UE et USA ferment les yeux devant les menaces de la Turquie néo-ottomane d’Erdogan envers Chypre et
Les récents épisodes survenus à Chypre et en mer Égée (îles grecques situées à l’ouest de la Turquie) confirment l’évolution néo-impériale de la Turquie d’Erdogan.
Ces évènements, hautement sismiques, ont de quoi inquiéter sérieusement, mais ils sont toutefois presque systématiquement occultés dans la presse et les discours des dirigeants ouest-européens, littéralement tétanisés par la nouvelle Turquie du néo-Sultan irascible Erdogan forte d’une armée de 700 000 hommes et membre de plus en plus problématique de l’OTAN . La toute dernière crise géopolitique survenue dans les eaux de la mer Égée a culminé avec la collision entre le navire de patrouille grec « Gavdos 090 » et le bâtiment militaire turc « Umut » puis avec le viol, par l’armée turque, de l'espace aérien grec (138 fois en un seul jour…).
Le 13 février dernier en effet, un navire de la Garde côtière grecque a été touché près de l'atoll d'Imia, l'une des nombreuses îles grecques que la Turquie, pourtant candidate à l’entrée dans l’UE, revendique. En réalité, ce clash n’est qu’un choc parmi une longue série de heurts plus ou moins larvés entre les deux pays. D’autant qu’Ankara n’a jamais reconnu les frontières entre la Grèce et la Turquie et n’a jamais cessé de revendiquer les îles de la Mer Egée que l’empire ottoman a occupées durant des siècles, comme d’ailleurs il a occupé jadis la Grèce, les Balkans, le Proche-Orient et Chypre.
Le 2 août dernier, déjà, onze F16 turc avaient provoqué les autorités d’Athènes pendant 12 heures d'affilée en violant de nombreuses fois l’espace aérien grec et en provoquant ainsi treize décollages d'avions hellènes tentant d’intercepter les intrus au risque d’une guerre entre les deux pays. Bien que le ministère de la Défense d'Athènes signale à chaque nouvelle crise le comportement menaçant de la Turquie irrédentiste, les autorités de l'OTAN, européennes et onusiennes n’ont jamais condamné de façon vigoureuse la Turquie et encore moins sanctionné ce pays, lequel continue d’ailleurs d’envahir et coloniser 37 % de l’île de Chypre, elle aussi membre de l’Union européenne, comme la Grèce, et que ses partenaires européens devraient pourtant défendre.
Certes, les provocations turques dans le ciel grec, les prétentions d’Ankara sur les îles hellènes et même sur les territoires de la Grèce où vivent des communautés musulmanes turques, ne sont pas des nouveautés, pas plus que l’occupation (condamnée à maintes reprises par des résolutions des Nations unies) du nord de l’île de Chypre qui date déjà de 1974 et qu’Erdogan a récemment promis de ne « jamais lâcher ». Mais les débordements militaires turcs sur les îles orientales de la mer Égée (Limnos, Lesvos, Samos, Chios, etc), n’ont jamais été aussi inquiétants, au point de faire craindre une guerre entre les deux membres de l’OTAN. On se rappelle aussi que, le 28 juillet dernier, un avion espion turc CN-235 avait été repoussé par l'aviation grecque.
La reconquista à rebours ou l’irrédentisme turco-islamique
Personne n’ignore que le parti de Recep Taiyyp Erdogan, l'AKP, qui gouverne la Turquie depuis 2002, affirme régulièrement qu'un jour, il va « reconquérir ces îles grecques qui sont en fait un territoire turc » puisqu’anciennement partie intégrante du territoire du sultanat ottoman. Concernant la République de Chypre (entité grecque de l’île, seule partie légalement reconnue par la communauté internationale), l’Union européenne n’a jamais condamné de façon ferme le fait que le gouvernement d’Ankara colonise le Nord de Chypre et menace même le gouvernement chypriote légal de représailles militaires si celui-ci persiste à vouloir exploiter ses réserves de pétrole et de gaz offshore découvertes dans les années 2000 et dont l’exploitation a été confiée entre autres à des compagnies italiennes (ENI) et américaines (Exxon).
