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Ce qui se joue au Proche-Orient (entretien pour Information Juive)




Information juive : Votre dernier ouvrage, La stratégie de l’intimidation, a eu un certain succès, il traite de la violence politique appliquée à l’islamisme radical et dresse un lien inédit entre les « coupeurs de têtes » (jihadistes) et les « coupeurs de langues » (islamistes institutionnels et leurs idiots utiles islamiquement corrects ou « islamo-gauchistes ». Pouvez-vous nous en dire plus sur le lien entre les deux ?


Alexandre del Valle : Je soutiens dans cet ouvrage que « plus l’on tue au nom d’Allah, plus on fait de la publicité pour l’islamisme (publicité négative) et pour l’islam (positive), pour se donner bonne conscience et pour ne pas « faire l’amalgame ». Résultat, à chaque attentat commis par les « coupeurs de têtes » au nom de textes de l’islam , qui devrait être une occasion de dénoncer les sources chariatiques et islamiques officielles du jihadisme, les « coupeurs de langues » ou « islamiquement corrects » dénoncent « l’amalgame » et assimilent toute critique même raisonnable de l’islam et des sources coraniques de l’islamisme radical à de « l’islamophobie », ce qui oblige les politiques et les intellectuels à faire des concessions de langage, à redoubler de lutte contre les « islamophobes » et en fin de compte à faire baisser les gardes des défenseurs de la laïcité.


Comment fait-on pour voir clair dans le désordre proche-oriental ? Qu’est-ce qui se joue aujourd’hui dans le Proche et le Moyen Orient, le sort de la planète ?


ADV : On observe partout dans le monde, et en particulier du côté de la Turquie néo-ottomane de Recep Taiyyp Erdogan devenu champion des Frères musulmans et des Palestiniens, un retour des impérialismes irrédentistes et du cynisme géopolitique décomplexé et agressif. Face à des bêtes politiques assoiffées de conquête et de haine revancharde comme Erdogan en Turquie, Mahatir en Malaisie, face à la stratégie de l’intimidation physique et morale des Frères musulmans, de l’Iran des Mollahs, de pays du Golfe qui étendent le salafisme ou du Pakistan qui répand la fanatisme en Asie et menace l’Inde, face à des leaders populistes comme en Europe de l’Est, à un Tsar comme Poutine ou un président à vie comme Xi Jinping en Chine, lui aussi néo-impérialiste à sa manière, l’Europe de l’Ouest « bizounours » adepte de la bonne conscience, du politiquement correct et de la paix fait véritablement office de dindon de la Farce et de « ventre mou » à conquérir.


Les prédateurs de tous poils, à commencer par les réseaux islamistes du monde entier et surtout la Turquie néo-ottomane de Erdogan l’ont bien compris et « senti »… Face à ces nouveaux périls, face à la montée de l’islamisme radical dans le monde et de la haine anti-occidentale, seuls les Etats-Unis de Donald Trump, Israël de Benjamin Netanyahou, et éventuellement les pays gérés par des populistes de l’Europe de l’Ouest semblent prendre la mesure des périls. Mais en dehors de l’ilôt de paix européen, le reste du monde est aux mains de prédateurs, de néo-impérialistes décomplexés et dans le meilleur des cas de nationalistes du genre Al-Sissi en Egypte, qui lutte contre les Frères musulmans, ou du genre MBS, Mohamed Ben Salmane, qui a décidé de freiner l’expansion iranienne chiite au Proche et Moyen Orient et de moderniser son pays au risque de sa vie. Dans ce contexte global post-révolutions arabes qui ont vu une montée générale de l’islamisme radical donc de la haine envers Israël, le peuple juif n’est pas forcément plus en danger que la vieille Europe car les dirigeants israéliens bénéficient du fait que l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite considèrent la menace chiite-iranienne expansionniste comme bien pire que la menace israélienne.


Quelle réflexion vous inspire ce jeu de poker menteur qui se joue actuellement entre différents acteurs ?


