Destin méditerranéen, immigration, communautarisme, délinquance : Marseille sans fatalisme mais sans
Fondée par les Grecs-Phocéens (Μασσαλία, Massalía) en 600 avant JC, Marseille figure parmi les plus anciennes villes de France. Depuis l'Antiquité, elle est un très important port de commerce de Méditerranée. Avant la décolonisation, la ville phocéenne fut connut une prospérité portuaire qui n'a cessé depuis de décliner. "Grâce" aux dockers grévistes liés au parti communiste et à des syndicats agissant souvent comme des mafias politiques, cette activité portuaire qui fit la richesse de la ville fut ruinée et avec elle la réputation même de Marseille en tant que grand port depuis lors hélas concurrencé par Gênes, Barcelone ou même Valencia ou Anvers.... La chute de la ville s'est poursuivie depuis, un temps au profit de la voisine rivale-honnie Aix "la Bourgeoise" - véritable repli pour certains ex-marseillais et antithèse de ce que représente Marseille - jusqu'à la reprise récente initié dans les années 2000. Depuis quelques années en effet, après une rénovation réussie du centre-ville et l'ambitieux plan euro méditerranée, la Cité est redevenue attractive, attirant même les stars parisiennes, de Franz-Olivier-Giesbert à Arditi en passant par Christine Lagarde. Et la ville portuaire est depuis les années 1990 le siège de la CMA, la Compagnie maritime d'affrètement, une success-story incroyable qui a fait de l'entreprise du libano-marseillais Saadé la première compagnie maritime d'Europe et l'une des grandes mondiales. Que s'est-il passé? Qu'en est-il Toutefois réellement? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré une figure politique montante de la ville, Bruno Gilles, qui s'est déjà lancé dans la course aux élections municipales dans la perspective désormais inévitable d'un départ de l'indéboulonnable Gaudin.
La Ville d'Edmond Rostand (dramaturge) et de Pierre Bellon (créateur de Sodexo, un des premiers employeurs mondial) ne laisse personne indifférent, tant en France, de Paris à Biarritz (où elle est tantôt vantée pour la jovialité de ses habitants, popularisée par Pagnol, jalousée pour son histoire phocéenne-gréco-romaine, son "patriotisme de ville" et son mythique OM), qu'ailleurs en Europe ou en Méditerranée (Naples y voit sa soeur-jumelle). Elle est souvent dénigrée par les uns, hier comme une "capitale mafieuse" ingérable corso-italienne (Spirito, Carbone, Guerini, Zampa), aujourd'hui comme le fief de la multi-délinquance, des communautarismes et de l'immigration afro-maghrébine massive. Elle fascine tout autant les autres, ce qui explique que l'évocation de son nom attire l'attention partout en France et même à l'étranger, où elle détrône Lyon, son éternelle rivale. Depuis plusieurs années, la crise économique aidant, c'est sa place comme "deuxième ville de France" qui semble toutefois disputée par cette dernière, plus industrieuse et laborieuse, paraît-il.
Quant à l'islamisme radical, il a étrangement "percé" assez tardivement" dans cette ville pourtant marquée par le Maghreb mais qui a su longtemps intégrer si bien et si rapidement les nouveaux venus (Italiens, Arméniens, Pieds noirs espagnols ou sicilo-maltais, Sépharades, gitans puis maghrébins). Multicommunautaire, mais unie autour de l'amour de la ville et du "ballon" (on ne dit pas foot ici!), la Ville est ainsi à la fois la "première" ville italienne de France - la "Naples locale" - la première ville Pied-noir, jusqu'à en avoir pris moult expressions et même copié la prononciation pied-noire des "t" et des "d", devenus ("tchi" et "dji"), la première ville Corse, la première ville des communautés arménienne et juive, bien avant d'être une des "premières villes arabes" de France, ou plutôt kabyle, car la majorité des Maghrébins de la ville sont des Kabyles et des Berbères. Marseille est devenue depuis vingt ans également la première ville des diasporas comorienne et malgache, tandis que les Vietnamiens et les Gitans hispano-catalans sont aussi en très bonne place. Au-delà de ce kaléidoscope incroyable, qui ne signifie pas forcément melting-pot et qui a inspiré l'ambitieux projet "intégrationniste" Marseille Espérance", la Cité phocéenne est toujours officiellement la deuxième commune de France avec ses 862 211 habitants, et la troisième unité urbaine avec 1 587 537 âmes. Elle est depuis 2016 le siège de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, la seconde plus peuplée de France avec 1 873 707 habitants. Elle n'a pas dit son dernier mot, et Bruno Gilles a accepté de nous rencontrer pour en parler.
