Lost in translation : comment de la Syrie à la Chine en passant par la Hongrie, l’Occident a perdu l
Alors que la situation ne cesse de se dégrader en Syrie, l'Occident semble bien désarmé et peine à exercer son influence dans la région. Les frappes menées conjointement entre la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni n'y changeront pas grand-chose.
Après les frappes militaires occidentales lancées sur des cibles du régime syrien durant la nuit des 13 et 14 avril derniers dans un contexte d’hyper propagande autour de l’utilisation présumée « d’armes chimiques », Alexandre del Valle décrypte les motivations et buts de guerre du trio France-Royaume-Uni-Etats-Unis.
Les frappes militaires perpétrées par les Etats-Unis, la France et la Grande Bretagne durant la nuit des 13 et14 avril contre trois sites liés au programme d’armement chimique (Barzeh, près de Damas et environs de Homs, centre de la Syrie) ont été présentées par les Occidentaux comme une « réponse » à la supposée attaque « chimique » perpétrée par le régime de Damas le 7 mars à Douma (est de la capitale syrienne) contre les jihadistes de Jaich al-Islam. Précisons en premier lieu que ce groupe jihadiste irréductible lié à Al-Qaïda, qui a pris en otage ses propres civils de la Ghouta orientale pendant des mois et a refusé d’appliquer les accords d’évacuation afin de se « prévaloir » du maximum de morts, a été ainsi de facto « vengé » par les Occidentaux, comme lors des dernières « frappes » américaines, exactement un an plus tôt, lorsqu’en réaction à l’attaque supposée « chimique » de Khan Cheikhoun (86 mort) du 4 avril 2017, les Etats-Unis avaient tiré 59 missiles Tomahawk sur la base militaire d'Al-Chaayrate (Homs), le 7 avril pour venger la mort de civils et miliciens d’une base islamiste-jihadiste assiégée par l’Armée syrienne. Rappelons que de même que les rebelles de la Ghouta vengés par les Occidentaux ces derniers jours sont des jihadistes jusqu’auboutistes liés à Al-Qaïda (Jaich Al-Islam), de même les « rebelles » anti-Assad massacrés par l’armée syrienne en mars 2017 étaient également liés à Al-Qaïda (Hayat Tahrir el Sham et Ahrar al Sham) et avaient commis des atrocités à l’encontre de centaines de militaires et civils syriens dont l’Occident ne parle jamais.
Les « 350 000 morts d’Assad » sont d’ailleurs une désinformation en soi puisque l’Observatoire syrien des droits de l’Homme a lui-même reconnu que la moitié à peu près des massacres sont imputables aux « rebelles » syriens qui sont depuis 2014 dans l’écrasante majorité des jihadistes et milices islamistes ultra-radicales parrainés par le Qatar, la Turquie, l’Arabie saoudite ou d’inspiration Frères musulmans. Mais plusieurs de ces mouvements ont également souvent reçu jusqu’à peu des aides substantielles et soutiens de la part de pays occidentaux, dont les Britanniques et les Américains. Les Britanniques sont d’ailleurs à l’origine des fameux « Casques blancs » liés aux Frères musulmans et aux rebelles islamistes en général et à qui l’on doit une bonne partie des « sources » et « preuves » des attaques chimiques imputées par les va-t-en-guerre occidentaux au régime de Damas.
Des frappes « proportionnées » aux effets très limités…
Pour revenir aux « frappes » de ces derniers jours, on doit au patron Conseiller national à la Sécurité, James Mattis, qui n’est pas la plus va-t’en guerre parmi l’équipe Trump, le fait que ces « frappes ponctuelles » aient été « proportionnées », limitées et même « concertées » avec les forces militaires russes, ceci notamment afin de ne pas risquer une conflagration ou une guerre Russie-Etats-Unis. Toujours est-il que les forces américaines ont mis en oeuvre deux fois plus de munitions que lors du raid de 2017 précité.
