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Quid de l’Iran des Mollahs après le discours incendiaire de Donald Trump aux Nations Unies contre la

La mollarchie iranienne est au centre des préoccupations occidentales et surtout de l’Administration de Donald Trump, qui, depuis le début de son mandat, n’a cessé de désigner cet Etat comme l’ennemi numéro, "premier sponsor du terrorisme dans le monde".

Donald Trump, qui a dénoncé l’accord du le nucléaire iranien de 2015 au grand dam des Européens dont les entreprises sont sanctionnés par les lois extraterritoriales américaines lorsqu’elles font des transactions en dollar avec l’Iran, dénonce l’expansionnisme régional chiite-iranien face aux monarchies sunnites et à Israël ; le soutien de Téhéran au régime de Bachar al-Assad ; la poursuite secrète du programme nucléaire et balistique iranien ; puis le soutien de Téhéran à des réseaux terroristes au Proche et Moyen-orient.

On peut certes rétorquer que l’Administration Trump a signé des contrats mirobolants avec l’Arabie saoudite, créateur d’Al-Qaïda et propagateur de l’idéologie salafiste des jihadistes sunnites, que les premiers pays soutiens passés et actuels de Daech et Al-Qaïda sont des alliés des Etats-Unis comme le Qatar, l’Arabie saoudite et le Pakistan, quant à eux non concernés par les sanctions américaines extraterritoriales. Ajoutons que ce dernier Etat est doté d’un arsenal nucléaire comprenant de bombes atomiques miniaturisées pouvant tomber un jour dans les mains des Talibans et que la Turquie néo-ottomane d’Erdogan, marraine de Daech en Syrie, a été jusqu’à peu l’alliée de Washington au sein de l’Otan dans la région et que les administrations américaines successives voulaient la faire entrer dans l’Union européenne… Toutefois, cela ne fait par pour autant du régime instauré par l’Ayatollah Khomeiny à Téhéran à la fin des années 1979, un allié fiable face au jihadisme salafiste-wahhabite, même si le régime syrien et son allié-protecteur russe ont utilisé l’Iran dans la lutte contre les rebelles sunnites anti-Assad et les jihadistes de Daesh et Al-Qaïda. Quant à l’Etat d’Israël, il ne laissera en aucun cas ce régime accéder au statut de puissance militaire nucléaire ni s’étendre en Syrie à ses frontières. Afin d’y voir plus clair, nous avons décidé de donner la parole à l’écrivain iranien Ramin Parham connu pour son opposition au régime des Mollahs, mais fin connaisseur du Proche et Moyen-Orient. De la présence iranienne en Syrie aux relations paradoxales entre Téhéran et Moscou, sans oublier la stratégie américaine et occidentale en Iran, Ramin Parham a répondu avec précision mais sans langue de bois à nos questions. Il donne un éclairage original alimenté par l’histoire et éclairé par un fort réalisme géopolitique.

Alexandre Del Valle : Commençons par la Syrie. Quels sont les buts de guerre stratégiques réels de Téhéran en Syrie ? Les Iraniens, notamment le général Soleymani qui supervise l’action militaire iranienne et des milices chiites pro-Bachar face aux rebelles, ont-ils atteint leurs objectifs dans ce pays?

