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Del Valle/EpochTimes : « Le président Trump veut faire un ‘triangle de Kissinger’ inversé, pour détacher la Russie de la Chine »

ENTRETIEN – Le géopolitologue et essayiste Alexandre del Valle, auteur de Vers un choc global (2023) et La mondialisation dangereuse (2021) aux éditions de l’Artilleur décrypte pour Epoch Times l’actualité internationale.





Epoch Times – La semaine dernière, une réunion informelle s’est tenue à Paris à l’initiative d’Emmanuel Macron. Elle a réuni divers leaders européens et le secrétaire général de l’OTAN. Cette réunion est intervenue quelques jours après l’entretien entre Donald Trump et Vladimir Poutine et puis le discours de JD Vance à Munich. À l’issue de la réunion, il a été affirmé que « l’Ukraine mérite la paix par la force ». Comment avez-vous interprété l’organisation de cette rencontre. Les Européens peuvent-ils revenir dans le jeu international ?


Alexandre del Valle – Non, je pense que les Européens sont complètement hors circuit. Premièrement, l’Angleterre a joué un rôle très important en dehors de l’UE dans cette guerre. L’ancien Premier ministre, Boris Johnson, avait été le « churchillien de com » qui est allé dire au président ukrainien de ne surtout pas signer les accords d’Istanbul au printemps 2022. Les Russes acceptaient pourtant de se retirer des territoires conquis en échange de la Crimée et de la neutralité définitive. Les Ukrainiens auraient ainsi pu préserver l’essentiel du Donbass et éviter des centaines de milliers de morts. En échange, l’Ukraine devait renoncer définitivement à l’OTAN et à avoir des armes occidentales sur son sol, puis elle devait accepter une régionalisation de son territoire.


Le Royaume-Uni a bloqué une paix possible qui était considérée démagogiquement comme « munichoise » par Johnson et ses successeurs. Ils ont joué un rôle énorme dans la poursuite de la guerre en redonnant un prétexte et du courage à la fois aux Ukrainiens et à Joe Biden. Ce dernier a ensuite suivi Londres et son lobby pro-guerre, ceci alors que l’on sait que l’Ukraine ne pouvait pas gagner sans une aviation conséquente et 200.000 soldats occidentaux au sol au minimum.


Il s’agissait pour eux de continuer la guerre coûte que coûte dans le but de faire perdre la Russie, non pas militairement, puisque les Ukrainiens ne pouvaient les vaincre par les armes, mais politiquement. Ils avaient l’espoir que Vladimir Poutine soit renversé par un mécontentement populaire ou une révolution de palais due à l’embourbement en Ukraine.


Ceci n’est pas arrivé et cela n’a pas marché. Entre temps, les Européens ont soutenu de plus belle Volodymyr Zelenski, pris par leur posture churchillienne apparemment courageuse et noble, mais en réalité velléitaire. L’Ukraine n’aura jamais obtenu l’aide réellement nécessaire pour chasser les Russes.

Emmanuel Macron, Giorgia Meloni, etc. ont voulu suivre Boris Johnson et sont tombés dans un piège qui finalement consistait à être plus royaliste que le roi, presque plus belliqueux que les États-Unis, mais sans être en mesure de fournir suffisamment de moyens à l’Ukraine pour qu’elle puisse l’emporter.


Maintenant, nous en sommes arrivés au point où la solution européenne n’a pas fonctionné. Keir Starmer s’est dit prêt à envoyer des troupes au sol, mais même si les Britanniques sont très courageux, cette solution n’est également pas réaliste, car elle reste conditionnée à la solidarité stratégique américaine.

Or ce que nous savons du « plan » Trump pour l’Ukraine, notamment à l’aune de sa dernière proposition sur les terres rares et matières stratégiques ukrainiennes, c’est que même si les ressources du pays sont confiées en masse aux compagnies américaines, Washington ne veut pas s’engager à offrir des garanties de sécurité à Kiev. Les États-Unis ont tout au plus l’intention de continuer à aider l’Ukraine en lui fournissant du matériel sans aucune promesse de montants et de catégories…


Les Européens ont donc été clairement déclassés par le président américain qui cherche à négocier seul avec la Russie. Donald Trump s’est entretenu avec Vladimir Poutine, il y a eu les déclarations de JD Vance, Elon Musk et de Keith Kellogg, puis il y a eu la rencontre à Riyad qui a démontré que des pays du monde multipolaire non-occidentaux comme l’Arabie saoudite peuvent jouer un rôle de peace maker, que l’UE, à cause de son moralisme, s’est elle-même empêchée de jouer…


Sans oublier le fait qu’en ayant échoué à régler le problème ukrainien de façon négociée, comme l’a déploré Trump, et sachant que Angela Merkel et François Hollande ont eux-mêmes reconnu qu’ils avaient signé les accords de Minsk de façon trompeuse, sans intention de les faire appliquer, mais juste pour gagner du temps pour que Kiev s’arme pour attaquer les Russes du Donbass…


Cette vision est contestée mais elle contient une grande part de vrai, même si les Européens ont agi sincèrement. Ceci explique pourquoi Trump a accusé les Européens et Zelensky de s’être lancés bêtement dans une guerre que l’on aurait pu éviter et qu’ils ne pouvaient pas gagner. Pour toutes ces raisons, il n’est absolument pas question pour Trump d’associer les Européens dans la phase actuelle, pas même les Anglais, fidèles alliés transatlantiques.