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la route empruntée par le navire de forage et perforation loué par l’Eni Saipem 12000 a été récemment bloquée par Ankara qui a ainsi empêché le bateau du groupe italien ENI d'atteindre la zone exclusive (ZEE) de Chypre. Ce blocage découle du fait que le président turc Erdogan revendique non seulement une partie de Chypre, mais aussi la jouissance de l’ensemble des ressources énergétiques offshore trouvées dans les eaux territoriales chypriotes, comme si celles-ci étaient turques, ceci en violation flagrante des traités internationaux.
« En Syrie, les véritables criminels sont les djihadistes »
Le retour aux frontières d’avant la première guerre mondial : Erdogan/Al-Bagdadi même combat irrédentiste-néo-califal
Rappelons tout de même que sur plan juridique, le traité de Montego Bay de 1982 stipule clairement que la souveraineté de l'État peut s'étendre sur un maximum de douze milles à une zone maritime adjacente à sa côte, la mer territoriale, sur laquelle l'État exerce ses prérogatives. Cela signifie que normalement, le seul Etat qui a des droits exclusifs sur les ressources minérales de l’ensemble de l’île n’est ni la Turquie, ni même la République turque fantoche du Nord de l’île - non reconnue internationalement -, mais la République de Chypre membre à part entière de l’Union européenne. Révélant sa nouvelle politique étrangère néo-impériale et toujours plus agressive, notamment lors d’un discours prononcé à l’université qui porte son nom le 15 octobre 2016, Erdogan avait déjà clairement annoncé son intention de « reconquérir » les territoires ex-ottomans dont son pays aurait été « privé » après la défaite turque de 1918, conformément au serment national (Misak-ı Millî) du dernier Parlement ottoman du 12 février 1920. Il avait notamment cité la Thrace Occidentale et le Dodécanèse… Encore plus inquiétant, ii y a un mois, Kemal Kilicdaroglu, le chef du parti d’opposition kémaliste CHP, a emboité le pas à Erdogan et à l’AKP en déclarant que s’il gagnait l'élection de 2019, Ankara « envahira et prendra plus de 18 îles grecques de la mer Égée, parce qu'il n'y a « aucun document qui prouve que ces îles appartiennent à la Grèce »…. Maral Askenner, chef de la nouvelle opposition "Le bon Parte", a également invoqué l'invasion et la conquête des îles grecques.
De son côté, le président Erdoğan n’a cessé ces derniers temps de multiplier les déclarations néo-impériales et belliqueuses de type « néo-ottomanes », tant pour les îles de la mer Egée, que pour Chypre ou la Syrie, dont il a justifié l’invasion de la partie nord-ouest (Afrine) face aux « ennemis kurdes » : "Ne pensez pas que la recherche de gaz naturel à Chypre et l'opportunisme en mer Égée restent ignorés par notre radar", a-t-il déclaré à la presse locale il y a quelques jours. Et en référence aux derniers moments de l'Empire ottoman, Erdogan a poursuivi ainsi son discours du 13 février 2018 : « Ceux qui pensent que nous avons effacé de nos cœurs les terres dont, il y a cent ans, nous nous sommes retirés en larmes, ont tort, a lancé Recep Erdogan devant son parti, l’AKP.
Nous disons à chaque occasion que la Syrie, l’Irak et d’autres endroits de la carte de nos cœurs ne sont pas différents de notre propre patrie. Partout où l’appel à la prière est entendu, nous luttons pour qu’un drapeau étranger ne soit pas brandi. Les choses que nous avons faites jusqu’ici ne sont rien en comparaison des attaques encore plus grandes que nous prévoyons dans les prochains jours. Dieu le veut ! ».
