Espagne : pourquoi le gouvernement Rajoy a été renversé pour bien d’autres raisons que la corruption
Mariano Rajoy vient d’être la cible conjointe de toute une série d’ennemis, ex-alliés néo-adversaires et concurrents qui se sont finalement coalisés contre lui alors que tout les divise, dans le seul but d’accéder au pouvoir.
La chute de Rajoy et la victoire des ennemis de l’unité espagnole
Avec seulement 85 députés sur 350, le parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) du bellâtre et machavélique Pedro Sanchez, va gouverner l’Espagne après 7 années de pouvoir du parti populaire de Mariano Rajoy. Ce dernier, qui s’est illustré par son légalisme, sa communication rigide et son manque de charisme durant la crise catalane (septembre-décembre 2017), vient d’être la cible conjointe de toute une série d’ennemis, ex-alliés néo-adversaires et concurrents qui se sont finalement coalisés contre lui alors que tout les divise, et ceci dans le seul but d’accéder au pouvoir. C’est ainsi que le PNV basque, le parti Bildiu (basques pro-ETA), le mouvement d’extrême-gauche populiste Podemos, Compromis et les indépendantistes catalans ERC, PDeCat puis NC (Canarias) ont voté la motion de censure déposée par les Socialistes qui, pour la première fois depuis la fin du franquisme, a débouché sur la chute d’un gouvernement au profit d’un nouveau président du Conseil (Pablo Sanchez) très minoritaire et qui n’a pas été élu.
Nationalistes basques et catalans : partis pivots et alliés peu fiables pour le pouvoir de Madrid
Outre l’extrême hétérogénéité de ce bloc anti-Rajoy, ce qui a le plus étonné voire choqué nombre d’Espagnols est le fait que le PNV nationaliste-basque, conservateur, a longtemps été l’allié du centre-droit de Rajoy et a approuvé récemment le budget annuel alloué aux communautés autonomes (presupuestos Generales del Estado) aux côtés du PP et du PSOE. Le PNV a compris qu’il avait intérêt à retirer son soutien au gouvernement après la condamnation à de très lourdes peines de prison de plusieurs dizaines de personnalités liées au PP dans une gigantesque affaire de corruption.
En réalité, le PSOE de Pablo Sanchez avait lui aussi approuvé ce budget qui comportait un cadeau offert à la région basque, ceci dans le but de pouvoir négocier ensuite avec les nationalistes basques un accord électoral de revers visant à faire chuter Rajoy, sachant que ce sont les cinq députés basques qui ont fait la différence. A côté de ceux-ci, l’extrême-gauche de Podemos, fanatiquement ennemie de l’Espagne unitaire traditionnelle, et les nationalistes catalans revanchards (ERC et PDeCat), qui ont juré la perte de Mariano Rajoy coupable d’avoir mis hors la-loi l’ancien exécutif de la Genaralitat de Catalunya (Puigdemont est toujours en fuite), ont appuyé Pedro Sanchez qui, en échange de son accession au poste de Président du Conseil (Premier Ministre), a promis de « dialoguer avec les séparatistes catalans qui se sont dotés d’un nouveau président radical de la Generalitat (Quim Torra), à faire des concessions aux séparatistes qu’il critiquait encore il y a quelques mois…
Le trasformismo italien version espagnole
Décidément, l’Italie n’est pas le seul régime parlementaire européen chroniquement instable où le suffrage à la proportionnelle et la fin du bipartisme ont conduit à la naissance d’une coalition totalement contre-nature unissant les « assistentialistes » sudistes de Cinq Etoiles (M5S) de Luigi di Maio et les autonomistes nordistes identitaires de la Ligue (ex-Ligue Nord) de Matteo Salvini, l’anti-étatiste. Dans les deux cas, le « trasformismo » à l’italienne inhérent à la soif de pouvoir et au désir de renouvellement de la classe politique a triomphé de la cohérence idéologique. A la différence près que dans le cas espagnol, le parti populiste de droite anti-régionaliste Ciudadanos, premier parti au Parlement catalan et seul autre parti de droite capable de prendre des électeurs au PP, a raté son coup, également par avidité électorale fondée sur un mauvais calcul. En effet, ce parti qui monte le plus depuis 2016 au niveau national, et dont le leader est le jeune Albert Ribera, est celui qui s’est le plus efficacement opposé aux séparatistes catalans durant la crise du référendum d’indépendance de septembre 2017. Il a pourtant refusé de s’entendre avec le PP le 1er juin dernier en vue de la formation d’un nouveau gouvernement dans l’espoir de déclencher de nouvelles élections dont il sortirait vainqueur, et sachant que le PP discrédité par les scandales de corruption pouvait être lâché de façon opportune même s’il est un allié de Ciudadanos face aux indépendantistes qui mettent en danger la pérennité de l’Espagne. Toutefois, à la grande surprise des dirigeants de Ciudadanos, trop pressés de rafler la présidence du conseil en cas de nouvelles élections rapides, les autres partis que Ciudadanos et le PP se sont entendus dans le seul objectif de faire du PP et de Rajoy table rase et pour satisfaire les objectifs budgétaires et politiques pour ce qui est des partis séparatistes-autonomistes basques et catalans.