Alexandre del Valle : Bruno Gilles, vous êtes maire honoraire des 4e et 5e arrondissements de Marseille, Sénateur et président de la fédération LR des Bouches-du-Rhône. Par ailleurs, vous êtes, depuis un an, le premier candidat déclaré à la mairie de Marseille pour les municipales de 2020.
Quel peut être le rôle de la Cité phocéenne dans le contexte européen mais surtout méditerranéen ?
Bruno Gilles : Marseille est le phare de la Méditerranée. Notre ville est une fenêtre ouverte sur l’Afrique, sur l’Asie, sur le Monde. La position stratégique de Marseille en fait l’interface, le lieu d’échanges et de rencontres entre le Nord et le Sud. C’est une chance pour l’Europe, pour la France, pour Marseille. Notre Cité phocéenne possède un rayonnement international certain et en perpétuel développement. Marseille a ainsi de grandes responsabilités, tant sur le plan européen et méditerranéen qu’international. Ainsi, pour les générations futures, nous devons faire face aux défis et aux enjeux géopolitiques et socio-économiques. Je pense notamment à la pression migratoire, aux incertitudes et à l’instabilité politiques, au terrorisme ou encore au radicalisme religieux. Ces problématiques, qui sont en train de se jouer au Sud de la Méditerranée, supposent du prochain Maire de Marseille de développer une réelle et véritable politique internationale, tout en réorientant ses moyens et en priorisant ses objectifs. La deuxième ville de France doit devenir la tête de pont pour la diplomatie française et européenne en Méditerranée. En ce sens, je fixe trois objectifs pour Marseille :
Tout d’abord, je souhaite mettre en place une nouvelle coopération décentralisée qui devra se pencher, non seulement sur des questions philosophiques, morales (exigence de démocratie) ou culturelles, mais aussi, et surtout, sur des questions économiques et environnementales. Il en va notamment de la création d’emploi ou lancement de grands projets euro-méditerranéens dans lesquels les entreprises françaises peuvent jouer un rôle moteur : qu’il s’agisse de l’eau, de l’assainissement, des énergies renouvelables (autour d’un Plan solaire méditerranéen), de la coopération agricole et alimentaire, de l’industrie du médicament et de la santé, du tourisme, etc. Ensuite, en complément de cette coopération décentralisée nouvelle, je souhaite davantage ancrer les relations entre Marseille et l’Afrique. En 2018, Marseille a accueilli 95 représentations étrangères, dont 42 issues de l’Europe. Tout en poursuivant de telles collaborations avec notre Continent, il serait bon de se tourner davantage vers le continent Africain et encourager de nouvelles manifestations faisant de Marseille un véritable hub d’échanges et d’innovation. Enfin, il faudra relancer le dialogue entre les pays du bassin méditerranéen via, par exemple, l’instauration de « jumelages triangulaires » thématiques. Il peut s’agir de francophonie, d’éducation, de culture, de migration, de sécurité, de radicalisation, etc. Ainsi, Marseille deviendra effectivement la capitale de l’échange et du débat en Méditerranée. Il nous faut mieux comprendre les-uns les-autres. Il nous faut des projets culturels forts. Je pense à la création d’un réseau de bibliothèque inter-méditerranéennes, ou encore à la réalisation d’une structure prenant la forme d’un « Marseille Méditerranée Espérance » ...
Il y a tant de choses à faire.
ADV : Dans le domaine de la délinquance, les résultats de Grenoble ou certaines villes de la Seine Saint Denis sont parfois pires que ceux de Marseille, souvent montrée du doigt.
