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«Afghanistan: les grands perdants sont les minorités religieuses et ethniques non-pachtounes»

FIGAROVOX/ENTRETIEN -Aussi paradoxal que soit ce constat, une partie notable des Afghans s'accommode des talibans, voire les soutient, explique le géopolitologue Alexandre del Valle.


Géopolitologue, docteur en histoire contemporaine et essayiste, Alexandre del Valle est l'auteur de nombreux ouvrages, notamment Le Complexe occidental (2014) et Comprendre le chaos syrien (2015). Il va publier, le 28 septembre, La mondialisation dangereuse (éd. L'artilleur).







FIGAROVOX. -Depuis la prise du pouvoir par les talibans, des milliers d'Afghans se pressent à l'aéroport de Kaboul dans l'espoir d'embarquer sur un avion en partance pour l'étranger. Ces populations sont-elles venir chercher refuge en Europe?


Alexandre DEL VALLE. - Cela ne fait pas de doute au vu la terreur qu'inspirent les talibans et le danger encouru par les laïques, les pro-Occidentaux, les militantes pour les droits des femmes, les chiites, les minorités ethniques et, surtout, ceux qui ont travaillé avec les armées occidentales.

Aujourd'hui, les grands perdants sont les minorités religieuses et ethniques non-pachtounes, surtout hazaras et tadjikes, et les mouvances libérales, progressistes, athées et pro-occidentales.


La vraie question pour la France, dans l'immédiat, est de savoir si et comment elle maintiendra son honneur et sa fiabilité, à l'image de ses alliés, en réussissant à protéger et accueillir les fixeurs, les informateurs, les interprètes, etc. qui ont coopéré avec nos soldats. Et seulement eux.


Selon l'ONU, en 2015 après la crise syrienne, plus d'un million de demandeurs d'asile et de migrants au moins auraient gagné l'Europe par terre ou par mer. Peut-on s'attendre à un scénario similaire ?


Je ne pense pas. L'Afghanistan n'est pas la Syrie. Elle est bien plus éloigné de l'Europe et, surtout, deux conditions majeures diffèrent. D'une part, l'Afghanistan ne connaît pas une guerre civile comparable à la terrible guerre syrienne, qui opposait au moins quatre forces armées: le régime d'Assad, les jihadistes, les rebelles sunnites, et les Kurdes. Le camp islamiste était lui-même extrêmement divisé. En Afghanistan, en revanche, les talibans ont pris la capitale et les grandes villes du pays sans avoir à combattre ou presque.

D'autre part, les flux de migrants clandestins syriens en 2015 qui ont poussé l'Union européenne à passer un accord migratoire léonin avec Ankara étaient dus au fait qu'Erdogan, alors parrain des rebelles sunnites syriens, ait accueilli deux à trois millions de Syriens en Turquie.


Ils ont ensuite été utilisés comme monnaie de chantage et d'échange avec une Union européenne traumatisée par la question migratoire. Or aujourd'hui, Erdogan, dont la population ne supporte plus la présence massive de migrants, ne paraît pas vouloir adopter la même attitude envers les demandeurs d'asile afghans.


Par ailleurs, aussi paradoxal que cela paraisse, les talibans sont, en Afghanistan, les moins impopulaires de tous les pouvoirs qui se sont succédé depuis les années 1970 dans ce pays (communistes afghans, Soviétiques, ex-moudjahidines, pro-Américains). A ce jour, il n'y a pas de guerre civile comme en Syrie, mais la victoire d'islamistes face à ce qui est perçu comme une invasion américano-occidentale. Une majorité d'Afghans de l'ethnie pachtoune dominante étaient plus hostiles aux Occidentaux diabolisés et à leurs alliés locaux corrompus qu'aux Mollahs talibans car ce sont ceux qui ont, paradoxalement, lutté contre la corruption et l'anarchie lorsqu'ils étaient au pouvoir.