Dénonciation de la corruption, cause ou prétexte ?
La première grille de lecture qui est insuffisante consiste, vu de l’extérieur, à penser que Mariano Rajoy, bien que non condamné lui-même par la justice, a payé le prix des scandales de corruption imputables aux gouvernements PP (passés) de M. José Maria Aznar. Certes, Rajoy est suspecté d’avoir couvert une partie des affaires de corruption du PP, mais la justice espagnole n’a jugé que des affaires antérieures à sa présidence du conseil. La deuxième grille de lecture, fortement exposée par la presse espagnole de droite et du centre, consiste à voir dans la dénonciation de la corruption, très porteuse électoralement, une façon comme une autre d’éliminer un concurrent et d’arriver au pouvoir. De ce point de vue, Mariano Rajoy ne paie pas seulement le prix des procès anti-corruption qui frappent en réalité tous les grands partis politiques espagnols (droite-gauche, régionalistes, et séparatistes) excepté Ciudadanos, mais il a reçu l’estocade de la part des partis indépendantistes anti-espagnols ligués contre lui aux côtés de la gauche et de l’extrême-gauche. Il est vrai que parmi les partis donneurs de leçon de morale et de pureté démocratique qui ont dénoncé la super-corruption du PP de Aznar et Rajoy, figurent des partis méga-corrompus comme le PdeCAT catalaniste de l’ex-président catalan en exil Carles Puigdemont et surtout de son mentor et leader historique, Jordi Pujol, qui a détourné deux à trois milliards sur plusieurs décennies de « marchés publics » en Andorre... Le parti socialiste espagnol n’est pas non plus en reste, lui qui a détourné également des sommes folles tant à Madrid qu’en Catalogne (aux côtés des autonomistes de Pujol) et surtout en Andalousie, région aux mains du PSOE depuis trente ans. Mais il est vrai qu’en tant que parti au pouvoir, de droite, très conservateur sur le plan des mœurs (avortement, défense de l’Eglise, proximité avec l’Opus Dei, etc), le PP est la cible favorite des médias et juges proches de la gauche tandis que les affaires de corruption liées au PS n’ont jamais été médiatisées et dénoncées à un niveau comparable.
Compromission, passivité et « fascisation » de la Nation
Rajoy paie surtout le prix de décennies de passivité de son propre parti puis la complaisance de toute la classe politique post-franquiste (Parti socialiste en tête) envers le travail de sape de l’unité de l’Etat et de la Nation entrepris depuis des décennies par les séparatismes basques et catalans et la gauche anti-nationale anti-franquiste. Rajoy paie très cher le fait de s’être opposé - mais trop tard et seulement à moitié - aux séparatistes les plus virulents et puissants, catalanistes et basques pro-ou post-terroristes, lesquels ont poursuivi un projet politique de démantèlement pur et simple de l’Etat Espagnol grosso modo assimilé au franquisme, à la dictature et à la « persécution » des « nations non-hispaniques ». Celles-ci réclament en fait, sous couvert de « droit à la différence » et d’autodétermination », l’abolition pure et simple des frontières de l’Espagne telles qu’elles existent depuis plus de cinq siècles.
