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Menaces sur Mohamed Ben Salmane : retour sur l’attaque du 21 avril dernier contre le palais royal et

Afin d’y voir un peu plus clair sur le jeu de cache-cache de MBS depuis la fusillade du 21 avril passé à Riyad qui a visé le prince-héritier saoudien et qui aurait blessé gravement « MBS », Alexandre del Valle a interrogé deux spécialistes reconnus du Moyen-Orient qui ont longtemps vécu dans les pays du Golfe et qui ont reçu des informations de première mains qui nous permettent d’y voir un peu plus clair : Emmanuel Razavi, grand Reporter et fondateur de Global Geonews, et Ghislain de Castelbajac, ancien analyste du SGDN et consultant pour plusieurs monarchies du Golfe arabo-persique.




L’attaque qui a visé MBS la nuit du 21 au 22 avril 2018, aurait été guidée par un drone non identifié détruit ensuite par l’armée saoudienne alors qu’il survolait le quartier du palais royal, à Al-Khouzama. L’échange de tirs à l’arme lourde (calibre 50 millimètres dont dispose l’armée de terre saoudienne), aurait duré près d’une heure et plus d’un millier de balles auraient été tirées. D’autres versions attestent que l’attaque aurait été menée par un véhicule muni d’une mitrailleuse lourde.


Toujours est-il que l’assaut anti-MBS s’est soldé par la mort de sept personnes, des deux côtés, et que les assaillants non abattus par les forces saoudiennes ont disparu dans la nature. Leur identité exacte et leurs buts demeurent jusqu’à aujourd’hui fort mystérieux, d’où les rumeurs et hypothèses les plus diverses.


Que savons-nous dans l’état actuel des choses ?


Une chose est certaine : l’attaque visait bien personnellement Mohammed ben Salmane. L’évènement confirme la fragilité du nouveau pouvoir saoudien, fruit d’une révolution successorale voulue par le roi Salmane. Après l’échange de tirs, lui et son fils Mohammed ont été transférés vers une base militaire et le ciel de Riyad a été fermé à tous les vols commerciaux ou militaires. Deux mois après l’attaque, plusieurs versions sont avancées par les analystes :

- celle d’un coup d’Etat manqué ;

- une tentative d’assassinat ciblée de MBS par un officier ou ex-dirigeant de la garde nationale,

- ou les pistes d’attaques venues de l’extérieur (rebelles chiites houtistes du Yémen, Al-Qaïda, Daesh, République islamique iranienne, etc).


Pour l’expert Ghislain de Castelbajac, consultant aux émirats et en Arabie saoudite et ex-analyste du SGDN (voir vidéo en fin d’article), « la communication du Royaume suite à cet événement a été fidèle à sa tradition d’opacité totale et de mise en scène invraisemblable, elle est à remettre dans le contexte du code bédouin de la perception de la vérité et de la gestion des longs silences des nuits sans lune : la version officielle mentionne quelques coups de feu afin d’abattre un drone ‘de loisir’ qui survolait malencontreusement le palais royal ».


Il est vrai que le controversé MBS, moderniste, réformiste et autoritaire à la fois, âgé de 32 ans, « multiplie les ennemis extérieurs : Iraniens, Yéménites houthis, Da’ech; comme intérieurs : chi’ites saoudiens de la province orientale, religieux salafistes, mais aussi, et c’est le nœud de l’action, de membres de sa propre famille… ».


Pour ce qui concerne l’ennemi extérieur, tantôt iranien, tantôt chiite-yéménite, Castelbajac observe que « le ciel saoudien commençait presque à s’habituer au spectacle de missiles tirés depuis le Yémen (des rebelles chiites-houtistes pro-iraniens) qui s’abattaient sans précision sur une dune souillée, donc dans les salons saoudiens, on redoutait plus l’ennemi yéménite que les opposants saoudiens de l’intérieur. Point de règlement de compte familial à l’arme lourde dans les conversations dans le quartier Olaya, jusqu’à ce fameux 21 avril qui fit plusieurs victimes au palais de MBS parmi la garde rapprochée du prince, composée de saoudiens, mais aussi de mercenaires colombiens et géorgiens ». Toutefois, l’expert rappelle que la piste de la révolution de palais, donc perpétrée par l’ennemi interne, est à privilégier, plus que celle de l’ennemi irano-chiite-yéménite extérieur. Il rappelle que les révolutions de palais sont souvent sanglantes, même en Saoudie : on se souvient qu’« en 1923, la prise de contrôle du palais de Riyad par ibn Saoud, fondateur de la dynastie familiale et de l’Arabie éponyme se fit déjà de façon très violente, à la djambya, ce poignard courbé que l’on offre maintenant dans des boites damassées aux hôtes de passage »