ADV : Plus que poker menteur, je dirais ce retour général de la realpolitik et du cynisme géopolitique propre à notre monde en voie de multipolarisation qui se met en place et qui participe de la fin des idéologies abstraites au profit du retour des nationalismes et des identités. Et finalement, ce nouveau monde est assez « franc du collier » : les accords entre nations sont moins hypocrites qu’avant : on croit de moins en moins aux belles idées, on juge de moins en moins les autres, on pratique les alliances d’intérêts, parfois tactiques, et en ce sens, Donald Trump est loin d’être le plus stupide et le plus naïf des dirigeants occidentaux… et Netanyahou n’est pas forcément aussi irréaliste qu’on le pense. De la même manière, Erdogan est systématiquement réélu et avance ses pions en Syrie, en Irak, en Libye, au Maghreb, en Asie centrale, dans le Caucase, en « Palestine-Gaza » et même en Europe de l’Ouest où il récupère les musulmans et encarte ses « sujets » néo-ottomans turcs dans le cadre d’une double stratégie victimaire et suprémaciste-irrédentiste.


Comment définiriez-vous la politique de Poutine à l’égard de l’Iran d’un côté et d’Israël de l’autre ?


ADV : La Russie et Israël sont aux antipodes de l’Europe moraliste et manichéenne qui croit qu’il y a les gentils démocrates libéraux d’un côté et les « méchants » récalcitrants de l’Autre, comme l’Etat d’Israël, coupable de « persécuter » les Palestiniens et la Russie coupable d’envahir la Crimée et d’instaurer un pouvoir néo-tsariste autoritaire, les autocrates comme Xi Jinping en Chine ou Al-Sissi en Egypte et MBS en Arabie, Kim Jong Un en Corée du Nord, etc.


La Russie peut avoir de très bons rapports avec Israël, où les populations russophones constituent une réalité indéniable et croissante, avec la Syrie de Bachar, avec l’ennemi juré de Bachar qu’est la Turquie d’Erdogan, puis avec l’allié majeur de Bachar qu’est l’Iran. Il n’y a pas de contradictions à cela et, au surplus, la visite de Netanyahou à Moscou le 9 mai dernier en grande pompe a montré cette complexité diplomatique. De la même manière, l’entente hier entre la Turquie kémaliste et Israël a laissé la place à une inimitié croissante entre l’Etat hébreu et la Turquie néo-ottomane d’Erdogan. Et la Russie doit plus être vue comme un pays à la diplomatie multiple, comme l’Inde, que comme un Etat rangé dans un camp « anti-occidental » tout court. Les choses sont plus complexes qu’il n’y paraît.


Israël doit-il faire totalement confiance aux promesses de Trump et à sa politique parfois incohérente ?


ADV : On ne doit jamais faire totalement confiance à des hommes politiques, qui agissent le plus souvent par opportunisme et en fonction d’agendas électoraux en tout cas dans les démocraties d’opinion Toutefois, quelques indices nous poussent à penser que Donald Trump ne « trahira » pas Israël comme l’a fait son prédécesseur Barak Hussein Obama, grand admirateur de l’islam, des Arabes, et entouré de six conseillers et collaborateurs membres des Frères musulmans. Obama était également l’obligé du grand lobby islamiste américain CAIR proche des Frères musulmans et du HAMAS…. Trump ne peut pas trahir Israël. Son obsession anti-iranienne ou plutôt sa volonté de faire plier l’Iran des Mollahs va dans le même sens rassurant pour Jérusalem, sans parler du signe hautement symbolique de la reconnaissance de Yeruchalaïm comme capitale de l’Etat juif. Ceci dit, s’il ne trahira pas, Trump va exiger et probablement obtenir à un moment ou à un autre des concessions de la part d’Israël afin de faire avancer son plan de paix pour tenter de régler le conflit israélo-palestinien, plan qu’il concocte avec les Emirats arabes unis, l’Egypte et l’Arabie saoudite.


Des responsables militaires ont mis en garde Netanyahou contre l’initiative d’une guerre contre l’Iran : cela coûterait trop cher à Israël, ont-ils dit. Qu’en pensez-vous ?