Cette mise en perspective permet de comprendre pourquoi Pablo Iglesias, le Secrétaire général du parti populiste d’extrême-gauche Podemos, traite constamment de « fascistes » non pas l’extrême-droite raciste ou antisémite nazie-fasciste, mais l’ensemble de la droite et du camp unitaire espagnol, en particulier le parti Ciudadanos d’Albert Rivera, le plus impliqué dans la dénonciation des « nationalismes » basque et catalan, mais aussi le PP de Rajoy, héritier indirect du parti franquiste mais qui n’a plus rien à voir avec cette idéologie depuis les années 1980, et même certains dirigeants socialistes ou communistes patriotes opposés aux séparatismes. Rappelons qu’après des décennies de centralisme franquiste, lorsque les langues basque, catalane, valencéenne, galicienne etc, étaient non pas « interdites » (elles ont toujours été parlées, y compris écrites dans le domaine littéraire) mais prohibées dans les lieux publics et écoles, l’Espagne post-franquiste accorda des pouvoirs dignes d’un Etat fédéral aux régions autonomes (« autonomias »), ceci afin de tenter de neutraliser le pouvoir contestataire des séparatistes, notamment des Catalans et des Basques qui étaient les plus virulents.
De la décentralisation post-franquiste au démentèlement de l’Etat espagnol
Le choix fatal des dirigeants espagnols démocratiques consista à créer tout un système de pouvoirs locaux qui n’ont cessé d’exiger plus de concessions culturelles, linguistiques, financières et politiques et qui ont abouti à la fin du compte à faire passer les minorités sécessionnistes catalanes et basques de 15 à 50 % en quarante ans, et donc à fragmenter toujours plus la nation espagnole. Durant ces décennies, le pouvoir économique et politique des « autonomias » a fait éclore un clientélisme et une corruption « décentralisée », en Catalogne avec Pujol puis des privilèges fiscaux (« autonomie fiscale ») pour le Pays basque et la Navarre. C’est d’ailleurs une question budgétaire négociée avec Madrid qui a motivé le PNV basque à faire chuter Mariano Rajoy, son ex-allié, au profit de Sanchez et du PSOE. Quant à l’autonomie en matière d’enseignement, elle a créé dans des régions qui étaient espagnoles depuis des siècles un sentiment de rejet de la Nation espagnole qui n’a cessé de croitre jusqu’à aboutir à la crise catalane de septembre-décembre 2017. Entre temps, en vertu de la bêtise stratégique de Madrid qui a cru neutraliser les séparatistes en leur permettant de bannir (impunément) la langue castillane (espagnol) dans les écoles et administrations puis de diffuser dans les médias, l’enseignement et les administrations locales un rejet de la culture espagnole et des Espagnols-castillans, le danger de fragmentation n’a fait que grandir. Cette fragmentation, qui a abouti à la situation actuelle ou à la crise catalane, n’a été qu’apparemment contenue depuis les deux dernières décennies lorsque le leader socialiste Felipe Gonzalez tolérait les autonomistes mais ne transigeait pas avec les séparatistes et lorsque la droite de José Maria Aznar s’entendait électoralement avec les catalanistes de Jordi Pujol en échange d’un nationalisme catalan non sécessionniste. Mais la bombe à retardement était là, la fanatisation anti-Españolitos s’intensifiait via des « associations » ultra-subventionnées avec l’argent des contribuables et le contrôle de la culture et de l’Education puis des télévisions, radios et journaux par les séparatistes anti-espagnols souvent fanatiques mais adeptes d’une stratégie d’entrisme et de sape progressive. Le glas de ce qui restait du vivre-ensemble sonna avec la fin des « vingt glorieuses », le début de la crise économique, est l’arrivée au pouvoir, en 2004, de José Luis Zapatero, l’homme qui réveilla les vieux démons de la guerre civile espagnole, au sein de laquelle la question des séparatismes basques et catalans était déjà centrale. Fidèle à une nouvelle tendance de la gauche néo-soixante-huitarde libertaire, Zapatero, économiquement libéral, auteur de mesures d’austérité extrêmement dures, mais adepte de mesures sociétales révolutionnaires (haine envers l’Eglise, défense des LGBT, mariage gay, anti-franquisme démagogique et chasse aux sorcières réactionnaires, etc), abandonna totalement, comme Renzi en Italie ou Gerard Schröder en Allemagne, la défense de l’égalité et des ouvriers au profit d’un moralisme très