Alexandre Del Valle : Donald Trump, stratège du monde multipolaire ?
CHRONIQUE. Depuis son investiture en janvier 2025, le président américain a initié des changements significatifs dans la politique étrangère des États-Unis. Analyse d’Alexandre del Valle.

Le premier point est le partage du monde en sphères d’influence avec la Russie, la Chine, la Turquie, les pays du Golfe et l’Inde, ainsi que le renforcement des accords bilatéraux au détriment du multilatéralisme, ceci au nom de la défense prioritaire des seuls intérêts américains. Cette vision Maga (“Make America great again”) affecte le commerce mondial, les accords de défense, les stratégies de lutte contre le changement climatique, et, bien sûr, le dossier ukrainien.
Convaincue de la nécessité d’inverser le “triangle kissingérien” en se rapprochant cyniquement de la Russie pour la découpler de la Chine, l’administration Trump a entamé de difficiles négociations en vue d’un cessez-le-feu en Ukraine, envisageant de concéder à la Russie des avantages substantiels, notamment un accès au système financier international, une non-adhésion de Kiev à l’Otan, une levée progressive des sanctions, une nouvelle gouvernance ukrainienne et un aval à l’annexion de la Crimée et des quatre autres oblasts ukrainiens occupés par Moscou. Cette entente a suscité des inquiétudes en Europe qui craint que soit compromise la souveraineté du pays, voire son contrôle sur la mer Noire. Mais sans l’appui logistique américain, les Européens ne pourront pas permettre à Kiev d’éviter une paix injuste. La requête européenne d’une “paix durable et juste” n’est qu’un vœu pieux, car si Zelensky a besoin de 300 000 hommes pour résister à la Russie, les Européens ne peuvent en envoyer que 40 000. La Russie produit chaque année à elle seule trois fois plus de munitions et d’obus que tous les pays de l’Otan réunis, dont les industries ne sont même pas passées en économie de pré-guerre malgré les effets d’annonce.
L’Europe ne peut pas non plus faire grande chose face à la volonté de Trump d’acquérir de façon directe ou indirecte le Groenland, face à l’influence de la Chine et de la Russie dans cette zone ultrastratégique qu’est l’Arctique, pleine de ressources vitales comme les terres rares. Les États-Unis escomptent y étendre leur “doctrine Monroe”, d’où également les visées sur le canal de Panamá et le Canada, qui vont devoir accepter une domination états-unienne plus forte. Cela a certes provoqué des tensions avec le Danemark, mais il sera difficile — pour ce pays déjà très intégré aux États-Unis et qui vient de passer des commandes d’armement à Washington — de freiner l’objectif américain de contrôler les terres rares du Grand Nord afin de ne plus dépendre de celles de la Chine.
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