ADV : Je pense qu’il n’y a que deux solutions possibles pour les relations entre Israël et l’Iran : la plus probable et la moins coûteuse est celle d’un retour à la raison : l’Iran a trop d’ennemis contre lui et le régime devra sauver sa peau en échange d’un renoncement à son impérialisme chiite-révolutionnaire et pro-terroriste au Proche-Orient, surtout en Syrie et à Gaza mais aussi au Yémen. Si Téhéran plie, alors un apaisement sera possible. Si les Mollahs choisissent de poursuivre leur stratégie visant à pousser le bouchon trop loin, ils perdront tout et les Saoudiens et les Emirats arabes unis puis les Etats-Unis aideront Israël à empêcher l’Iran d’accéder à la puissance atomique couplée à une technologie balistique inacceptable pour les ennemis de Téhéran. Tout est une question de ratio ou de rapport cout-gain. L’argent est un paramètre fondamental, mais Israël ne peut pas se permettre de voir le régime iranien posséder le feu atomique sauf si le régime devient raisonnable. N’oublions pas que ce n’est pas la Perse, la civilisation iranienne l’ennemi de l’Etat hébreu, mais le régime des Mollahs qui a choisi comme cause absolue mobilisatrice celle du palestinisme et de l’antisionisme. Cette voie est contraire à des milliers d’années d’histoire de l’Iran, qui fut longtemps une civilisation amie du peuple juif. Les Iraniens ont beaucoup accru leur influence au sein des peuples arabes en surfant sur la cause palestinienne face au Satan juif, mais nous sommes dans une nouvelle ère et l’ennemi majeur des Arabes aujourd’hui n’est plus Israël mais l’Iran.


Diriez-vous comme le font désormais des leaders travaillistes en Israël que le processus d’Oslo » est mort » ?


ADV : Oslo est mort, ainsi que Camp David, Taba, etc. Il faut voir vers l’avenir et créer de nouvelles conditions pour une paix réaliste sur des bases pragmatiques, comme celles proposées par l’audacieux Mohamed Dahlan, le leader palestinien qui monte et qui lutte contre les Frères musulmans et la voie terroriste-islamiste sans issue du Hamas avec le soutien de l’Egypte de Sissi et des Emirats arabes unis puis de l’Arabie saoudite, le tout appuyé par Donald Trump. Trump a été diabolisé pour quelques propos choquants sur les pays musulmans et pour sa reconnaissance de Jérusalem capitale d’Israël et pour le transfert de l’ambassade américaine dans la ville sainte, mais en réalité, il a plus fait pour la paix que n’importe lequel de ses prédécesseurs en obtenant des Saoudiens une reconnaissance de la non-centralité de Jérusalem pour l’islam, après des décennies de mensonge et de travestissement de l’Histoire politique et religieuse. Il va pouvoir à présent pousser chaque partie à faire des concessions d’autant que les révolutions arabes et les terribles guerres civiles en Libye, Yémen et Syrie ont montré que les massacres entre Arabes sont mille fois plus massifs et barbares que les morts du conflit israélo-palestinien. Rien que cette relativisation couplée à la vraie guerre-fitna irano-arabe et chiito-sunnite rend le dossier israélo-palestinien moins central, moins viscéral, moins à la Une et donc plus abordable. Car ceux qui ont empêché la paix dans cette région sont en premier lieu ceux qui ont tenté, dans les pays musulmans comme dans la presse et les partis de gauche pro-palestiniens occidentaux, de faire croire que le sort des Palestiniens était le pire de la planète et qu’Israël était le plus criminel des Etats. Les crises yéménites, syriennes, libyennes comme les génocides en Afrique ont démontré qu’il n’en est rien. Reste à convaincre les palestinolâtres européens et notamment français de cesser d’importer le conflit israélo-arabe dans nos banlieues car ce n’est pas en inaugurant des plaques anti-israéliennes sur le génocide des Palestiniens que l’on va calmer les choses dans nos banlieues de l’islam à fleur de peau….


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