politiquement correct, « anti-fasciste », pro-autonomiste, ant-clérical et communautariste. Zapatero déterra ainsi dangereusement la hache de guerre et enterra le pacte de paix nationale qui avait plus ou moins uni la droite et la gauche à la mort de Franco : ne pas réveiller les démons de la guerre civile, ne pas opposer nostalgique de Franco et anti-franquiste. Zapatero, pourtant lui-même issu d’une famille en partie franquiste, commença à juger le passé avec le regard du présent, à surfer sur un antifranquisme de combat, puis à pactiser avec des autonomistes toujours plus exigeants et hostiles à l’Espagne. Entre 2004 (fin du gouvernement Aznar-PP après les attentats islamistes de Madrid et l’ascension au pouvoir de Zapatero), et 2010 (retour au pouvoir du PP avec cette fois-ci Mariano Rajoy), l’Espagne recommença à être divisée, fracturée, entre deux camps radicalement ennemis : les « espagnolistes » de droite, accusés de « fascisme », d’obscurantisme, de franquisme et de « crimes contre les taureaux » par la gauche moraliste et les séparatistes, puis le camp mémoriel des chasseur de sorcières franquistes, équivalents de nos « antifas » français, qui ont fini par être noyautés par les séparatistes et la gauche révolutionnaire anti-nationale. Ce second camp, qui vient de faire chuter Rajoy et qui explique en grande partie la montée du catalanisme revanchard, est parvenu, grâce à son contrôle des institutions, des médias et de la culture, à faire passer tout partisan de l’unité espagnole pour un nostalgique de la dictature franquiste.
La démagogie séparatiste, qui flatte en fait l’orgueil identitaire de façon encore plus radicale que le patriotisme espagnol, a été présentée comme une forme de progressisme, une preuve de tolérance et « d’antifascisme » authentique. Lors des évènements tragi-comiques de la marche de la Catalogne vers l’indépendance, en réaction à la « répression » du gouvernement de Mariano Rajoy suite au référendum d’indépendance illégal organisé par l’ex-président catalan en fuite (Carles Puigdemont), les adeptes de l’unité espagnole n’ont cessé d’être qualifiés de « franquistes », de « fascistes », de nazis » même », ou encore de « fachas », « extrema derecha » ou « racistas »... Tout le monde a entendu les insultes des séparatistes catalans à l’endroit de Mariano Rajoy, dépeint dans des caricatures, en officier SS ou franquiste durant la crise catalane. Plus récemment, c’est le leader du parti Ciudadanos, Albert Rivera, qui a été qualifié de « raciste » par Pablo Iglesias, chef de Podemos, lequel cultive une incroyable ambiguité concernant le séparatisme non pas pour plaire à ses électeurs ouvriers, qui ne réclament que de l’égalité et de la justice sociale, mais par haine de l’Espagne centrale ou plutôt de ce qu’il en reste. L’électeur de base de cette nouvelle gauche tiersmondiste adepte de la haine de soi espagnole n’est pas le travailleur-employé d’usine, mais le jeune mondialisé, l’étudiant oisif et le bobo « radical chic » dont la nouvelle religion est le politiquement correct. Intellectuels, militants et politiques de gauche radicale et séparatistes jusqu’auboutistes n’ont depuis lors cessé de pratiquer cette forme de reductio ad hitlerum à l’endroit des derniers partisans de l’unité de l’Espagne non encore dévorés par le virus de la repentance. Le tort de Mariano Rajoy et de son prédécesseur José Maria Aznar a été en fin de compte de subir ces critiques sans adopter une contre-offensive équivalente car ils ont succombé à la tentation de composer avec des indépendantistes au risque d’en devenir les otages, de sorte que lorsque Mariano Rajoy a voulu revenir sur les promesses démagogiques de Zapatero, il s’est aliéné les Catalans, tandis que les Basques l’ont trahi dès qu’ils ont pu composer avec des plus-offrants. Le dernier espoir pour la pérennité de l’Espagne est peut-être l’arrivée au pouvoir (dans quatre ans ou plus, après avoir essayé le beau Sanchez maître en démagogie), du parti Ciudadanos, seule formation qui ose aujourd’hui pointer du doigt le vrai problème du pays (fragmentation) et qui préconise de revenir sur l’extrême décentralisation de 1978 qui a abouti à une destruction programmée de l’Espagne.
Source: http://www.atlantico.fr/decryptage/espagne-pourquoi-gouvernement-rajoy-ete-renverse-pour-bien-autres-raisons-que-corruption-alexandre-delvalle-3411781.html