, comme le célèbre corse, le militaire égyptien s’est imposé avec fracas à l’histoire en marche en « despote éclairé », législateur et bâtisseur pour l’avenir, et qui laissera assurément sa trace dans l’histoire de l’Égypte, mais également du monde arabe. Avec bien évidemment toujours une part d’ombre mais comme tous les grands personnages historiques…



ADV :Et si le président Sissi n'avait pas agi de la sorte à ce moment-là et que les Frères musulmans au pouvoir, avaient continué à régner comme le voulaient les démocrates américains d’Obama, le Qatar et l’aile progressiste des pays de l’Union européenne, quelle aurait été la suite selon vous pour l’Égypte et la région ?


RL : Pour répondre à votre question, imaginons simplement une Égypte et un monde arabe actuel sans Sissi ! Car un autre scénario, qui fait froid dans le dos, était possible avec le printemps du Nil : les plans du Qatar et de la Turquie sont un succès dans cette Égypte de 2012, première puissance militaire et pays le plus peuplé de la région. Les Frères musulmans au pouvoir parviennent à purger l’armée et Morsi s’affirmant tel un véritable « Erdoğan égyptien », aussi retors et brutal que l’original, mâtent dans le sang les manifestations populaires de l’été 2013 et instaurent la plus grande république islamiste du monde arabe ! Si certains commentateurs ou « spécialistes » osent encore nous présenter les Frères musulmans égyptiens comme des « islamistes modérés » (qui n’existent pas !) ou mieux, comme des victimes ou de gentils moines bouddhistes persécutés par un « méchant dictateur », la réalité est tout autre et la perspective d’une république islamiste en Égypte devrait en faire réfléchir plus d’un quant au sort alors de la région et du monde…


ADV : Pensez-vous que la révolution du 30 juin a eu un impact direct sur la situation de la Confrérie islamiste dans la région et dans le monde ?


RL : A la faveur des printemps arabes, il est de notoriété publique aujourd’hui que le Qatar et la Turquie avaient tenté, avec l’aveuglement (voire la complicité, diront certains) des Occidentaux, de placer leurs sbires fréristes au pouvoir dans les capitales des pays arabes touchés par ces révolutions. Après plus de dix ans, c’est un échec pour l’axe Doha/Ankara et plutôt une victoire de l’Entente contre-révolutionnaire et anti-islamiste (sans précédent historique), alliée à une Russie de retour dans la région depuis son intervention victorieuse en Syrie (Poutine d’Arabie, VA Éditions, 2020) et composée de l’Arabie « salmanite » de Mohammed ben Salman, des Émirats arabes unis de Mohammed ben Zayed et de l’Égypte de Sissi.



Ce dernier a d’ailleurs joué un rôle majeur voire moteur dans l’alliance Le Caire/Riyad/Abou Dhabi contre le terrorisme et le radicalisme religieux. Depuis 2013 et son arrivée au pouvoir, Sissi avait comme premier et principal objectif de combattre concrètement et une bonne fois pour toute, là encore sans les ambiguïtés de ses prédécesseurs ou de certains pays arabes, l’islam politique des Frères musulmans dont l’Égypte était la grande base historique (elle y a été créée en 1928).


Dès lors, au-delà de la force brute, les trois leaders arabes, Sissi, MBS et MBZ, ont compris pertinemment que l’on ne combat une idée ou une idéologie qu’avec une autre idée. C’est pourquoi leur lutte contre l’islam radical, sans précédent dans la région, est multiforme et multidirectionnelle. Elle passe d’abord par une amélioration des conditions sociales, la lutte contre la corruption endémique et une modernisation de leurs économies puis par la promotion d’une sorte de néonationalisme arabe, des réformes profondes dans leurs systèmes éducatifs et les enseignements religieux ainsi qu’une véritable volonté de révolutionner les mentalités comme je l’explique dans mon livre.