Au total, cent dix missiles ont été tirés dans la nuit du 13 avril dernier sur des cibles à Damas et Homs, la Russie et le régime syrien affirmant que nombre d’entre eux ceux-ci auraient été interceptés par l’armée syrienne. Étonnamment, les raids occidentaux n’auraient vraisemblablement pas fait de victime, pas plus civiles que militaires. Et pour cause, puisque les dirigeants anglais, français et surtout américains n’ont cessé depuis des jours d’avertir qu’ils allaient frapper, ce qui a permis aux militaires syriens et russes d’évacuer la plupart des sites visés par les pays de l’OTAN… L’observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH, pourtant lié aux rebelles sunnites anti-régime), a d’ailleurs confirmé que les cibles du régime syrien étaient vides et que les personnels (syriens et russes) ont été entièrement évacués trois jours avant les frappes. Les avions de l’armée syrienne ont en effet été cachés sur des bases militaires russes, bien évidemment épargnées par les raids pour des raisons évidentes de non-escalade. C’est donc en toute logique réaliste et aux antipodes des discours anti-russes va-t-en-guerre des Occidentaux que ces derniers ont soigneusement évité toute cible russe, non seulement celle de la base navale de Tartous et de la base aérienne à Hmeimim (Lattaquié), mais également celles déployées sur nombre de sites militaires du régime. Les frappes occidentales n'ont même pas touché la base aérienne de Doumair (Damas), d'où avait pourtant décollé l'hélicoptère syrien qui aurait attaqué le fief jihadiste de la Douma (Jaich al-islam) à l'arme chimique le 7 avril dernier... par contre, les capitales occidentales et l’OSDH ont confirmé que les cibles du régimes frappées sont toutes liées au Centre d’études et de recherches scientifiques de Syrie (CERS) du ministère de la défense qui serait le principal laboratoire chargé des programmes chimiques. En l’état actuel des choses, si nous n’avons pas de preuves qu’il s’agit d’une manipulation, il n’existe pas non plus de preuves formelles que des armes chimiques illégales (sarin) et pas seulement du chlore (dont la détention n’est pas illégale) aient été utilisées sciemment par les forces du régime syrien et encore moins qu’elles aient été utilisées avec l’aval russe. Nous en serons plus dans les semaines à venir puisque la seule équipe internationale habilitée à mener une expertise, l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), n’a commencé son travail d’enquête qu’après les raids franco-anglo-américains des 13-14 avril derniers.
Les « preuves » de l’utilisation de « gaz toxiques » : un dossier de « 8 pages de notes de renseignement »
Dès le 7 avril, avant même de disposer de la moindre preuve et avant même que l’on puisse avoir le temps de mener la moindre enquête ou investigation officieuse sur place, les Occidentaux ont immédiatement accusé le régime de Damas d’avoir utilisé l’arme chimique et entraîné ainsi la mort d’une cinquantaine de personnes et de centaines de blessés dans les attaques de la Ghouta où le groupe jihadiste Jaich al-Islam prenait volontairement en otage ses habitants depuis des semaines en violation des accords d’évacuation de civils.
On sait que l’utilisation d’armes chimiques a été présentée depuis 2013 par les Etats-Unis et la France comme une « ligne rouge » à ne pas franchir. La Russie a demandé une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU pour discuter des frappes occidentales qui ont de facto et de jure été décidées en violation du droit international et en l’absence de résolution des Nations Unies. Moscou a donc présenté un projet de résolution condamnant une opération militaire contre un Etat souverain qui a violé le droit international. On sait par ailleurs que les experts de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) n’ont commencé leur mission d’enquête sur l’attaque chimique présumée de Douma que samedi 14, c’est-à-dire après l’attaque occidentale, ce qui démontre que les « preuves » soi-disant « irréfutables avancées par les belligérants n’ont pas de fondement incontestable aujourd’hui, d’autant que les principales sources d’informations qui ont suscité la réaction occidentale durant l’attaque du 7 avril sont celles, très orientées des fameux « casques blancs » syriens, qui ont diffusé les premières vidéos de victimes mais qui sont notoirement liés aux milices islamistes radicales de la Ghouta et d’ailleurs, et même un temps à l’ex-front Al-Nosra (Al-Qaïda en Syrie)… D’une manière générale, les « preuves » avancées par les Occidentaux, qui ont refusé l’enquête russe comme les Russes ont refusé la leur, ne reposaient, à la vieille des bombardements, que sur des sources déclassifiées et ouvertes (sms, vidéos postées sur internet et réseaux sociaux, appels téléphoniques, images postées, etc). Le fameux document de renseignement de 8 pages vanté par le gouvernement français est lui-même composé non pas de preuves d’agents spéciaux sur place ayant assisté aux évènements et pris des échantillons sur place et des photos, mais des sources ouvertes précitées issues du camp belligérant rebelle lui-même, dont on sait que la stratégie consiste à mettre en scène ses victimes. Pour l’heure, la prudence, et non le négationnisme, est de mise, et non l’abdication de la raison critique.