La seule et courte période de relatif ordre qu'a connue le pays depuis le départ des Soviétiques a été le moment où ils ont été aux mains du pays, entre 1996 et 2001. Ce fait n'ôte rien, naturellement, à leur obscurantisme, mais il faut le rappeler pour comprendre la situation.


Comment la France doit-elle réagir en cas de nouvelle vague migratoire ?


Il n'est pas certain qu'un vague migratoire va venir d'Afghanistan. Tous les gouvernements d'Asie centrale, ainsi que l'Iran et la Turquie sont en train d'«étanchéiser» leurs frontières avec l'Afghanistan. Ankara et Téhéran construisent un mur. Les pays européens délivrent des visas au compte-gouttes. En outre, la Chine, la Russie, l'Iran, le Pakistan et la Turquie font passer des messages de non-nuisance réciproque, voire des propositions de reconnaissance officielle aux talibans.


Le risque de vague migratoire forte et déstabilisatrice me semble concerner, de façon générale, des zones où s'observe une conjonction de plusieurs facteurs : pauvreté, mauvaise gouvernance, surnatalité et la proximité géographique. Elle vient donc essentiellement de pays africains et nord-africains.



La majeure partie des migrations de masse et des arrivées dans le sud de l'Espagne ou le sud de l'Italie viennent d'Afrique, notamment de Tunisie, mais pas de la Syrie ou de l'Afghanistan.

Si la France et les autres pays de l'Union européenne avaient une politique migratoire choisie, couplée à une réelle volonté de préserver nos valeurs, nos intérêts et notre identité civilisationnelle, le laxisme général devrait cesser. Autrement dit, nous devrions n'accueillir que les «vrais» demandeurs d'asile, les réfugiés politiques qui le sont réellement, les personnes qui s'opposent à l'islamisme, les minorités persécutées, et les militants pro-démocratie.


La reductio ad hitlerum permet de diaboliser tous ceux qui tentent de contrôler l'immigration.

Alexandre Del Valle : Un Afghan rapatrié en France a été placé sous surveillance, car il est soupçonné d'être lié aux talibans. Comment savoir si, parmi les migrants afghans, ne se cachent pas des individus radicalisés ?


Sans se prononcer sur le cas que vous évoquez, éviter de telles «infiltrations» est presque impossible pour des pays «ouverts» comme les nôtres qui s'interdisent, par principe, de privilégier les flux migratoires civilisationnellement et idéologiquement proches de nos valeurs. Et la reductio ad hitlerum permet de diaboliser tous ceux qui tentent de contrôler l'immigration. Dès lors, comment empêcher que des personnes qui ont de l'aversion pour les Occidentaux fassent partie des milliers d'immigrés afghans arrivés de façon illégale, généralement, mais presque jamais expulsés ?


On évoque, à juste titre, l'angoisse des élites urbaines afghanes face aux talibans. Pour autant, rappelons que des manifestants pachtounes, pakistanais notamment, (l'ethnie majoritaire afghane pachtoune est également présente au Pakistan) ont hurlé «Mort à la France ! Mort à Macron !» après l'assassinat de Samuel Paty. S'agissant du terrorisme djihadiste, on se souvient du jeune islamiste afghan, Noor S. arrivé en France en 2016 comme demandeur d'asile et soi-disant victime des talibans, qui fut expulsé vers Kaboul en septembre 2019 après avoir préparé un attentat en Europe. En Allemagne, en juillet 2016, l'attaque au couteau dans un train revendiqué par l'État islamique fut perpétrée par un jeune Afghan lui aussi demandeur d'asile. Un jeune Pakistanais arrivé en France avec le statut de mineur isolé afghan perpétra l'attaque au hachoir contre les ex-locaux de Charlie Hebdo. Deux Afghans ont été interpellés en octobre 2020, à Poitiers pour apologie du terrorisme. Un réfugié afghan accro aux vidéos de l'État islamique, le 31 août 2019, perpétra une attaque au couteau à Villeurbanne. C'est dire combien la vigilance s'impose.

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