Depuis, on assiste même ces dernières années à une timide, mais réelle forme d’« athéisation » progressive des jeunesses arabes. Les islamistes semblent ne plus avoir le vent en poupe. Les fiascos des Frères un temps aux affaires, ainsi que l’anéantissement territorial de Daesh sont passés par là. Or, l’idéologie de Daesh et d’Al-Qaïda n’est pas morte et peut encore frapper, on l’a vu, les États faibles comme en Afrique ou en Europe. Quant aux Frères musulmans, toujours protégés par Doha, ils sont considérés comme une organisation terroriste par de nombreux pays de la région – Égypte, Émirats, Arabie saoudite, Syrie, Bahreïn. En juillet 2020, même en Jordanie, la Cour de cassation du pays, qui est la plus haute autorité judiciaire, a rendu un arrêt ordonnant la dissolution du groupe des Frères musulmans dans le pays, pourtant majoritaires au parlement jordanien. Au Maroc, dix ans après l’arrivée du parti Justice et Développement (PJD) au pouvoir – l’unique parti « islamiste » autorisé –, les Frères marocains ont connu l’usure du pouvoir puis ont traversé une série de crise interne et de cuisantes défaites électorales. Étroitement contrôlés par les services spéciaux du roi (intouchable par les islamistes, car comme le roi hachémite, il est un descendant du Prophète), ils n’ont même pas pu s’opposer à la normalisation officielle du royaume avec l’État hébreu (Accords d’Abraham), ce qui les a d’ailleurs grandement discrédités auprès de leurs partisans. En Tunisie enfin, Kaïs Saïed et la société civile sont méthodiquement et finalement parvenus à écarter du pouvoir et du Parlement, Rached Ghannouchi et son parti islamiste Ennahdha…


Or, même marginalisés et très affaiblis, il ne faut surtout pas les sous-estimer. Car ils sont toujours en embuscade partout, en investissant les réseaux sociaux, tout en attendant leur heure et un nouveau round des printemps arabes qui pourrait très bien resurgir à cause du contexte actuel de crise économique internationale…


Alors que, comme on l’a dit, cette organisation est aujourd’hui marginalisée voire interdite dans de nombreux pays arabes, un seul pays en Europe, l’Autriche, a eu le courage de décider, après les attentats de Viennes en 2020, d’inscrire cette confrérie politico-religieuse sur sa liste des organisations terroristes !


Ailleurs, en France, en Belgique et en Allemagne par exemple, les Frères et leurs associations ont pignon sur rue et vivent heureux comme des poissons dans l’eau.


En Europe, où bon nombre de cadres des Frères musulmans du monde arabe se sont depuis réfugiés (parfois avec le statut de réfugiés politique !), les Frères se servent de la faiblesse des démocraties occidentales malades pour gagner en influence, notamment dans les populations musulmanes issues de l’immigration, et être à l’origine de toutes les revendications communautaires et religieuses d’aujourd’hui.


ADV : Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire un livre spécifiquement sur le président Abdel Fattah Al-Sissi ? Quelle est la phase actuelle des relations égypto-françaises, de votre point de vue ?

RL : Avec la chape de plomb idéologique postmarxiste, le manichéisme béat et l’irréalisme géopolitique qui règnent sans partage dans les médias mainstream et surtout les milieux de la recherche occidentaux, Sissi a très mauvaise presse. Il est la plupart du temps moqué, critiqué pour sa gouvernance autoritaire et accusé de tous les maux.


Que cela nous plaise ou non, aujourd’hui, le raïs égyptien est un sauveur pour certains. Pour d’autres, sûrement plus nombreux, il est un moindre mal.


En tout cas, qu’on l’aime ou pas, et ce n’est pas le rôle d’un observateur honnête intellectuellement que de faire ce genre de choix, on ne peut nier que même si les difficultés sont encore nombreuses (notamment à cause de la crise mondiale conséquente du COVID et de la guerre en Ukraine aujourd’hui) pour réformer une économie archaïque et que les dangers et défis restent immenses, la modernisation et les changements apportés par Sissi à l’Égypte, ainsi que sa lutte acharnée (du jamais vu dans cette région !) contre les deux grands fléaux du monde arabe que sont l’islam politique et la corruption, sont véritablement « révolutionnaires », sans précédent historique et globalement positifs. Comme ses réformes profondes dans l’éducation et l’enseignement.