« Bombardements de politique intérieure » ou interventionnisme néo-impérial ?
De prime abord, l’interventionnisme occidental rappelle les mauvais souvenirs des guerres en Irak et en Libye, qui ont exaspéré Poutine et qui ont été menées et justifiées par les soi-disant « preuves » d’emploi et détention d’armes de destruction massives (Irak-2003) ou de « massacres imminents » (Libye 2011). Mais comparaison n’est pas raison, puisque contrairement aux guerres occidentales en Ex-Yougoslavie, Irak et Libye, cette fois-ci, les Russes qui contrôlent le ciel syrien, ont pris le devant et rendu stratégiquement impossible un scénario de « regime change ».
Si les Occidentaux sont là aussi hostiles comme dans les cas précédents à un régime trop lié à l’ennemi suprème de l’OTAN qu’est la Russie et aident les forces islamistes sunnites parrainées par les puissances du Golfe comme en Libye et durant le « printemps arabe », la différence majeure est que les buts de guerre sont bien moins clairs et entiers, puisqu’ils se limitent à dissuader le régime d’utiliser des armes chimiques et ne consistent surtout pas à le renverser, ce que ne souhaite ni le président français Macron ni son homologue Trump, d’ailleurs en partie élu sur un programme anti-interventionniste. Afin de coller plus au réal, certains experts ont donc parlé de « buts de guerre très limités », « minimalistes », voire d’une «opération ayant pour but de sauver la face », ou même d’une stratégie quasi théâtrale dite du « pet de Coq », qui vise à « montrer les muscles » plus qu’à changer les choses. Tout porte à croire en effet que l’on assiste une fois de plus, depuis le début de la crise syrienne, à des gesticulations de puissances occidentales qui n’ont pas pu renverser Bachar al-Assad lorsqu’ils auraient peut-être pu le faire, qui se sentent humiliées par le coup de maître russe, lequel donne le ton depuis 2015, et qui ont « tracé une ligne rouge » qu’ils ont laissé franchir plusieurs fois, ce qui n’est plus tenable pour leur crédibilité nationale et internationale selon eux. Même s’ils savent pertinemment qu’un régime qui viole les droits de l’homme et une dictature sanguinaire ne sont pas forcément des ennemis (l’ennemi est le terrorisme qui tue dans nos capitales et non le régime baathiste qui lutte contre lui), et donc même s’ils ont parfois reconnu que l’éviction de Bachar al-Assad n’est pas la priorité, les dirigeants occidentaux sont acculés à faire semblant de lutter contre le régime de Bachar al-Assad afin de redorer leur blason comme Donald Trump qui doit donner des gages aux néo-conservateurs qui le cernent ; d’apparaître comme des hommes d’Etat forts, comme Macron ; ou de resserrer les liens, comme la premier ministre britannique qui tente de sortir de l’isolement inhérent au Brexit. En réalité, le fait indéniable que les Russes contrôlent l’essentiel du ciel syrien et que les Occidentaux sont cette-fois-ci incapables de reproduire le scénario libyen explique que les raids militaires anglo-franco-américains aient été fort limités et donc ne changent pas fondamentalement la donne. Prisonniers de leur droitdel’hommisme et de leur posture justicialiste et moralisatrice, nos dirigeants adeptes de la politique-spectacle et esclaves des « faiseurs d’opinion » préfèrent l’affichage théâtral de la puissance à l’efficacité stratégique réelle. Ils privilégient ainsi leurs impératifs de démagogie électorale et d’agenda intérieur à la stricte défense de leurs intérêts nationaux. Pour ce qui est de la France et de la Grande-Bretagne, qui donnent des leçons de morale droitdelhommiste à toute la planète et qui ont déclenché en 2011 une guerre en Libye qui n’a fait que nuire aux intérêts géopolitiques de l’Union européenne, elles investissent des milliards dans des opérations militaires extérieures néo-impériales alors qu’elle ne sont plus capables de faire respecter leurs valeurs et civilisation dans leurs propres « banlieues de l’islam » qu’elles ont abandonnées depuis des décennies aux fanatiques liées à des Etats du islamiques qui sont autant des alliés économiques que des ennemis civilisationnels… Foncièrement adaptes du « double standard », les Occidentaux