Le djinn néo-impérial du Califat ottoman est sorti de sa bouteille.
En réalité, Erdogan a réveillé au nom de l’islamisme politique les vieux démons impérialistes et bellicistes néo-ottomans, allant jusqu’à contester ouvertement le traité de Lausanne de 1923, qui a tracé les frontières de la Turquie, de la mer Égée (dont les îles ont été allouées à la Grèce) puis celles séparant la Turquie de l'Irak et de la Syrie, deux pays où Ankara revendique également des territoires (villes de Kirkuk et Mossoul en Irak, régions d’Afrin en Syrie, etc). Le traité de paix signé en juillet 1923 entre la Grande-Bretagne, la France, l'Italie, le Japon, la Grèce, la Roumanie, la Yougoslavie et la Turquie, avait justement fixé les limites du nouvel État turc formé après la dissolution de l'Empire ottoman, mais il est clair que le néo-sultan Erdogan veut terminer sa carrière « en beauté » non seulement après avoir réislamisé et dékémalisé le pays d’Atatürk, mais également en rétablissant une partie de l’empire califal turco-ottoman au détriment des Etats voisins affaiblis ou inférieurs en puissance. Alors que cette question est longtemps restée un souhait enfoui en Turquie, Erdogan a réussi par sa démagogie islamo-nationaliste outrancière et son fanatisme néo-ottoman à réhabiliter l’idée de la « nécessaire révision » du traité de Lausanne, ce qui laisse augurer une multiplication des risques de conflits avec au moins quatre pays frontaliers de la Turquie.
Lâcheté européenne lourde de conséquences pour l’avenir
Pour revenir aux menaces de guerre et d’invasion proférées par Ankara au sujet de l’exploitation de gaz naturel offshore au large de Chypre par le gouvernement de Nicosie et les compagnies italienne ENI et américaine EXXON, l’Europe a tort de ne pas réagir plus fermement, car elle envoie ainsi un message de manque de solidarité et donc de faiblesse, qui est en tout cas parfaitement perçu ainsi par Ankara. En outre, on ne doit pas oublier que c'est la l'indépendance énergétique même de toute l'Europe qui est en jeu en Méditerranée orientale. En empêchant le projet "east med" qui doit relier sur le plan énergétique les champs d'hydrocarbures d'Israël et de Chypre (pays de l'UE) à la Crète, à la Grèce continentale et à l'Italie, la Turquie perturbe de façon décomplexée la libre exploitation des hydrocarbures chypriotes et elle affirme de la sorte en toute impunité sa puissance hégémonique en mer Egée. Toutefois, rien de ces gesticulations et menace n’est le fruit du hasard et ne doit être à la légère. Aux termes de cette « stratégie de l’intimidation »*, la Turquie veut en réalité que tous les "tuyaux" passent par son territoire, ceci afin de pouvoir contrôler une grande partie de l'énergie qui transite vers Europe et afin de dicter ses conditions en vue de faire admettre son adhésion à l’UE, comme elle l’a déjà fait grâce aux accords ubuesques sur les migrants qui ont obligé l’Europe à verser des milliards à la Turquie en échange d’une récupération de migrants clandestins qu’elle a sciemment laissé venir en Europe… L’idée est de devenir de plus en plus incontournable, un peu à l'exemple de ce que fait la Russie avec le gaz, mais à la différence près qu’en tant que pays musulman membre de l’OTAN et proche des Etats-Unis, Ankara bénéficie d’une incomparable indulgence de la part des Occidentaux qui sont bien moins sévères avec l’irrédentisme turc qu’avec son équivalent russe. De la même manière, on reste stupéfait du silence de ladite communauté internationale à propos de l’occupation-colonisation du Nord de Chypre par la Turquie en comparaison avec les multiples condamnations internationales de l’occupation israélienne de territoires supposés palestiniens. Deux poids, deux mesures.