Castelbajac, qui s’est entretenu avec des proches de MBS ces derniers jours, assure que la piste la plus probable à l’origine de l’attaque viendrait de « certains membres de la vieille garde de la famille royale qui ne supportent pas la frénésie réformiste de MBS, notamment son cousin Mitaeb ibn Abdullah, que le prince héritier a évincé comme un vieux chameau de son poste hautement stratégique de patron de la Garde Nationale »… L’expert rappelle à juste titre que pour cette vieille garde et pour Mitaeb, le jeune MBS, âgé de 32 ans, aurait « trahi » les valeurs saoudiennes et Ibn Saoud son fondateur avec ses réformes, ses purges et conflits » (Yémen, purges violentes, etc). Castelbajac rappelle qu’autrefois à la tête de cette garde prétorienne du régime équipée et conseillée par les Américains, Mitaeb, accusé d’être à l’origine de l’attaque, « conserve d’ailleurs de puissants soutiens au sein de la garde ainsi qu’un stock d’armes lourdes, dont des automitrailleuses et un groupe de fidèle au sein d’une armée saoudienne secouée par la réforme profonde et totale du jeune prince ».


Il précise ainsi que ces milieux conservateurs et militaires hostiles au belliciste MBS « ne goûtent plus aux enlisements yéménites toujours plus humiliants d’une troupe suréquipée, mais sous organisée », tant il est vrai que la guerre saoudienne au Yémen contre les rebelles chiites-zaïdistes dits « houtistes » en guerre contre le président Abd Rabbo Mansour Hadi (protégé par les Saoud) et supposément soutenus par Téhéran, est un fiasco total pour Mohamed Ben Salmane.


MBS et le pouvoir saoudien bien plus fragiles qu’on le croit


L’attaque contre MBS démontre une fois de plus l’extrême fragilité du pouvoir en Arabie saoudite, pays à l’Etat défaillant, voire inexistant, divisé par les logiques tribales, religieuses, les luttes de pouvoirs entre branches de la famille royale (Sudairis/Saoud) et tiraillé entre une opposition modernistes, des fanatiques religieux et des opposants islamistes radicaux. Dans ce climat de pré-guerre civile consécutif à une succession, Mohamed Ben Salmane s’est caché depuis le 22 avril et continue à jouer à cache-cache.


MBS se méfie de tous, même de son armée et de la police saoudienne, sa garde propre personnelle ayant été renforcée et complétée par des mercenaires étrangers jugés plus fiables que ses sujets... MBS, appelé cyniquement le « mort vivant » par certains qui estiment ses jours comptés, a donc décidé de totalement disparaître de la scène médiatique nationale, régionale et internationale, lui qui était pourtant si visible jusqu’en avril dernier. Il en va de sa survie à court et moyen terme.


Les saoudo-euphoristes et « MBSolâtres » qui voyaient déjà l’Arabie saoudite devenir un havre de tolérance, de paix et de progressisme grâce à MbS se sont peut-être réjouis aussi hâtivement et imprudemment que ceux qui pensaient en 2011 que le « printemps arabe » allait sceller la fin de la peste de l’islamisme et du choléra des dictatures nationalistes… il n’en a rien été et les espoirs naïfs ont été plus que déçus. Souhaitons que la Saoudie de MBS qui bat les records d’exécutions et impose par le haut et les purges les réformes ne se termine pas comme « l’hiver islamiste » qui a succédé au « printemps arabe »…


Rumeurs, fake-news saoudiennes ou scénarii ?


Concernant les rumeurs de disparition ou de mort de Mohamed Ben Salmane, qui ont couru et courent encore, Ghislain de Castelbajac est catégorique : elles sont infondées et ont été clairement démenties par les faits.


« Apparemment blessé sans que son pronostic vital ne fût engagé, MBS n’est plus réapparu officiellement durant plusieurs semaines, alimentant ainsi les rumeurs de sa mort au plus grand bonheur des officiels iraniens, rebelles houthis, gouvernement irakien, dont certains revendiquaient même le fait d’armes ! »


En réalité, on sait de façon sure que « MBS a participé le 5 juin dernier à un Iftar (repas de rupture du jeûne du Ramadan) avec un officiel de haut niveau dans le domaine des finances du Royaume ». Certes, il est vrai que le prince-héritier saoudien « paraissait soucieux, mais il est incontestablement en bonne santé », selon cette même source proche de l’expert.


