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Turquie: «Erdogan n'a jamais voulu rejoindre l'Union européenne » (LeFigaro.fr)



INTERVIEW - Au lendemain de la réélection du président turc Recep Tayyip Erdogan à la tête de la Turquie, le géopolitologue Alexandre Del Valle présente les principaux enjeux de celui qui se rêve à la tête «d'une nouvelle forme de l'Empire Ottoman.»


Après quinze années au pouvoir, Recep Tayyip Erdogan et son parti le AKP ont remporté les élections législatives et présidentielles en Turquie ce dimanche. Alexandre del Valle, géopolitiologue, professeur de relations internationales à l'IPAG et auteur de La stratégie de l'intimidation: Du terrorisme jihadiste à l'islamiquement correct aux éditions du Toucan analyse cette victoire. D'après lui, elle s'insère dans une ambition politique visant à rendre à son pays sa grandeur d'antan.


LE FIGARO. - Avec 52,5 % des voix dès le premier tour de l'élection présidentielle, s'agit-il d'une victoire écrasante pour Recep Teyyip Erdogan?


ALEXANDRE DEL VALLE. - Erdogan aurait aimé un résultat à 60% ou 70% des suffrages mais c'est tout de même une victoire dans la mesure où il a réussi ses deux paris: celui d'être élu au premier tour et dépasser les 51% afin de disposer d'une majorité suffisante pour appliquer la réforme constitutionnelle d'avril 2017, qui lui donne les pleins pouvoirs. C'était l'enjeu fondamental.

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Cela lui donne-t-il les moyens de museler davantage ses opposants, dont son grand rival Muharrem Ince qui a récolté 31% des voix?.


L'opposition va continuer à être muselée, c'est une évidence. Mais Erdogan va avant tout poursuivre son objectif: celui d'installer un hyper-pouvoir, une hyper-présidence comme le dit Muharrem Ince. Cette politique se met en place dans le cadre de ce qu'il nomme «la mutation civilisationnelle». L'idée est d'être un Ataturk à l'envers, en ré-islamisant le pays, un nouveau sultan qui va guider la nation vers sa grandeur retrouvée, dans une nouvelle forme de l'Empire Ottoman. Les élites kémalistes ont, selon lui, détruit la Turquie musulmane, l'ont acculturé en faisant un calque de l'Occident. Il veut faire le chemin inverse. Retrouver sa grandeur avec une Turquie islamiste, orientale, leader du monde musulman.


Ce retour à «l'ottomanisme» signe-t-il la fin d'une Turquie intégrée un jour dans l'Union Européenne?


Lorsqu'Erdogan déclare qu'il ne veut pas mettre fin aux négociations sur l'adhésion à l'UE, il n'en croit pas un mot. Dans mon livre « La Turquie dans l'Europe - un cheval de Troie islamiste? », j'explique que le chef d'État fait semblant de vouloir rentrer dans l'UE pour mieux faire culpabiliser les Européens de ne pas tenir ensuite leurs promesses. En réalité, il n'a jamais voulu rejoindre l'UE puisqu'il n'a jamais cessé d'occuper Chypre. Or c'est justement ce point qui bloque les choses juridiquement. Avec la dérive autocratique de ces derniers mois, cette volonté de rejoindre les Européens apparaît d'autant plus comme une position de façade. Mais Bruxelles va devoir continuer de négocier avec Ankara sur de nombreux sujets, notamment sur la question des migrants. Nous sommes obligés de composer avec nos voisins pour maintenir les flux migratoires.


Les difficultés économiques, avec une inflation galopante, ne risquent-elles pas de fragiliser ses ambitions?


Concernant la baisse du tourisme dû au terrorisme, il s'agissait d'actes terroristes conjoncturels. Daech ne passe plus beaucoup par la Turquie. Ses mesures sécuritaires devraient juguler les attentats. Mais la campagne d'Erdogan n'a pas été marquée par des propositions de réformes économiques importantes.


Son vieux remède c'est le Keynésianisme, avec une politique des grands travaux. Il a lancé des projets qui vont coûter des milliards d'euros, notamment celui du canal qui va traverser le nord de la Turquie depuis la Mer Noire. Cette orientation a été payante jusqu'à présent, mais il y a un risque d'un syndrome à l'espagnol. On ne peut pas miser que sur la construction de routes et de bâtiments. Une bulle immobilière est en train de s'installer. Son véritable nouveau défit est donc de maintenir la prospérité, qui est une partie de son succès jusqu'à présent.


Propos recueillis par Esther PAOLINI.


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