Ramin Parham : Pour comprendre ces visées stratégiques, il nous faut revenir en arrière et voir d’où vient l’élan. Dans les années 60s et 70s, un certain Imam Moussa al-Sadr (ou Sader), mollah issu d’une lignée cléricale chiite d’origine libanaise, s’établit au Levant. Ce dernier est l’auteur d’une tribune nauséabonde publiée par le journal Le Monde en août 78, quatre jours seulement après « le crématoire du Rex », où des révolutionnaires islamistes avaient carbonisé des centaines de personnes dans une salle de cinéma, le Rex, dans le sud de l’Iran, dans les mois menant à la victoire de la secte chiite en Iran, en février 1979. Sous la plume du mollah Sadr, le grand quotidien progressiste français blanchit le crime du Rex en publiant cette ânerie : « L’insurrection du peuple iranien ouvre une nouvelle perspective dans la civilisation mondiale » ! Bref ! Au Liban donc, le roublard mollah tisse des liens avec les potentats arabe, libyen, syrien et palestinien ; œuvre à l’acceptation de la secte alaouite, celle d’Assad, comme « de bons musulmans » au sein de la « communauté des croyants » ; et noue des liens avec quelques-uns des opposants les plus actifs du Chah. Parmi ceux-là on trouve notamment Mostafa Chamran. Chamran est l’archétype du révolutionnaire Moyen-oriental : Ingénieur formé dans une grande université occidentale (Berkeley dans son cas), islamiste mais n’hésitant pas à nouer des liens pragmatiques avec des communistes, Chamran établit au Liban une véritable base arrière pour la formation des cadres militaires de ce qui allait être connu sous le label Révolution islamique. L’actuel conseiller du Guide suprême iranien, le généralissime Rahim Safavi, issu des Gardiens de la Révolution, fut l’un de ceux, nombreux, qui furent formés dans les camps palestiniens levantins par cette filière (ou des filières semblables), des décennies avant les fameuses routes du Djihad ! Ce fut également ce même Chamran qui, en relation avec le fils de Khomeini, Ahmad, et la garde rapprochée d’Arafat, la Force 17, fait venir en Iran des centaines de palestiniens formés à la guérilla urbaine, dans les semaines menant à la victoire de Khomeini en février 79.

L’objectif était clair : voyant la victoire s’approcher et ne pouvant compter sur l’Armée Impériale du Chah comme gardiens fiables de leur révolution, les islamistes iraniens, prévoyants, allaient se reposer sur ces cadres palestiniens infiltrés dans le chaos insurrectionnel iranien depuis les camps levantins. Ces cadres rempliront deux tâches : aider au renversement du Chah en lançant l’assaut victorieux final sur les bases de l’Armée Impériale (les 10 et 11 février 1979) avec l’aide notamment de la guérilla marxiste iranienne, alliée des islamistes chiites et formée, elle aussi, dans les camps levantins dans les années 70s ; et, agir comme gardiens de la révolution le temps que se forme le véritable Corps des Gardiens de la Révolution, celle-là même qui, aujourd’hui, agit au Levant sous le commandement de Soleymani ! Le Levant est donc la profondeur stratégique de la révolution chiite et du régime iranien. Dans ce « Komintern chiite », le Hezbollah libanais joue le rôle de glacis au nord de la Galilée. Son ravitaillement en cash et en munition est vitale pour le régime qui l’a créé …en recrutant très tôt dans l’humus gauchiste libanais : Imad Fayez Mughniyeh, responsable des attentats, en 1992 et 1994, contre le consulat israélien et l’Association Mutuelle Israélite AMIA, à Buenos Aires (bilan global une centaine de morts et près de 500 blessés). Dans les années 1970s, ce Mughniyeh avait organisé la Brigade Estudiantine, unité d’une centaine d’hommes qui deviendra une composante de la Force 17 d’Arafat. Autre figure progressiste libanaise de ces années-là, Anis Naccache. Sunnite libanais converti au communisme, rallié très tôt à la révolution chiite iranienne, Naccache est aujourd’hui homme d’affaires entre Beyrouth et Téhéran. Son nom figure dans la deuxième annexe de l’accord atomique de 2015, longue liste de personnes physiques et juridiques qui ne seront plus, à terme, visées par les sanctions internationales ! En 1980, Naccache avait été à la tête du commando qui avait tenté d’assassiner le dernier premier ministre du Chah réfugié en France. Naccache échouera mais gardera du sang français sur la main. Bakhtiar, lui, francophone et francophile marié à une bretonne, sera finalement égorgé avec un couteau à pain dans sa résidence de Suresnes en 1991. Le colonel Arnaud Beltrame n’était alors qu’un adolescent. A cette époque, un certain Roland Dumas prônait le rapprochement avec l’Iran chiite, grande civilisation, blablabla et blablabla …

ADV : Les milieux occidentaux atlantistes opposés au régime de Assad dénoncent souvent l’alliance russo-iranienne, notamment en Syrie, qu’en est-il vraiment ? Les objectifs russes et iraniens en Syrie sont-ils si convergents ?

