Les Français veulent renouer avec le réel !
Alexandre del Valle a interrogé Emmanuel Razavi, grand reporter et directeur de la rédaction du site GlobalGeonews, pour recueillir le point de vue d'un journaliste de terrain sur la gestion politique de la crise sanitaire en France mais aussi sur son impact sur les relations internationales.
Entretien avec Emmanuel Razavi, Grand Reporter et directeur de la rédaction du site d’informations GlobalGeonews.com, qui regroupe un million de lecteurs et a reçu plusieurs distinctions journalistiques internationales pour ses centaine de reportages à travers le monde. Alexandre del Valle a voulu recueillir le point de vue d'un journaliste et analyste de terrain, tout d'abord sur la gestion politique de la crise sanitaire en France, mais aussi sur l’impact qu'elle allait avoir sur les relations internationales dans les mois à venir, sans oublier la fracture ethno-sociale suite aux affaires Traoré et George Floyd....
Alexandre del Valle : Peut-on comparer la crise sanitaire du covid à ce que vous avez connu dans certaines zones de guerre ?
Emmanuel Razavi : La crise sanitaire a été difficile à vivre pour beaucoup de gens qui se trouvent dans la précarité, ou pour ceux qui n’ont pas pu dire adieu à leurs morts. Cependant je ne pense pas que ce que nous avons vécu soit comparable à une guerre. Une guerre se caractérise par le fait qu’il y a conflit armé entre des États. Ensuite, dans une guerre, la plupart du temps vous manquez de tout, vous êtes obligés de vous rationner. Et puis il y a le bruit des tirs, des obus, les champs de ruines … Votre physique et votre psychisme sont sollicités en permanence. Là, on n’a plus entendu le bruit des avions, il y a eu moins de voitures. Dans une guerre, enfin, il y a souvent l’adhésion d’un peuple autour d’un ou plusieurs chefs qui fixent un cap et une stratégie. En France, ce que l’on peut constater, c’est que les chefs, comme le cap, ont manqué. En fait, la rhétorique guerrière, dans le type de situation que nous vivons, tend surtout à empêcher toute forme de démarche critique vis-à-vis du pouvoir.
ADV : Les reporters de votre site, Globalgeonews, ont produit près d’une centaine de reportages pendant le covid. Vous avez donc une perception de ce qui se passe sur le terrain. Comment analysez-vous la gestion de la crise par le gouvernement en termes de communication politique, et la façon dont elle a été perçue par les Français ?
ER : En France, il y a eu trois temps dans la communication du gouvernement. D’abord celui où il a eu du mal à nommer les choses et à parler de pandémie. Il faut se souvenir des propos d’Agnès Buzin, ou encore du président Macron sortant au théâtre pour nous faire passer le message que tout était sous contrôle. Ensuite, il y eu le temps du mensonge sur les masques, qui a mis en évidence les failles de notre système. Enfin, il y a eu celui de la tentation du contrôle de l’information, d’une part avec la création de la plateforme gouvernementale Desinfox qui a expliqué aux Français quels étaient les « bons médias » et ceux qui ne l’étaient pas, et d’autre part l’adoption de la loi Avia contre les contenus haineux sur Internet qui est tout simplement idiote et liberticide. Tout cela a concouru à décrédibiliser le pouvoir aux yeux d’une partie des Français qui peuvent lui pardonner les erreurs, mais pas les mensonges et la dérive autoritariste.
ADV : Médecins, policiers, enseignants, paysans, petits patrons, bénévoles... Vous avez donné la parole à la France des territoires, celle qui s’est mobilisée sur le terrain pendant la crise. Comment vous est apparu le visage politique des Français en 2020 ?
ER : Dans leur immense majorité, les Français ont fait preuve d’une efficacité étonnante, à commencer par le corps médical. Les enseignants, les policiers ou encore les patrons de PME ont été très mobilisés et aussi efficaces qu’ils pouvaient l’être. Ce qui nous est apparu, c’est que les Français ont fait preuve d’un sang-froid étonnant, d’une volonté et d’une débrouillardise formidable. Il ne faut pas oublier que ceux qui ont fait tourner le pays pendant la crise sont ceux-là même que le gouvernement n’a eu de cesse de mépriser durant la crise des gilets jaunes, quoiqu’on pense de leur mouvement. Après, l’autre réalité, c’est qu’aux yeux des Français, il y a trois France. Celle des palais parisiens et des élites. Celle de la province, et celle des territoires perdus à l’instar de certaines cités. Trois France qui ne se comprennent plus. Celle des palais - qui est aussi celle des experts - est coupée de la réalité des territoires qu’elle ne connaît pas. Celle des provinces est au contraire ancrée dans le réel, incarnant à la fois l’expérience du terrain et le véritable lien social. Quant à celle des cités, elle vit souvent en marge des règles sociales et des lois, mais ce n’est pas nouveau. Ce sont les voyous et les islamistes qui y font la loi depuis 30 ans. La crise n’a fait qu’accentuer le phénomène, montrant un peu plus la faillite de nos politiques en ce domaine.