De même, depuis dix ans, Sissi est devenu un médiateur, certes discret mais important, dans les Accords d’Abraham par exemple, et dans toutes les crises de la région et en Afrique (Gaza, Syrie, Libye, Yémen, Soudan, Tchad…). Soit un élément de stabilité incontournable et un acteur majeur dans la géopolitique régionale et internationale. On l’a vu avec la dernière COP 27 au Caire, le leader égyptien est en train de faire reprendre toute sa place à l’Égypte sur l’échiquier des relations internationales et de lui redonner son rôle passé de phare du sunnisme et du monde arabe. Peut-être moins flamboyant qu’à l’époque de Nasser mais assurément beaucoup plus efficace et surtout, en parfaite adéquation avec les intérêts occidentaux d’aujourd’hui et de demain.


Quant aux relations franco-égyptiennes aujourd’hui, il faut rappeler que l’Égypte de Sissi n’est pas qu’un partenaire stratégique majeur de la France et qu’un simple client pour notre complexe militaro-industriel. Elle est surtout aujourd’hui et plus que par le passé, notre principal allié face au terrorisme jihadiste et surtout à l’islam radical qui est, soulignons-le (car on cherche trop à nous le faire oublier avec la Russie et sa guerre en Ukraine), notre seule véritable menace et notre grand défi géopolitique pour nous Français et Européens…


ADV : Comment voyez-vous la situation des Frères musulmans en Europe aujourd'hui ?


RL : On ne cessera pas de le répéter, que les Frères musulmans panislamistes sont assurément plus dangereux que les terroristes puisqu’ils répandent comme le dit justement Gilles Kepel, une sorte de « jihadisme d’atmosphère » dans le monde arabo-musulman et surtout en Europe.


Comme je l’ai dit plus haut, les Frères musulmans ont une totale liberté d’action en Europe sauf en Autriche.

Par la culture voire l’économie, d’abord, avant d’investir la politique au niveau local (et un jour qui sait ? au niveau national) puis la sécurité intérieure. Tout en continuant de développer leur influence avec leurs propres associations ou au sein des mouvements communautaristes et surtout les universités européennes et américaines, qu’ils ont massivement infiltrées, aidés en cela par leurs idiots utiles que sont les militants de la mouvance Woke et autres islamo-gauchistes…


En France, nos services de sécurité et certains VRAIS experts ne cessent depuis des années de tirer la sonnette d’alarme. En vain ! Il faut dire que la bienpensancen’hésite pas à émettre des fatwas pour « islamophobie » (terme inventé par les islamistes chiites dans les années 1980). Pourtant, il suffit de lire ou relire les précieuses enquêtes et les travaux sérieux des journalistes spécialistes du sujet comme notamment Ian Hamel, Christian Chesnot, Georges Malbrunot, ou d’éminents chercheur comme vous-même, Gilles Kepel, Bernard Rougier ou encore Florence Bergeaud-Blackler (Lire d’ailleurs son excellent et dernier ouvrage Le frérisme et ses réseaux, l'enquête, Odile Jacob, 2023).


ADV : Il y a des gouvernements européens, qui de manière aveugle et naïve, traitent encore avec les Frères musulmans malgré leur idéologie mortifère bien connue. Quelles sont les raisons qui les motivent à le faire selon vous ?


RL : Dans la nouvelle administration américaine et les chancelleries européennes, les Frères musulmans via les lobbies de Doha sont encore très influents. Aujourd’hui, et malheureusement, aucun dirigeant progressiste européen, pour des raisons de faiblesse, d’aveuglement, d’idéologie, de diplomatie commerciale ou encore de conflit d’intérêt (voir le « Qatargate », l’immense scandale de corruption au Parlement de l’Union européenne révélé ces derniers mois) ne se hasarderait à interdire la confrérie. Pour la bonne et simple raison qu’il ne faut surtout pas froisser le néo-Sultan Erdogan et encore moins les riches investisseurs du Qatar…


Pour beaucoup de responsables européens, les Frères musulmans et leurs associations sont des interlocuteurs présentables, capables, des « islamistes modérés », comme je l’ai dit plus haut, avec qui on peut parler pour assurer la paix civile et à qui on sous-traite les questions religieuses et sociales dans certains quartiers européens aujourd’hui majoritairement musulmans. C’est une grave erreur !


ADV : Comment décririez-vous la récente opération au cours de laquelle les autorités françaises ont confisqué 25 millions d'euros à cette organisation islamiste ?