RP : Un connaisseur de Loubianka m’a dit un jour, « Poutine ? C’est un pragmatique ! »

Pragmatiques, les russes l’ont toujours été, et ce au moins depuis les temps coloniaux, au moins en ce qui concerne leur avancée vers les mers chaudes sur l’échiquier eurasiatique, le cœur du monde. Durant tout ce temps, le chiisme iranien a été leur allié de facto :

dans la première moitié du XIX siècle, suite à des guerres désastreuses motivées en grande partie par des âneries chiites et de l’infection des plus hautes sphères politiques iraniennes par cette secte, les russes parviennent à mettre la main sur le Caucase, alors une province iranienne. Plus proche de nous, lors de la Convention d’août 2018 sur le statut de la mer Caspienne, c’est encore essentiellement sur la moitié iranienne de cette mer que se départagent les riverains, tous héritiers du bolchévisme russe ! Tout près de nous toujours, cette fois au Levant, c’est dans une guerre financée par « l’Iran chiite » à coups de dizaines de milliards que les Russes s’offrent deux bases aéronavales dans ce que les géopoliticiens français, co-créateurs de la Syrie avec leurs homologues british au lendemain de la guerre civile européenne de 14-18, appellent, dans leur jargon cynique, « la Syrie utile » (comme si le reste de la Syrie était inutile). C’est depuis la mer Caspienne que les russes font la démonstration de leurs missiles de croisière, chose impensable au temps du Chah et de l’armée impériale iranienne. C’est de la base aérienne iranienne de Hamadan qu’opèrent les militaires russes, chose inimaginable au temps du Chah où cette base, la plus avancée alors de toute la région, recevait la visite des pilotes… israéliens !

ADV : Justement, quid de la position des Israéliens face à la stratégie russe en Syrie ?

RP : Pour revenir à la convergence dont vous parliez tout à l’heure, les Russes ne se mettront pas à dos les israéliens, et ce pour plusieurs raisons : il y a une forte composante juive russophone en Israël ; Israël (5% de géographie, 95% d’idée, comme disait en substance le regretté Shimon Pérès), est un petit pays doté d’une grande armée et d’un renseignement digne d’une puissance. C’est aussi un pays détenteur à la fois de gisements gaziers et de brevets technologiques et très avancé dans les domaines de pointe.

Avec ses bases aéronavales sur la Méditerranée orientales, la Russie est aussi désormais un voisin d’Israël, et ce pour au moins quelques décennies à venir. Par ailleurs, à plus d’un millier de kilomètres de là, en Iran, le russe n’est ni une langue parlée ni même chuchotée si ce n’est par les conseillers russes d’un régime haï par sa population ! Quand elles quittent le pays, les élites iraniennes, étudiants, entrepreneurs et autres couches éduquées, ne vont pas s’installer à Moscou, mais en Californie. Pragmatiques, les Russes comprennent parfaitement ces données de base. Une fois qu’ils auront littéralement essoré l’Iran de tous les avantages stratégiques qu’ils peuvent en tirer par la complicité du chiisme au pouvoir, les Russes lâcheront ceux que l’on appelle superficiellement leurs alliés. Pour être allié, il faut une communauté de langue, de culture, de civilisation. Entre Qom et Saint Pétersbourg, il n’y a rien de tout cela ! La relation qui lie le Kremlin au Bureau du Guide Suprême à Téhéran est celle d’un prédateur géopolitique à une proie agonisante. Pas une alliance.

ADV : L’Iran des Pasdarans et du Guide Suprême, qui ont le vrai pouvoir face au président Rohani impuissant, vont-ils renoncer à la politique expansionniste au Moyen et proche Orient (Yémen, Syrie, Gaza, etc) afin de sortir de l’impasse sur le nucléaire iranien et les sanctions, ou va-t-on au contraire vers un pourrissement de la situation ?

