Alexandre del Valle : La Russie est-elle une « menace existentielle » pour la France et Emmanuel Macron ?
CHRONIQUE. La surenchère verbale lors du live du 20 février dernier, visait à faire peur aux Français pour qu’ils acceptent des sacrifices économiques et sociaux pour justifier une augmentation du budget de défense.
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D’après le chef d’État, l’ingérence et les hackings russes, le rapprochement deMoscou avec des régimes africains, les cas de disparitions d’oligarques russes à Londres, assimilés à des « actes terroristes », et bien sûr l’horrible guerre en Ukraine, attesteraient que la Russie serait une « menace existentielle » pour nous.
D’où la nécessité pour Macron d’augmenter les budgets de défense afin que notre pays puisse faire face à une guerre russe contre l’Europe. Avant de répondre à la question posée, précisons qu’une menace existentielle désigne « un danger mortel pour la survie ou la continuité de la nation en tant qu’entité politique, sociale et culturelle, danger menaçant l’intégrité territoriale du pays, sa population, et ses institutions. Cela peut inclure des attaques militaires à grande échelle, une invasion, une guerre nucléaire ou des catastrophes économiques et sociales qui compromettent le fonctionnement de l’État ». En sommes-nous là ?
Pour étayer le propos présidentiel, les commentateurs du soir de LCI mentionnent « l’immigration vers l’Europe organisée par la Russie depuis la Libye ou la Biélorussie », un risque d’agression russe des Pays Baltes puis des pays de l’Ouest…
Sachant que Moscou a déjà eu du mal à conquérir, depuis 2014, 18 % de l’Ukraine, et que l’immigration illégale depuis la Libye vient de la partie occidentale sous contrôle islamiste et aide occidentalo-turco-qatarie, et non de la partie opposée de l’Est, « pro-russe » (Haftar), les exemples cités sont d’autant plus pauvres que les passeurs de migrants illégaux sont aidés non pas par des bateaux russes mais des navires affrétés par des ONG occidentales anti-frontiéristes financées par des milliardaires comme Soros et des États de l’UE plutôt russophobes. Passons.
Des menaces existentielles et multiples aux yeux d’Emmanuel Macron
Quant aux accusations d’assassinats d’oligarques en Europe, imputés à Moscou par l’Establishment et non par la justice, on sait que les oligarques russes et ukrainiens ont toujours eu une fâcheuse tendance à s’entretuer… mais pas à attaquer les populations dans les terrasses ou les sales de spectacles.
Cela signifie que l’on résonne sans émotion, la mort, dans des circonstances étranges, d’oligarques étrangers est déplorable, mais aucunement assimilée à des actes de « terrorisme » comparable aux attaques de Daech ou Al-Qaïda qui elles ont visé aveuglément des citoyens français. Hélas, nombre d’États ont éliminé illégalement leurs opposants, ennemis ou ex-espions retournés, mais dans ce cas, il faudrait aussi mentionner la Turquie et Israël, très liés à l’Occident, qui ont fait tuer des opposants ou ennemis sur la sol français dans le passé lointain et récent ; mais aussi l’Algérie ou le Maroc.
Et si l’assassinat d’ennemis basés à l’étranger était la marque d’une « menace existentielle », alors la France serait l’ennemi existentiel de l’Irak et de la Syrie (où des centaines de jihadistes ont été neutralisés » depuis 2014).
Et l’Arménie serait l’ennemi existentiel de l’Allemagne, où des responsables turcs du génocide des Arméniens ont été éliminés par des justiciers arméniens des années après le génocide. Lorsque Mitterrand confiait à George Marc Benhamou que les Etats-Unis livraient une « guerre sournoise, massive, informationnelle et géoéconomique à la France », alors on peut en conclure dans la logique d’Emmanuel Macron que les Etats-Unis représentent une menace existentielle.
La menace des programmes d’espionnages américains
On peut notamment citer les lois extraterritoriales américaines illégales qui permettent au Trésor américain de racketter les grandes entreprises françaises (BNP Paribas, Société générale) depuis des années et les nombreux cas d’attaques géoéconomiques des États-Unis contre nos industries et sociétés.