Les Européens se disent humiliés, déclassés sur leur propre sol, mais en réalité, les pourparlers de Riyad n’ont pas concerné l’accord de paix en Ukraine, mais le rétablissement des relations russo-américaines, préalable aux pourparlers qui vont suivre. Les Européens vont être associés aux discussions dans un second temps lorsqu’ils seront revenus à une position réaliste.


Dans ce contexte, Emmanuel Macron, qui est un excellent communicant, a voulu réunir à Paris certains leaders européens, puis il s’est rendu à Washington avec son homologue Starmer. Mais ce qui ressort de ces réunions pour le moment, c’est surtout les divisions inter-européennes, notamment sur l’envoi de troupes. La preuve, même les très antirusses Polonais se sont opposés à cette solution. Emmanuel Macron est donc en plein illusion quand il évoque l’envoi de troupes.


Quand il en parle, on a le sentiment qu’elles vont être déployées pour vaincre les Russes, mais elles seront simplement des forces d’interposition en cas de nouveau conflit russo-ukrainien. Elles vont dans le sens de la soumission au plan Trump-Kellog, tout en prétendant le contraire, puisqu’elles consistent à envoyer des troupes européennes le long de la future ligne de démarcation que les Américains ne veulent pas assurer.


Est-ce réaliste ou faisable ?


En fait, force est de reconnaître que cela est purement velléitaire. Premièrement parce que les Russes ont déjà dit qu’ils ne veulent pas de troupes de pays de l’UE et de l’OTAN, et qu’ils préfèrent les propositions d’envois de soldats brésiliens et chinois. Deuxièmement parce que les Européens ne peuvent envoyer en permanence sur la ligne de front russo-ukrainienne que 30.000 hommes, soit 10 % de ce qui est nécessaire…

En outre, au cas où des Européens enverraient quand même des troupes, ces armées des pays de l’UE et de l’OTAN seront directement concernées par une logique de riposte et non les États-Unis qui pourront jouer avec la souplesse de l’article 5 de l’alliance atlantique pour ne pas venir prêter main forte à leurs alliés…


Comment analysez-vous les désaccords entre les puissances européennes sur la question de l’envoi des troupes ? Le Royaume-Uni y est favorable. L’Allemagne, par la voix d’Olaf Scholz estime que le débat sur ce sujet est trop « prématuré ».


Le désormais ex-chancelier allemand pratique aussi bien le « en même temps » qu’Emmanuel Macron. Il disait que le débat est prématuré parce que les élections allemandes approchaient et que les deux partis pro-russes, l’AfD et la gauche de Sahra Wagenknecht progressaient dans les intentions de vote. Cela étant, Olaf Scholz, a tout de même affirmé qu’il n’excluait pas cette option si un accord se faisait en totale solidarité avec les Américains. Ce qui est presque impossible : les États-Unis ne veulent justement pas être la puissance qui va garantir la suite des opérations en Ukraine. Ils veulent se débarrasser de ce fardeau. En affirmant cela, l’ex-chancelier allemand sous-entendait qu’ils puissent déployer un contingent sur le sol ukrainien, mais l’administration américaine y est farouchement opposée.


Même Joe Biden était contre. Ainsi, l’UE est divisée, mais de manière quelque peu baroque : Giorgia Meloni qu’on nous présentait au départ comme pro-russe est favorable à l’envoi de soldats, mais avec des conditions complexes. Et encore une fois, les très atlantistes polonais s’y opposent. Tout cela est quand même assez ridicule.


Le cas polonais demeure néanmoins intéressant : si Varsovie n’est pas favorable à l’envoi de troupes, ce n’est pas tant parce qu’elle ne veut pas résister à la Russie, mais davantage parce qu’elle ne souhaite pas participer – tout comme l’Allemagne – à une proposition française. Elle veut aussi garder ses troupes sur son sol en cas de guerre directe avec la Russie et ne veut pas se dégarnir, dans une logique de primauté du national-régalien sur la logique supranationale européenne.


Il y a donc toujours de fortes rivalités entre les puissances européennes, mais surtout cette division nous rappelle que le domaine de la défense est un des seuls qui reste strictement national et incapable de décider au niveau bruxellois ou paneuropéen.


Si Emmanuel Macron a essayé depuis des mois de gagner le leadership sur l’idée de déployer des soldats en Ukraine, ce n’est pas sans déplaire à l’Allemagne qui ne veut pas laisser ce plaisir à la France, qui a envoyé beaucoup moins d’argent et d’armes que Berlin aux Ukrainiens, et encore moins de la part de Londres. Il y a des querelles en Europe qui dépassent le dossier ukrainien.