RP : Tout d’abord une précision : Rohani n’est pas, comme disent les journaux, un impuissant ! Apparatchik patenté du sérail chiite, il sait, mieux que vous et moi, que la Constitution de la République Islamique d’Iran donne l’intégralité des pouvoirs dits régaliens au Guide Suprême. Dès qu’il atterrit à Téhéran, Poutine ne va pas voir Rohani, mais le Guide Suprême ! Pour Poutine, Rohani c’est juste bon pour les photocall. Rohani est au Guide ce que Mister Whymper était aux Cochons de la Ferme des Animaux d’Orwell : son rôle est d’entretenir les relations avec le monde extérieur, celui des Deuxpattes, de leur communiquer l’exact contraire de ce qui se passe réellement chez les Cochons et d’obtenir, auprès des Deuxpattes, ce que les Cochons sont incapables de produire eux-mêmes ! Tout comme dans la fable d’Orwell, il n’y a que deux types de Deuxpattes qui mordent à ça : les cons et les cupides.

Comme je l’ai souligné tout à l’heure, le Levant est pour la secte chiite au pouvoir à Téhéran une profondeur stratégique, un investissement de plus de quatre décennies à coups de dizaines de milliards de dollars.

Par ailleurs, tout tournant politique majeur n’est en définitif que l’affrontement de deux volontés. La plus forte vaincra. Le Chah ne fut victime que de sa propre faiblesse, partiellement explicable par ses propres penchants mystiques. Penchants qu’il avait exposés à Oriana Fallaci notamment, une grande journaliste italienne (décédée). Cet affrontement clausewitzien de deux volontés, les mollahs l’ont compris bien mieux que n’importe qui d’autres. Ils savent que toute concession, nationale ou internationale touchant à la cohésion de leur base idéologique et répressive, leur sera non seulement fatale mais que le chiisme organisé en Etat disparaîtra, pour ainsi dire, du plateau perse. Leur calcul à ce stade est clair : tenir coûte que coûte jusqu’à la fin de l’ère Trump (destitution ou défaite électorale). Ce calcul est basé sur une double hypothèse : a) le mouvement de contestation né en décembre 2017 ne prendra pas une ampleur nationale et restera dans les limites du répressible ; b) les fronts régionaux resteront des guerres par procuration, sans mutation vers une confrontation directe avec l’Amérique et ses alliés.

ADV : Jusqu’où les Pasdarans et les durs du régime peuvent-ils aller dans leur confrontation aux deux Satans américain et israélien ?

RP :Tant que dure le régime, jusqu’à la limite de la mutation qui transformera les guerres par procuration en guerre tout court. Mais, et ce mais est important, quand s’approchera la fin que le régime redoute tant, une folie n’est pas à exclure : missile balistique tiré vers Israël ou sur une base US. Mais n’oublions pas une autre donnée de base dans cette équation : l’Iran possède deux armées. Celle, classique, héritage du temps du Chah, ne s’est jamais dissolue dans cette autre armée, idéologique et corrompue, créée par et pour la révolution et son maintien. L’armée est au Corps des Gardiens de la Révolution ce que l’ossature prussienne de l’armée allemande était aux corps nazifiés des SS : ils ne peuvent pas se blairer, comme disent les jeunes !

ADV : Le régime iranien est-il capable de survivre encore longtemps face aux sanctions occidentales et internationales, à la crise économique, aux dissensions internes ethno-confessionnelles (rebelles kurdes, azéris, baloutches, arabes, etc) et aux divisions idéologiques (« réformateurs contre durs ou « conservateurs ») ? Les pasdarans et les tendances dures au sein de la Mollarchie sortent-ils renforcés du bras de fer avec l’Administration Trump ?

RP : Pour qu’un régime politique tombe, il faut un certain nombre de conditions : a) que le régime en question perde sa légitimité idéologique et politique ; b) que les gouvernants soient incapables de gouverner ; c) que la soumission des gouvernés cède à l’insoumission ; d) que la verticale du pouvoir perde sa volonté et notamment sa volonté de répression ; e) qu’une alternative se fasse jour.

-La première condition est réunie depuis longtemps. L’abstention massive des masses paupérisées dans les dernières élections en fut un exemple. L’éclatement de la bulle spéculative née des accords atomiques de 2015 enfonça le clou. Le soulèvement simultané de décembre 2017 dans plus de 140 villes et localités en fut la manifestation éclatante. Il n’y a qu’à lire le persan et écouter les slogans !