RL : Effectivement, le gouvernement français a enfin décidé, il y a quelques semaines, de frapper très fort au portefeuille de l’organisation islamiste des Frères musulmans. La Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) aurait identifié pas moins d’une vingtaine de fonds de dotation douteux liés à l’islam politique. Après de longues et minutieuses investigations, huit des vingt fonds ciblés ont d’ores et déjà été suspendus, dont quatre font déjà preuve d’une assignation judiciaire avec volonté de les dissoudre. C’est la stratégie « Al Capone » : s’attaquer aux finances d’une organisation est souvent beaucoup plus efficace et fait parfois plus de mal que la mort ou la prison. L’initiative du gouvernent français est donc un bon début mais il reste encore fort à faire dans ce domaine…


On le sait, la menace terroriste ou de violence dérivant du séparatisme islamiste durera aussi longtemps que la matrice idéologique qui l’alimente existera. Il serait donc opportun de réduire rapidement l’influence « frériste » en criminalisant et en interdisant purement et simplement l’organisation des Frères Musulmans (sous toutes ses formes et avec toutes les associations affiliées) comme l’ont fait, on l’a vu, nombre de pays arabes.

Cela lui interdirait d’agir sur notre territoire et la rendrait donc inopérante, en la marginalisant et la privant de nouveaux adeptes potentiels ainsi que de nouvelles cotisations.


Or c’est là que le bât blesse puisque la confrérie demeure encore très riche. Grâce d’abord aux contributions et de dons de leur centaine de milliers voire de leurs millions d’adhérents, membres et sympathisants à travers la planète et également grâce au soutien politique et financier de certains pays... Napoléon le disait pour les guerres conventionnelles, mais il en va de même pour les guerres idéologiques ou psychologiques. Pour les gagner il faut trois choses : de l’or, de l’or et de l’or !Plus d’argent, plus de conflit !


C’est un peu ce qu’a justement fait Mohammed ben Salman en coupant, de manière brutale et historique, les vivres à toutes les organisations salafistes extrémistes et douteuses dans la région mais aussi au niveau international via les purges au sein de la Ligue islamique mondiale et surtout, en éliminant les grands féodaux du royaume qui jouaient leur propre partition dans ce domaine… Aujourd’hui, le prince héritier ne tolère que les mouvances les plus strictement « quiétistes » et inoffensives du wahhabisme à l’instar des madkhalistes…

Quoi qu’il en soit, sans argent les Frères musulmans ne pourraient plus entretenir cette guerre idéologique qu’ils livrent à l’Occident mais aussi au monde musulman. C’est donc au portefeuille qu’il faut frapper, viser la banque Al-Taqwa et les comptes en banque bien garnis des dirigeants fréristes dans les paradis fiscaux.


ADV :Comment décrivez-vous la relation entre les Frères musulmans et les États-Unis d'Amérique ? Jusqu'où va la coopération entre eux de votre point de vue ? La Confrérie est-elle présente dans la guerre russo-ukrainienne ?


RL : Comme évoqué plus haut, les lobbies du Qatar et l’organisation tentaculaire des Frères musulmans sont présents aux Etats-Unis depuis bien longtemps. Ils ont toujours investi les campus universitaires américains et les arcanes du pouvoir. Ils ont toujours été très proches notamment de la gauche américaine et surtout du parti Démocrate (les grands et riches donateurs lors des élections viennent souvent du Golfe…). Rappelons-nous qu’en 2011, le président Obama et son administration avaient salué les victoires électorales de la confrérie dans le monde arabe comme des avancées de la démocratie dans la région ! Rappelons aussi que Donald Trump fut le seul président américain à avoir voulu inscrire cette organisation sur la liste noire américaine des organisations terroristes…

En ce qui concerne le conflit en Ukraine, on peut aisément imaginer que la confrérie comme les services spéciaux turcs d’Erdogan sont très présents dans les communautés musulmanes tatares de Crimée et d’Ukraine du sud qui combattent aujourd’hui du côté ukrainien. Mais sachons raison garder, le rôle des Frères musulmans, même s’ils détestent Poutine (comme le salafisme, ils sont interdits en Russie !), ne peut être que très marginal dans ce conflit.


Roland Lombardi publie "Abdel Fattah Al-Sissi, le bonaparte égyptien Son ambition pour l'Egypte, ses alliés, ses ennemis et sa vision pour la région" chez VA Editions



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