Toujours dans la même logique, si M. Macron considère que les « d’ingérence », les disséminations de fake-news, de hackings et autres cyberattaques ou espionnage de masse sont les marques d’une « menace existentielle», même mineures (car heureusement la France n’a pas subi d’attaques cyber contre ses infrastructures stratégiques), alors la pire menace existentielle pour la France et l’Europe ne sont pas les hackers russes et chinois, presque impossibles à prouver selon les experts, mais les programmes d’espionnage de masse américains (réseaux Echelon et Prism) de la National Security Agency (NSA), les covert actions de la CIA, et les incroyables et permanentes ingérences des ONG paraétatiques américaines comme la National Endowment for Democracy (NED), l’USAID, récemment réduite par Trump car jugée trop globaliste et wokiste, et bien sûr d’autres ONG pro-démocrates américains comme l’Open Society de George Soros.
C’est ainsi que depuis des décennies, la CIA, à travers ces agences dont Canvas, a organisé partout dans le monde et en Europe même des « révolutions de couleurs », avant les « printemps arabe », qui ont conduit à la déstabilisation du monde arabo-africain, semé la guerre civile en Géorgie et en Ukraine, et donc menacé existentiellement l’Europe de l’Est en guerre à la suite des ingérences américaines et atlantistes.
Des ingérences subversives et politico-idéologiques
Ces ingérences ont également déstabilisé nos banlieues, où moult ONG et programmes américains ont alimenté l’idéologie antiraciste radicale anti-flics et islamistes, comme on l’a vu avec la Black Live Matter qui a sponsorisé les partisans anti-Flics et anti-France de Adama Traoré. Enfin, si on veut parler du pillage illégal et massif de données privées, de l’espionnage industriel, mais aussi les virus informatiques et des hackings, les experts savent que la NSA est largement « en avance » par rapport aux Russes, comme pour l’ingérence.
En termes, d’ingérence, on peut également citer l’ingérence financière subversive, politico-idéologique, religieuse ou même révolutionnaire bien plus caractérisées que la Russie, de la Turquie (avec ses réseaux radicaux Milli Görüs et Loups gris qui distillent des visions subversives anti-françaises, antikurdes, judéophobes, suprématistes et arménophobes au sein des communautés turques appelées à ne pas s’intégrer ; ou encore les ingérences et appel à la haine envers la France, ses dirigeants et son histoire de la part de l’Algérie, qui appelle aussi, comme le Pakistan, d’ailleurs, ses ressortissants et descendants d’Algériens à ne pas s’intégrer.
C’est aussi le cas, plus sournoisement, certes, du Maroc, qui « tient » sa diaspora en Europe et laisse agir partout contre les États hollandais et belges notamment, sa puissante Mocro-Mafia et refuse l’intégration, et bien sûr du Qatar, parrain des Frères musulmans, à l’origine de toute une mode néo-islamique, qui, à l’instar de la Turquie, vise à diaboliser la laïcité et l’assimilation, puis à encourager les Frères musulmans.
Les contradictions macroniennes face à la menace islamiste
Le média de Doha, Al-Jazeera, lié aux Frères musulmans, et qui laisse diffuser en permanence des justifications à l’antijudaïsme, au révisionnisme et au jihadisme, devrait être interdit d’antenne en France, tant ses idées sont existentiellement menaçantes pour la France et l’Occident, mais l’Arcom a plus vu une « menace existentielle » dans RT France, qui ne diffusait pas ce genre d’idées pro-terroristes et anti-intégration, ainsi que dans C8 et Hanouna, devenu trop « populiste ».
Précisons que sur les bouquets, si les chaînes italiennes inoffensives sont payantes, plein d’autres médias arabes et turcs islamiques gratuits distillent tranquillement la haine envers la civilisation occidentale ou la défense du Hamas. Autre contradiction dans la description macronienne de la « menace existentielle » : l’autoproclamé président syrien Ahmed al-Charaà, alias al-Joulani, félicité par Macron lors d’un appel téléphonique du 5 février dernier, ne colle pas avec le moralisme guerrier macronien.