-La deuxième condition se manifeste sous plusieurs traits et notamment par la corruption dite systémique : pas une semaine ne passe sans qu’éclate un nouveau scandale de détournement de fonds massif, avec, dans son cortège, un haut fonctionnaire s’enfuyant avec sa famille et leurs valises pleines vers une destination étrangère. La corruption est un cancer pour n’importe quel régime politique. Quand elle devient le système lui-même, c’est que nous somme en phase terminale d’un cancer métastasé à tout l’organisme. C’est le cas de « l’Iran chiite ». La chute libre de la monnaie nationale, le Rial, ne fait qu’aggraver cette corruption, dans un contexte de stagflation et d’expansion monétaire débridée supérieure depuis peu au … PIB !

-La troisième condition, celle de l’insoumission grandissante de la population, est incarnée par les jeunes, par les ouvriers impayés depuis des mois, par les retraités, par les femmes, par les diplômés sans-emplois… Bref ! Par les « sans-culottes » iraniens qui haïssent l’infâme, son clergé et ses bandits... C’est du « gangstérisme organisé » comme disait Orwell. Les réseaux sociaux et la connectivité ne font qu’amplifier la chose : il est en effet très compliqué pour un évêque chiite de prêcher le Bien, la Morale et la Chasteté, tandis que sa propre progéniture pose en putain sur Instagram !

-La quatrième condition, celle de la volonté du pouvoir à tenir et à réprimer, dépend de l’ampleur de la précédente, celle de l’insoumission, et de la suivante, celle de l’alternative au régime actuel. Plus est grande l’ampleur de l’insoumission, plus les forces répressives seront usées (elles sont déplacées de ville en ville afin de protéger leurs membres des représailles des habitants), et plus la chaîne de commandement gangrénée par la corruption cédera sous la menace. La volonté de tenir est une chose. Tenir sa volonté en est une autre !

-La cinquième et dernière condition, non encore réunie, est le point d’orgue du processus d’effondrement : la formation d’une alternative laïque iranienne au régime chiite comme condition sine qua non de la transition.

Quant à savoir si la tendance dure du régime, comme vous dites, sort renforcée ou non de la confrontation, je vous renvoie la question sous une autre forme, plus terre-à-terre : où est cette fameuse tendance molle ? Car dire qu’il existe une tendance dure suppose l’existence d’une tendance molle. Où est-elle ? Et qu’entend-on par mou ?

ADV : Que pensez-vous de la stratégie de Donald Trump vis-à-vis de l’Iran et en général du Moyen-Orient ? est-elle plus cohérente qu’on le croit ?

RP : Au crépuscule de sa vie, Raymond Aron avait posé le vrai diagnostic du mal iranien en disant en substance ce qu’alors personne ne voulait entendre. « La révolution de l'ayatollah Khomeini, avait-il dit, exprime un refus total de l'Occident... Rejet qui se révélera suicidaire, à terme, pour l'Iran ».

Une dizaine d’année auparavant, au terme du premier mandat de Richard Nixon, ce même Aron écrivait ceci dans la revue américaine Daedalus : « Pour la première fois depuis vingt-cinq ans, Américains et Européens parlent d’isolationnisme. Sans doute à tort car l’histoire ne se répète pas et la république américaine qui, dans ce dernier quart de siècle, a joué un rôle impérial, ne peut, soudain, se retirer dans sa coquille… Au moment où Richard Nixon termine son premier mandat, quel jugement est-il possible de porter sur la politique étrangère présente et future d’un Etat qui n’intègre plus le destin de l’Occident dans sa propre destinée, mais qui demeure le laboratoire d’un peuple profondément incertain de sa destinée propre. » C’était en 1972.

Trois ans après, en 1975, dans Commentary Magazine, Bernard Lewis, fin connaisseur de la région, parle, lui, du « Retour de l’Islam ». C’était trois ans avant la « la révolution de l’ayatollah Khomeini et son refus total de l’Occident ».