ADV : La France vous apparaît donc plus fracturée qu’avant la crise ?
ER : A travers nos reportages, on constate que la France connaît des clivages très profonds, qui ne sont toutefois pas nouveaux. Ce qui est nouveau, c’est la prise de conscience qu’un certain discours n’est plus acceptable. Il y a en fait deux tendances qui se dessinent. D’un côté des financiers et des politiques qui ont vanté la mondialisation et le multiculturalisme au nom d’un progressisme dévoyé. Ceux-là prétendent incarner l’élite et le camp du bien. Et de l’autre côté, il y a une population ancrée dans le réel, attachée à ses valeurs, à ses traditions et son identité. C’est assurément cette France du réel qui se pense et s’organise de façon pragmatique, qui construit le pays par son travail et son attachement au territoire. Elle apparaît plus cohérente que celle des experts parisiens, car ce que nous constatons, c’est que s’y côtoient de façon plus ouverte et plus égalitaire médecins, patrons, paysans, enseignants ou chômeurs. Nous avons aussi montré que dans plusieurs régions, la France comptait de grands spécialistes dans différents domaines et des entrepreneurs innovants reconnus mondialement. La vie de la France ne se joue donc pas qu’à Paris, loin de là. La France connaît en fait une crise systémique. Les financiers et les technocrates qui en ont pris le contrôle ont voulu « rationnaliser » depuis Paris, imposer des économies et délocaliser, sans s’appuyer sur aucun projet de société. Ils ont imposé parallèlement un discours globalisateur, ultralibéral et faussement progressiste qui est déconnecté du réel des Français. Ce discours ne passe plus.
ADV : Que pensez-vous des attaques dont le professeur Raoult a été la cible ? de quoi sont-elles le nom ?
ER : Qu’il ait tort ou raison sur la chloroquine, ce n’est pas aux médias généralistes d’en juger, car nous n’en avons pas, il me semble, la compétence. Toutefois, que l’Exécutif ait prêté le flanc à une guerre commerciale menée par certains laboratoires américains pour discréditer un chercheur français interpelle forcément. Un gouvernement ne peut en effet prétendre servir la France en se couchant « en même temps » devant les lobbys. On est en fait dans l’inversion des valeurs, où ce sont les conflits d’intérêts qui l’emportent sur la compétence. Raoult a été la victime de cette France des palais qui croit incarner l’élite, alors qu’incontestablement, il est plus légitime que certains de ses détracteurs.
ADV : Les pays en crise que vous avez couverts durant votre carrière de grand reporter ont-ils changé après avoir retrouvé la stabilité ?
ER : Une sortie de crise, quelle qu’elle soit, induit toujours un certain nombre de réflexions (géo)politiques. Si elles sont menées avec ceux qui représentent la société réelle, alors il y a des évolutions. Toutefois, je n’ai jamais vu une société changer du jour au lendemain. Pour que les choses évoluent un tant soit peu, il faut qu’émerge une nouvelle forme d’organisation politique avec des gens nouveaux qui ont la connaissance de la société et des territoires, et qui ont une vision. Il faut en fait remettre de la pensée au cœur du politique, tout en s’appuyant sur l’expérience de ceux qui sont légitimes et qui sont connectés au monde réel. Il faut aussi avec des gens qui maîtrisent la question des relations internationales, car la France doit tenir sa place de puissance dans le monde. Des personnalités capables de faire la synthèse de ces trois notions existent assurément, puisque nos reporters les rencontrent et leur donnent la parole. Mais elles demeurent assez peu écoutées, voire méprisées par ceux qui nous dirigent.
ADV : Votre site GlobalGeoNews est reconnu pour la qualité de ses analyses géopolitiques, souvent très en avance sur les grands bouleversements du monde. Vous-même êtes spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient où vous avez vécu et travaillé. Quels sont les grands changements à venir ?
ER : Grâce à nos correspondants dans le monde, nous avons couvert la crise du Covid en Chine, en Iran, au Pakistan, aux USA, en Israël, en Allemagne ou en Espagne. Tous ces pays sont impactés économiquement de façon très violente. En clair, l’OMT parle de dizaines de millions d’emplois qui risquent de disparaître, même si ses chiffres restent encore discutables. Le continent américain, comme l’Europe, sont déjà très impactés. Dans beaucoup de pays se pose ainsi la question d’un retour à une forme de souverainisme industriel. Cela va donc avoir un impact sur leur politique intérieure mais aussi sur leurs relations économiques à l’international. Pour relancer leur économie, il y a fort à parier que les Américains vont investir massivement dans l’industrie militaire. Les cartes de la géopolitique vont aussi être rebattues. D’abord par le biais des tensions entre la Chine et les États-Unis, mais aussi des repositionnements de la Russie. Cela sera aussi vrai au Moyen-Orient, où des pays comme l’Arabie saoudite, l’Iran ou le Qatar, déjà très fragilisés politiquement, vont l’être encore davantage et mettre encore plus la zone sous tension. Nous sommes dans un moment de l’Histoire où tout peut arriver. La personnalité des grands dirigeants de ce monde, leur vision et leur faculté à anticiper ces changements, comme l’élection présidentielle aux États-Unis, vont être plus que jamais déterminantes pour l’avenir et la paix du monde.