Car cet homme qui a été invité à une visite officielle en France sous peu, à la tête du Hayat Tahrir al-Sham, issu de DAECH puis d’Al-Qaïda en Syrie (Al-Nosra), a abrité jusqu’à maintenant dans son fief d’Idlib, le pire groupe de djihadistes francophones d’Al-Qaïda, dont le leader Omar Omsen, franco-sénégalais de Nice, et d’autres, toujours libres à Idlib et retrouvés victorieux lors de la prise de Damas en décembre dernier, ont recruté des jihadistes comme ceux qui ont tué sauvagement des Français en 2015-2017, et attaqué Charlie Hebdo ou égorgé Samuel Paty.
Un objectif vital : le réarmement
En conclusion, la géopolitique n’est pas la morale du Bien et du Mal, des gentils et des méchants, ni même des « démocrates » face aux populistes ou aux dictatures : les amis qataris, saoudiens et émiratis de l’Occident sont encore moins démocratiques que la Russie ou la Turquie. La menace, l’ennemi et la guerre sont des termes précis que l’on ne peut pas utiliser sans précaution.
Une menace existentielle est ce qui met en péril votre territoire, votre population, vos institutions, donc aussi votre « continuité historique », le désir de préserver son identité nationale et de continuer à exister. Or de ce point de vue, la Russie est sans aucun doute l’ennemi de l’Ukraine. Peut-être des Pays-Baltes et de la Pologne, même si cela n’est pas avéré pour ces pays membres de l’UE, jamais attaqués.
On peut comprendre qu’un Ukrainien dont le pays est envahi, la population tuée et ses institutions dénoncées par Moscou, voit la Russie comme son ennemi existentiel. Mais tel n’est pas le cas de la France et du reste des pays de l’UE et de l’Occident. Cela n’enlève rien à la gravité de l’invasion, inacceptable, de l’Ukraine par la Russie. Mais la froideur de la géopolitique nous rappelle que la France et l’UE n’avaient pas de devoir de solidarité ni d’accords de défense avec Kiev.
À contrario, la Turquie revendique des îles grecques, dont elle s’est déjà accaparé des ZEE de la Mer Égée pleines de gaz offshore, et envahit illégalement depuis 1974, puis colonise démographiquement 37 % de Chypre, membre de l’UE, comme la Grèce. Soyons logique : la Russie serait une « menace existentielle » alors qu’elle n’envahit aucun territoire OTAN ou UE, mais la Turquie, qui envahit un pays de l’UE et menace puis revendique des portions de territoire d’un pays de l’OTAN est toujours candidat non refusé à l’intégration dans l’Union et pas défini comme « menace existentielle » ?
En réalité, décryptons la communication d’Emmanuel Macron, lequel a d’ailleurs souvent dénoncé la menace turque en Méditerranée, il sait bien que la Russie n’est pas une menace existentielle pour la France et l’UE, mais plutôt pour des anciens pays ex-soviétiques de son « étranger proche » où l’OTAN l’UE et les Etats-Unis ont mis leur nez « ingérant ».
Sa surenchère verbale lors du live du 20 février dernier, visait à faire peur aux Français pour qu’ils acceptent des sacrifices économiques et sociaux pour justifier une augmentation du budget de défense. La méthode, manipulatoire, donc intellectuellement et moralement discutable et totalement démagogue, est en revanche politiquement efficace et même utile !
Car en jouant sur nos cerveaux reptiliens, notre Président sert peut-être un objectif vital, le réarmement conventionnel, car la guerre en Ukraine a démontré que la bombe atomique ne prémunit pas un pays « doté » contre une guerre conventionnelle. Ceci est l’option honorable. Une autre option serait qu’il ne s’agit que de gesticulation de « com ». Voire les deux.
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