Ce que les commentateurs progressistes ne comprennent pas, l’entourage stratégique de Donald Trump : Mike Pompeo, James Mattis, Nikky Haley et Michael D’Andrea, le comprennent très bien : la secte chiite iranienne, avec ses ramifications levantines, arabes et palestiniennes, ayant réussi le formidable coup de s’emparer en 1979 de l’appareil d’un puissant Etat (celui construit par le Chah), au cœur d’une région stratégique, a été l’avant-garde du « Retour de l’Islam » et du « refus total de l’Occident ». Pour arriver à ses fins, cette secte chiite continue à utiliser, de manière pragmatique, n’importe quel instrument, qu’il s’agisse des Talibans et du Hamas sunnites, du trafic international d’héroïne ou de la poursuite de ses ambitions balistiques (sachant qu’on ne fabrique pas un engin balistique pour balancer du gaz lacrymogène !). En bon stratège, il faut l’obliger à abandonner la lutte tout en lui assénant le coup de grâce au moment où cette secte, dans son « rejet suicidaire », se trouve dans le désarroi le plus complet. Toute autre stratégie est tout juste bonne pour les cons et les cupides.

ADV : D’accord, mais on ne peut pas accuser l’Iran des Mollahs d’être le parrain de Al-Qaïda et Daech qui sont en guerre totale contre la République islamique iranienne chiite et sa révolution « apostate », il suffit de voir le nombre de chiites tués en Irak avant même la crise syrienne par Al-Qaïda et sa dissidence Daesh initiée par l’anti-chiite obsessionnel Zarqaoui ! il existe tout de même, en dehors du cas connu du Hamas palestinien, une lutte totale entre islamisme chiite-iranien et islamiste sunnite salafiste.

RP : Vous regardez l’Orient depuis le Finistère de l’Eurasie, comme disait Valéry, avec les lunettes post-historiques d’un « commentateur de baseball couvrant un match de cricket », comme disait Bernard Lewis dans son Retour de l’Islam en 1975 !

Factuellement, le Mollah Akhtar Mohammad Mansour, chef historique des Talibans sunnites, a non seulement été, tout comme la famille Ben Laden, nourri, logé, blanchi par « l’Iran chiite » juste avant sa mort en 2016, mais s’y est entendu avec les autorités chiites pour financer le combat musulman contre l’infidèle en organisant le trafic de l’opium afghan transformé en héroïne et distribuée près de la Gare du Nord par la filière turcophone après un transit par « l’Iran chiite » !

Factuellement, il n’y a aucun moyen pour les djihadistes sunnites de gagner les fronts mésopotamiens et levantins dans un sens ou le Pakistan et l’Afghanistan dans l’autre, sans passer par le chemin le plus court et le plus sûr qui est « l’Iran chiite » !

Factuellement, le dictionnaire persan en ligne le plus utilisé donne 17 synonymes et variantes pour l’entrée xod’e, ce qui signifie ruse (petit rappel historique : de son propre aveu, tout ce que Khomeini avait dit lors de son séjour à Neauphle-le-Château en 78, « n’était que du xod’e » ! C’est comme si on roulait la Troïka européenne dans la farine du Dialogue des civilisations, tandis que l’on mettait au point des centrifugeuses dans des sites clandestins près de Qom !)

Mais le plus important dans ce regard post-historique, c’est le biais culturel : celui d’un européen post-Verdun et post-Auschwitz qui érige Hollyday en héros français et fait le choix de la sécurité sociale au coin d’une cheminée chinoise à effet flamme. Perdu et égorgé dans un supermarché, le colonel Arnaud Beltrame est un avatar des temps héroïques décapités par 1789. Les héros meurent seuls. Dans tous les sens du terme seul. Pour le dernier homme européen, le héros n’est plus Arnaud ni Achille ni le Templier, mais un Moi refoulé houellebecquien enviant à une synthèse vallaud-belkacemienne sa virilité. Le finis-terrien quoi ! Plus loin, en Asie, dans le cœur du monde, la politique est toujours historique. Elle se ne résume pas au pouvoir d’achat des retraités. Elle est power-politics. Là-bas, dans le cœur du monde, le pouvoir est une fin. Le reste, ce n’est que des moyens.

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