On sait aussi que le 22 mai déjà, MBS a échangé au téléphone avec le président français Emmanuel Macron puis avec la Premier Ministre britannique Theresa May, le 3 juin dernier. D’autres photos ont montré le prince héritier saoudien avec son oncle Muqrin bin Abdallah ou avec des employés de maison ou avec le président yéménite Hadi. Malgré cela, le fait que MBS ait presque totalement disparu de la scène médiatique mondiale est tout de même révélateur de l’extrême tension qui règne en Arabie saoudite et des menaces sérieuses en provenance de l’opposition islamiste-wahhabite extrémiste interne, des milieux chiites yéménites houtistes, de l’Iran ennemi et voisin, ou encore de la part d’opposants-rivaux saoudiens qui auraient tenté d’en finir avec l’homme qui veut bouleverser les codes, moderniser ce pays de bédouins et qui a humilié les princes et hommes d’affaires les plus puissants du pays.


Le réformisme de MBS en question


Le réformisme constituerait donc un casus belli et une pierre d’achoppement entre le jeune prince héritier et la vieille garde ainsi que les « corrompus », qu’il a remis à leur place.

Selon Emmanuel Razavi, Grand reporter spécialiste du Golfe Persique et directeur du site géopolitique globalgeonews.com, " l’histoire s’accélère en Arabie saoudite avec ce prince héritier disruptif, à l’origine de profonds changements. Qu’il le fasse par opportunisme politique ou par désir sincère de faire évoluer une société enfermée dans un mode de vie d’un autre temps, peu importe, il agit, semble vouloir réformer en profondeur ».


Ghislain de Castelbajac rappelle pour sa part que le concept même d’ « Islah », la Réforme, cher au prince héritier d’Arabie Saoudite, est totalement « incompatible avec l’islam rigoriste des salafistes-wahhabites d’Arabie (...). MBS sait que la tâche qui l’attend sera rude, et que le sort d’un réformateur iconoclaste en Arabie est souvent éclaboussé de sang… ».


Emmanuel Razavi avertit, quant à lui, que le prince « serait bien inspiré de se concentrer sur les réformes indispensables de la société saoudienne et de se désengager des massacres de la population Yéménite, de sa position ultra persophobe, de ses choix hasardeux d’armement de rebelles incontrôlables en Syrie, de ses montées de colères face au voisin qatari, ainsi que de son jeu de marionnettiste avec le premier ministre libanais Saad Hariri, aujourd’hui nu comme un vers face à un Hezbollah tout puissant depuis les dernières élections législatives au pays des cèdres ».

Razavi poursuit en appelant à ne surtout pas arriver en Orient avec des idées reçues occidentales et être trop naïf : « d’abord parce que la notion de réforme en islam n’est pas toujours synonyme de progrès social et démocratique. Ensuite parce que Salmane est menacé par la vieille garde qui veut l’abattre. Salmane le sait, et il a entamé plusieurs vagues d’arrestations contre tous ceux qui ne partageaient pas sa vision de réformes, sous couvert de lutte contre la corruption, ou encore de lutte contre ceux qu’il désigne comme des traitres. Dans tous les cas, cette frénésie d’arrestations, teintée de paranoïa le met dans une situation délicate. Il est à la fois un détonateur, et une cible. Il y a aussi de nombreux foyers de contestations en Arabie saoudite, notamment parmi les chiites de l’Est du pays qui représentent une minorité souvent brimée. Plus que jamais, Al Qaïda Dans la Péninsule arabique, très présente et disposant de relais dans la société saoudienne et ailleurs, lui reproche son ‘progressisme’ forcené. Il est donc menacé à plusieurs niveaux. "


En guise de conclusion : gare à l’Iran…


Lui-même d’origine iranienne, bien que d’une famille proche du Shah d’Iran et aucunement soupçonnable de complaisance avec le régime des Mollahs iraniens, Emmanuel Razavi avertit également que si MBS « ne manque pas de courage, il ne faut pas perdre de vue non plus que la façon dont Salmane a lancé sa campagne de changements perturbe les équilibres fragiles dans le Golfe Persique ». On le voit par exemple avec le Qatar, depuis le Printemps 2017, et au Yémen puis dans la gestion du dossier iranien. « Le fait qu’il attise le feu de la discorde avec l‘Iran est très dangereux », d’après Razavi, qui rappelle que « l’Iran est un grand pays, une puissance historiquement incontournable dans le Golfe, que sa société est jeune, très éduquée, ouverte sur le monde, et surtout que son armée sans aucun doute mieux entraînée et beaucoup plus cohérente que l’armée saoudienne… ».


De ce point de vue, le talon d’Achille de MBS est probablement son bellicisme régional et son obsession anti-chiite-iranienne. Selon Emmanuel Razavi, « il faut donc empêcher Bin Salmane, encouragé par les Américains et Trump de poursuivre sa quête anti-iranienne. Sans quoi cela risque de conduire à un nouveau conflit dans la région qui ne lui sera pas favorable, même s’il croit unir son pays contre un ennemi extérieur et qu’il se croit soutenu sur le long terme par les Etats-Unis"… Suite au prochain épisode, notamment concernant l’hypothétique refonte de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 que le retrait américain a rendu totalement caduc.




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