ADV : Que pensez-vous des manifestations et des violences qui ont suivi la mort de Georges Floyd, et qui sont aujourd’hui importées en France ? Que pensez-vous également des symboles qu’on attaque, comme ces statues qu’on déboulonne aux USA ou du film Autant en Emporte le vent qui est censuré ?
ER : Ce crime est abominable et donc je partage pleinement l’émotion et l’indignation qu’il a suscitées. Mais comparaison n’est pas raison, et la France n’est pas les Etats-Unis. Déjà parce que nous n’avons pas la même histoire, pas la même culture sociale et politique. Je vous rappelle quand même que l’acteur préféré des Français est Omar Sy. Que contrairement aux inepties racontées par Virginie Despentes qui ne connaît visiblement pas son histoire, nous avons eu des ministres noirs. Oui, bien sûr que le racisme existe chez une minorité. Mais cela ne veut pas dire que les Français le soient. Au contraire, la France est un pays intégrateur, qui ne peut être comparé aux USA en termes de modèle social et de projet de société. Notre police n’est pas davantage la police américaine. Elle est d’ailleurs assez exemplaire et a une haute conscience de sa mission républicaine, même si comme partout il y a des brebis galeuses.
Le problème, c’est que nous sommes dirigés par des gens qui ne connaissent pas notre histoire, qui n’ont aucune profondeur politique et qui sont acquis au discours minoritaire. Aujourd’hui, des groupes/lobbies ethnicisés minoritaires veulent en effet faire voler en éclat le pacte républicain et le gouvernement qui a cédé face à eux au nom de "l’émotion". C’est idiot, car ces organisations ne se reconnaissent pas dans nos valeurs de vivre ensemble et veulent culpabiliser la société. Ainsi, entre un ministre de l’Intérieur qui affirme niaisement que l’émotion dépasse les règles juridiques, et un gouvernement qui cède aux organisations communautaristes parce qu’il a peur, on se demande bien qui est encore garant de l’État de droit dans notre pays. Churchill a dit : « Vous avez voulu éviter la guerre au prix du déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ». Castaner devrait méditer cette phrase. Soyons clair : le gouvernement actuel participe à la diffusion d’un story-telling dangereux qui incarne « le vide de la pensée » contre lequel la philosophe et politologue Hannah Arendt mettait en garde. Le plus grave, c’est qu’à force, il nous entraîne vers une forme de partition de la société en encourageant implicitement les Français à se dresser les uns contre les autres.
Pour répondre enfin sur les symboles, une nation a besoin de symboles pour se forger une identité, un roman national. Leur destruction est une attaque en règle contre l’histoire et la construction de la nation. Un symbole a vocation à fédérer, à ancrer l’imaginaire et la conscience collective dans une histoire commune. Et c’est cette histoire commune que refusent ces minorités activistes d’extrême gauche. Rien n’est par ailleurs plus dangereux que la censure d’un grand film. Autant en emporte le vent est bien sûr le témoignage et la marque cinématographique d’une époque révolue, mais il reste néanmoins un témoignage important. En fait, nous nous enfonçons de plus en plus dans la dictature de la pensée minoritaire extrémiste et révisionniste, et c’est très dangereux pour la démocratie.
ADV : Y-a-t-il un risque de guerre civile en France ?
ER : Je ne crois pas à une guerre civile telle qu’on en a pu en connaître à travers l’histoire. Mais qu’il y ait un risque d’explosion sociale et communautaire très violente à travers certains territoires, assurément. Toutefois, la guerre civile, c’est ce que cherchent à provoquer l’extrême gauche et ses alliés communautaristes. Il faut donc prendre cette hypothèse au sérieux, et mettre notamment un terme à l’action des mouvements qui prônent un communautarisme importé des USA comme du Moyen-Orient, car ils déstructurent la société et la fragilisent en attendant le grand soir. Les policiers alertent sur cette situation. Ils savent de quoi ils parlent, étant en prise directe avec cette France du réel. Mais ils sont aussi fatigués. Beaucoup nous ont confié leur incompréhension vis-à-vis d’un pouvoir politique devenu trop permissif avec les voyous, comme avec le communautarisme. Pour eux, la crise du Covid n’a fait qu’accentuer davantage une problématique déjà existante depuis de nombreuses années. Ce que l’on constate enfin sur le terrain, c’est que les gens sont surtout exaspérés par le story-telling de l’Exécutif qui vit dans une réalité qui ne correspond en rien à leurs préoccupations quotidiennes. Tous ces éléments font que la situation est très préoccupante.
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