violent au niveau des instances internationales et notamment des Nations Unies la légalité dont ils dénoncent la violation par d’autres. Leurs indignations sélectives ont toujours épargné les Etats islamistes totalitaires (Pakistan, monarchies du Golfe, Turquie d’Erdogan, etc) et asiatiques (Chine, Corée du Nord, Indonésie, Malaisie, Maldives) qui massacrent ou persécutent de façon massive depuis des décennies les minorités chrétiennes. Et il est ironique de constater que les mêmes pays (France et Etats-Unis) qui ont reçu en grande pompe le prince-héritier saoudien Mohamed Ben Salmane ces derniers jours se sont affichés fièrement avec ce despote qui organise fait massacrer par les bombardements massifs et le blocus/famine au Yémen alors qu’ils dénoncent et vengent le massacre d’un autre despote. Mais il est vrai que l’Arabie saoudite, matrice du salafisme international et ex-parraine d’Al-Qaïda, demeure fréquentable car elle est l’allié indéfectible des Etats-Unis, tout comme la Turquie néo-califale d’Erdogan qui massacre les Kurdes d’Afrine dans le nord-ouest de la Syrie sans que Washington, Paris et Londres ne songent à des sanctions, rappels d’ambassadeurs ou expulsions d’espion. En fait, ce qui explique ce deux poids deux mesures entre, d’une part, la Russie diabolisée pour avoir envahi la Crimée (russe) et encouragé des séparatismes en Géorgie et en Ukraine de l’est, et, de l’autre, la Turquie, pardonnée d’avoir envahi et occupé Chypre depuis 1974 alors qu’elle menace militairement la Grèce, Chypre, la Syrie, les Kurdes, et l’Irak, est le fait d’appartenir ou pas à l’OTAN...
En guise de conclusion
A la lumière de ces constats, on peut se demander si les « frappes » occidentales ont changé la donne. Réponse, non. On peut ensuite se demander si les alliés franco-anglo-américains ont des objectifs stratégiques identiques et précis en Syrie, réponse non. S’ils ont défini préalablement dans cette zone leur ennemi principal : réponse non, puisqu’au gré des attentats jihadistes ou des scandales autour des bombardements ou gazages de rebelles, l’ennemi principal y oscille entre Daesh, le régime syrien et les Russes, cependant que les jihadistes déconnectés de Daesh sont écartés du champ de l’ennemi puisqu’ils sont assimilés aux « rebelles sunnites anti-Assad ».Les seuls effets des frappes occidentales en Syrie ont été de dépenser des millions pour une opération extérieure contre un régime qui ne nous agresse pas alors que l’on manque de moyens pour surveiller les « fiché s » qui nous agressent chez nous. Et les conséquences de ces frappes néo-impérialistes occidentales contre un Régime souverain ont surtout pour effet d’accentuer ou relancer la Guerre Froide contre Moscou, par Syrie interposée. Elles ont eu également pour effet non pas de compromettre mais de ralentir la progression des forces pro-régime face aux rebelles jihadistes et islamistes radicaux, notamment près de Damas et dans le Sud du pays. Elles envoient un double gage démagogique en direction de l’électorat et « d’islamiquement correct » en direction des puissances islamistes sunnites (Arabie Saoudie, Frères-musulmans, Qatar, Turquie d’Erdogan, qui soutiennent depuis le début les milices islamistes syriennes les plus fanatiques, comme celle présente à Douma (Ghouta orientale), Jaich al-Islam, qui a pris en otage, jusqu’à sa reddition du 12 avril, les femmes et les enfants afin de mettre en scène les massacres de civils par des bombardements des forces pro-régime qui ont été provoqués en réaction à leurs propres actions d’harcèlement de la capitale syrienne que la presse et les dirigeants occidentaux ne dénoncent ni ne reconnaissent jamais. En réalité, à Alep hier comme dans la Ghouta aujourd’hui, les premiers responsables des massacres de civils sont ceux qui refusent de laisser ces derniers fuir les bombardements et qui recherchent la mort des leurs pour en rendre responsables l’Etat syrien souverain et ses alliés russes en lutte contre des forces du jihadisme international qui a jeté son funeste dévolu sur la Syrie elle-même déstabilisée par la funeste guerre anglo-américaine en Irak.
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