Le Premier ministre polonais Donald Tusk, a affirmé que « l’amitié [de l’Europe] avec les États-Unis, entre dans une nouvelle phase » Quel regard portez-vous sur ce propos ?


Elle entre effectivement dans une nouvelle phase. Il y a une grande déception pour les pays de l’Est traditionnellement pro-américains qui soutenaient la politique d’expansion de l’OTAN et de l’UE vers l’Est prônée par les néo-conservateurs républicains et démocrates.


Maintenant, l’Amérique cherche à s’entendre avec la Russie et n’est plus du tout ce pays extérieur qui encourage les pays baltes, la Pologne et la Roumanie à rejoindre l’Union européenne et l’alliance atlantique et à encercler toujours plus Moscou.


C’est une douche froide pour ces pays qui vont être freinés dans leur posture va-t-en-guerre contre la Russie par Trump alors que tous ses prédécesseurs ont prôné le contraire et aidé ces pays à se venger de l’État successeur de l’URSS, à l’encercler en échange d’une promesse de sécurité en réalité qui est désormais caduque.


Concernant l’Europe de l’Ouest, c’est encore pire. Regardez ce qu’il s’est passé lors de la conférence sur la sécurité à Munich : le vice-président Vance a assené quelques vérités sur l’état de la liberté d’expression et de la démocratie sur le Vieux Continent, ce qui a par ailleurs, fait fondre en larmes l’organisateur de cet événement.


Ainsi l’Europe de l’Ouest ne sait plus où elle est, parce qu’elle voit désormais l’Amérique comme un ennemi idéologique qui soutient les forces populistes, d’extrême-droite ou souverainistes partout – même l’AfD en Allemagne.


Je note d’ailleurs que JD Vance a déploré le sort réservé au candidat pro-russe en Roumanie Calin Georgescu et a rencontré non pas l’ex-chancelier allemand mais la leader paria du parti allemand d’extrême-droite AfD – bien qu’il soit considéré comme l’un des plus extrémistes en Europe, au point que le Rassemblement national a coupé les ponts avec lui.


Elon Musk, grande figure de la nouvelle administration américaine a également appelé les Allemands à voter pour ce parti. C’est très déstabilisant pour les Européens qui ne seront plus encouragés dans leur croisade antirusse qui est l’une des origines de la radicalisation de Moscou d’ailleurs.


Quid des problèmes et contentieux de fond russo-américains et russo-atlantiques, ils ne vont pas disparaître subitement après quelques propos de Donald Trump ?


En géopolitique, tout est mathématique : si l’OTAN ne s’était pas étendue toujours plus vers l’Est et si certains pays n’avaient pas installé des missiles ou des anti-missiles qui permettent de réduire la capacité d’interception russe, la situation serait différente aujourd’hui.


L’installation de missiles est à l’origine du contentieux entre l’Occident et Moscou, plus que l’extension de l’OTAN. D’ailleurs, quand Vladimir Poutine a menacé l’Occident d’une guerre en 2007, c’était à cause de l’installation de batteries anti-missiles américaines en Europe de l’Est par George W. Bush. Ce dernier ne voulait pas tenir compte des préoccupations de sécurité.


Et les pays de l’Est étaient tout à fait ravis de jouer le rôle de ceux qui allaient encercler les Russes. Aujourd’hui, ils sont lâchés par l’administration américaine et Trump, adepte de la théorie stratégique et diplomatique de Nixon et Kissinger, a compris que la priorité étant de combattre et endiguer l’ennemi chinois global. Il convient pour lui de séparer Pékin de Moscou en prenant enfin en compte les préoccupations de sécurité de la Russie au niveau continental.


D’une certaine manière, dans ce contexte de reset russo-américain, qui motive l’Administration Trump à abandonner en partie la sécurité de l’Europe, Emmanuel Macron n’a pas eu tort de réunir les leaders européens et de reparler de défense européenne. Car ce lâchage américain, qui n’est pas total, a pour but d’obliger les Européens à enfin prendre leurs responsabilités et à ne plus être assistés. Nous allons enfin pouvoir être maîtres de notre propre destin. Au lieu de pleurnicher et diaboliser Trump, Rubio et Musk, les Européens devraient prendre leurs responsabilités et revenir dans l’histoire, c’est-à-dire cesser d’être un protectorat volontaire de l’empire américain.


Hélas, force est de reconnaître que les réunions du président français à Paris se sont davantage soldées par une accentuation des divisions entre Européens et des aveux de faiblesses, que par une réaction coordonnée – d’autant que la possibilité d’envoi de 30.000 hommes maximum en Ukraine frise le ridicule.

L’échec est lié à une raison simple : la défense relève du régalien. Elle ne peut pas être organisée par une structure supranationale qui n’est même pas une fédération. Si l’Europe était une fédération comme la Suisse ou les États-Unis, elle pourrait avoir son armée. Mais les domaines de la défense et de la sécurité demeurent souverains et nationaux et sont votés au niveau européen à l’unanimité, et pas à la double majorité qualifiée qui serait la seule façon d’avoir plus de cohérence.


 

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