Pour vous, dont un des modèles politiques est Charles Pasqua, l’insécurité et la criminalité liée aux trafic des drogues sont-elles des fatalités ?
BG : Je ne crois pas à la fatalité. Lorsque vous êtes un décideur public, vous ne pouvez pas vous résigner à la fatalité. Faute de quoi vous êtes inutiles et faites perdre du temps à ceux qui vous ont confié la tâche de gérer leur ville ou de les représenter au Parlement. Il nous faut lutter sans répit contre l’insécurité ; il faut agir concrètement pour lutter contre la criminalité liée aux trafics de drogues. Voilà ce qui gangrène Marseille depuis des années. Voilà un fléau qui frappe notre jeunesse et qui met en danger les Marseillaises et les Marseillais.
Voilà un problème qui doit devenir une priorité. Une priorité locale mais aussi et surtout une priorité nationale. Si les questions d’ordre public relèvent de la compétence certaine du Maire, l’importance des problématiques rencontrées suppose un soutien sans faille de l’Etat. Des moyens supplémentaires de Police nationale. Un renfort de magistrats. Bien sûr que je me suis félicité de la venue du Comité interministériel à Marseille consacré l’installation de l’Office anti-stupéfiants. Pour autant, je m’interroge sur ses chances de succès. Je pense en premier lieu aux Marseillaises et aux Marseillais pris en otage par les trafiquants, qui subissent la violence au quotidien et qui ont peur pour leurs enfants. Il n’est plus possible de prétendre acheter la paix sociale par de fades mesurettes …
En effet, la principale interrogation, tant pour les Marseillaises et les Marseillais riverains des quartiers minés par les trafics de drogue que pour les forces de l’ordre, demeure celle des moyens qui seront alloués à cette mission.
De plus larges effectifs devront véritablement être mobilisés afin de lutter efficacement contre les réseaux, notamment d’acheminement de la drogue, en mobilisant les moyens de la Police nationale, de la Gendarmerie mais aussi des Douanes et du Ministère de la Justice.
Tel était l’esprit des Groupes d’Intervention Régionaux (GIR) constitués de gendarmes et de policiers, mais aussi d’agents des douanes, des impôts, de l’URSSAF et de l’inspection du travail, mis en place dès 2002 par Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur. En effet, il est important que la lutte contre les trafics de drogue appelle à plus grande sanction de la délinquance financière.
Parallèlement, cette action coordonnée suppose d’associer un volet social à la répression et je souhaite que les Ministères de l’Education nationale et des Solidarités et de la Santé soient associés à cette réflexion interministérielle. En effet, il en va des enjeux sociaux et de santé publique pour notre jeunesse.
Enfin, les moyens des collectivités territoriales doivent pouvoir accompagner l’effort des services de l’Etat.
En proposant dans mon programme participatif pour les élections municipales de mars 2020 à Marseille une augmentation des effectifs de Policiers municipaux à 1.000 agents, je veux que ces derniers soient davantage mobilisés sur des missions du quotidien afin de soulager les effectifs de la Police nationale.
Cette dernière pourra pleinement se consacrer à la lutte contre le banditisme et ramener l’ordre public dans les quartiers trop longtemps victimes d’insécurité.
Les Marseillaises et les Marseillais ont trop longtemps souffert d’un manque de volonté politique.
Ma détermination et mon engagement pour leur sécurité seront sans faille. J’en prends l’engagement.
ADV : Longtemps dans les années 1980-90, Marseille avait été relativement épargnée par le communautarisme, les affaires de voiles et plus généralement par le fléau de l’islamisme radical.
Que s’est-il passé depuis ?
Quelle est la part de la responsabilité des politiques selon vous ?
BG : Bien sûr qu’il y a une part de responsabilité du politique. Un manque de volonté politique. Un manque de courage politique. Une peur de dire les choses sans doute.
Il faut changer de grille de lecture.
Le communautarisme et la radicalisation religieuse se nourrissent des problématiques qui minent notre société en général et Marseille en particulier. Sur ce terrain-là, nous devons apporter une réponse précise et efficace.
Il n’est plus possible de laisser des quartiers totalement à l’abandon, en proie à la pauvreté, à l’oubli des pouvoirs publics et à la délinquance.
Voilà ce qui nourrit et met en place un environnement propice à la rupture avec les valeurs républicaines et avec le vivre ensemble.
Nous devons également envoyer un signal fort, aussi bien à nos concitoyens qui subissent cette dégradation du vivre ensemble qu’à ceux qui en sont à l’origine.
Les pouvoirs publics, les politiques ne doivent pas céder aux sirènes de l’angélisme, du sentimentalisme ou des demi-mesures.
Voilà ce qui est le plus dangereux pour notre société. Le laxisme et la lâcheté.
Il faut sans cesse se battre pour défendre et faire respecter les idéaux républicains. Il n’est plus possible de laisser se répandre des discours de haine ou de rupture avec la société française.
Il ne peut plus y avoir de Territoires perdus de la République, pour reprendre le titre d’un ouvrage écrit par des enseignants en 2002 et qui tiraient déjà la sonnette d’alarme face au communautarisme à l’école. Ce n’est pas simplement par la voie de l’éducation que nous arriverons à endiguer ce problème. Il faut s’attaquer en profondeur au problème de l’endoctrinement précoce et se doter enfin des moyens de lutter contre.
ADV : Récemment, Valérie Pécresse et Guillaume Larrivé ont été très loin sur la question de l’immigration, y compris concernant l’AME et le droit du sol, plus loin encore que le Président Macron qui a réhabilité verbalement le sujet.
Est-ce une question importante pour vous et qu’en pense celui qui brigue la fonction de maire d’une ville très marquée par l’immigration ?
BG : Tout d’abord, je considère qu’il n’y a pas de sujet tabou. Dès lors qu’il y a une réflexion, un questionnement dans notre société sur sujet, même considérés comme politiquement sensibles, nous devons avoir le courage de les aborder. J’ai entendu l’appel de Valérie Pécresse qui plaide pour un « choc d’autorité » en matière de politique migratoire. Il est évident que la France apporte son aide à ceux qui sont dans la précarité et qui font face à la maladie, sans considération autre que la vie humaine. Pour autant, cette pétition de principe ne saurait servir de couverture à une plus sombre réalité. Il est donc tout aussi évident et plein de bon sens de mettre en place davantage de contrôle dans le jouissance des droits sociaux ouverts aux étrangers en situation régulière ou non, notamment en ce qui concerne l’Aide Médicale d’Urgence. Le gouvernement souhaite ouvrir un grand débat sur la question de l’immigration. Il est normal de s’interroger sur le fonctionnement et le coût de cette aide, notamment dans une période de grande difficulté budgétaire et financière pour la France. Une complète information sur ce sujet est indispensable. Il faut que le gouvernement agisse avec rigueur et qu’il cesse de tenir un discours non suivi d’effets. Je me réjouis qu’il existe à droite une certaine identité de vue en la matière. Sur la question du droit du sol, les choses sont plus complexes. Il s’agit là d’un mécanisme juridique qui a vu le jour il y a plus de 150 ans et qui est au cœur du modèle républicain français. Je pense qu’il faut prendre le temps de la réflexion et ne pas prendre de positions tranchées qui risqueraient de fracturer encore plus les français sur la question migratoire. Ne serait-ce que pour des considérations pratiques, le droit du sol facilite les démarches de reconnaissance de nationalité y compris pour les enfants nés en France de parents français. Ce n’est pas un sujet qui se traite sur un coin de table ou dans un débat télévisé. Il faut permettre au Parlement mais aussi aux français de pouvoir décider en toute connaissance de cause. En cela, la proposition de Guillaume Larrivé d’une réflexion collective, par voie référendaire ou non, par voie constitutionnelle ou non, les modalités étant encore à réfléchir, me parait être une bonne chose. Le débat doit être posé. Il y a une vraie attente de nos concitoyens et je la comprends.
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