Le Procès Merah ou la démonstration de la nécessité d’interdire le salafisme en France ?
Le procès Merah, de par les déclarations du frère Abdelkader Merah est une "métonymie" de la vision du monde salafiste qui reste présente en France.
Atlantico : Le procès Merah, de par les déclarations du frère Abdelkader Merah est selon Gilles Kepel dans le Figaro une "métonymie" de la vision du monde salafiste qui reste présente en France. "Elle reste présente dans les mentalités, et on a un aperçu de la manière dont elle s'est construite, depuis l'œdipe familial, les violences domestiques, le trafic de stupéfiants, la délinquance, jusqu'à être « sublimée » par la violence rédemptrice de l'idéologie salafiste djihadiste". À partir de ce constat, faut-il dès lors interdire le salafisme ?
Pierre Conesa : Je pense que l'interdiction légale poserait un problème de définition alors même que le langage salafiste représente une idéologie raciste, antisémite, homophobe, misogyne, sectaire, intolérante etc… Et ce sont des qualificatifs cités par un théologien musulman à propos du salafisme et du wahhabisme. Or, dans le corpus législatif français, il y a tous les éléments pour pouvoir interdire que des propos de cette nature se tiennent. Ce qu'il s'est passé et qui fait qu'aujourd'hui la chose explose à l'occasion d'un procès, c'est que l'on n'a jamais voulu poursuivre les salafistes avant les attentats de Charlie Hebdo parce que le corps politique était d'une grande frilosité ou timidité parce qu'il considérait que cela relevait de l'Islam de France et donc de la liberté de conscience. Ce qui est odieux. Et Manuel Valls est le premier à l'avoir écrit, l'ennemi est le salafisme, et non l'Islam. Donc, depuis cette époque-là on a commencé à expulser des imams etc… mais on a évidemment laissé se constituer des cellules souches qui sont aujourd'hui sur le territoire, c'est d'ailleurs ce que dit le Figaro. J'ai pu en faire un organigramme dans une étude intitulée "la communication francophone de Daech". Il y a des schémas qui montrent que tous les attentats qui se sont déroulés en France depuis 2 ans et demi ont tous reçu un coup de main de ces cellules souches qui sont des quartiers salafisés, mais à chaque fois en restant dans la légalité. Et cela est exactement la ligne de défense d'Abdelkader Merah, qui revient à dire "moi j'ai aidé pour le scooter mais je ne savais pas qu'il avait l'intention de tuer". Ce sont toujours des gens qui restent dans la légalité mais qui fournissent un petit coup de main, et toutes ces aides se situent comme par hasard à la Meinau à Strasbourg, aux buttes Chaumont, à Artigat, à Toulouse le Mirail etc… C’est-à-dire ces cellules souches qui se constituées il y a une 20e d'année que l'on n'a jamais voulu démanteler. Or, si vous êtes antisémite pour des raisons religieuses, vous restez quand même antisémite. On aurait dû, à ce moment-là, les démanteler, mais le pouvoir politique a toujours reculé.
Alexandre Del Valle : Je pense que le salafisme doit être interdit, parce que certes, on a le droit de pense ce que l'on veut mais on n'a pas le droit d'exprimer des idées qui détruisent et délégitiment les institutions et appellent les communautés à mépriser les non-croyants. On aurait le droit d'être salafiste si les salafistes s'abstenaient de tout dénigrement des non-musulmans mais comme la base de leur doctrine consiste à penser que les autres et eux sont totalement séparés, c'est une idéologie qui de facto appelle à la sécession – et même si ce n'est pas la sécession du djihadisme violent, c'est déjà la sécession des esprits. Je dirai qu'il y a la violence djihadiste et terroriste mais il y a la "violence symbolique", comme disait Bourdieu, de ceux qui dénigrent les autres même s'ils le font de manière pacifique.
Gilles Kepel rappelle que la forme actuelle du salafisme est plus limitée : "les individus qui la portent ont été formés à la va-vite, contrairement à l'époque de Ben Laden qui disposait d'une véritable organisation". Comment expliquer que cette forme de "salafisme fast-food" puisse séduire ? Quels sont les moteurs de cette capacité d’enrôlement ?
Pierre Conesa : C'est l'une des conclusions que l'on avait eu justement dans le texte de la "la communication francophone de Daech"; Ben Laden disait "Deviens un bon musulman et tu feras le Djihad", chez Daech, cela est devenu "Fais le Djihad et tu deviendras un bon musulman". Ben Laden, cela était des longues tirades retransmisses en vidéo, chez Daech, le Calife, on ne le voyait pas. Ce que l'on voyait, c'étaient les réseaux sociaux sur lesquels le combattant partait en Syrie s'affichait avec une kalachnikov, un 4X4, une femme et une maison.
Tout d'un coup, l'individu se trouvait dans une position ou il avait tout ce qu'il lui fallait. Et donc, la capacité de mobilisation de cette idéologie salafiste c'est justement cette simplicité, c’est-à-dire un Islam en kit. Il suffisait de dire que là, il y a avait une société juste et non corrompue égalitaire ou vous aurez tout ce que vous voulez, une sorte de paradis social. C'est un discours révolutionnaire de par sa simplicité, c'est parce qu'il est simple qu'il est mobilisateur.
Alexandre Del Valle : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Gilles Kepel. Certes le salafisme low-cost dans les prisons est fait à la va-vite. Mais je me rappelle dans les années 1990 de notes de renseignements qui faisaient état de prédicateurs très structurés qui arrivaient de Médine, la capitale du salafisme où ils avaient été formés. Je me rappelle aussi qu'en France, le salafisme a commencé à être prêché et diffusé par des "Savants", des doctes qui ont commencé à prêcher à Aubervilliers, dans la région de Lyon, de Lille et dans toutes les mosquées parisiennes. Cela a commencé avec ces savants qui ont été formé par des grands maîtres en Arabie Saoudite. Peut-être que Gilles Kepel parlait de salafisme low-cost. Mais le salafisme en général bénéficie d'un enseignement poussé, de formateurs eux-mêmes formés et est beaucoup plus profond que cela. Et en plus c'est un Islam très cohérent.
Car malheureusement, ils sont très cohérents avec leurs textes. Quand les salafistes disent que l'Islam est fondé sur l'unicité de Dieu, c'est tout à fait vrai, et quand ils disent qu'il faut lutter contre tout ce qui touche l'unicité de Dieu, y compris le christianisme, le soufisme et l'Islam mystique, ils sont très cohérents avec leurs textes. Il ne faut donc pas les réduire aux salafistes radicalisés en prison en quinze jours. Je pense que ce n'est qu'une partie du salafisme. Vous savez on parle souvent du salafisme quiétiste, ou en Arabie Saoudite de salafisme "scientifique" au sens du savant-enseignant (car le mot savant est synonyme d'ouléma, et la traduction a été consacrée en français). Dans les faits, il s'agit plus de clergé que de savants. Le salafisme des savants est très enraciné et bénéficie d'une propagande mondiale très bien organisée avec des ouvrages distribués et un ancrage, avec une véritable école qu'on appelle l'école hanbalite qu'on appelle aussi wahhabisme salafiste saoudien. Le hanbalisme est une des quatre écoles de l'Islam, longtemps minoritaire mais qui a influencé le monde entier en prenant le contrôle des lieux saints et des grandes organisations religieuses. Ce salafisme à coups de centaines de millions de dollars depuis des années déverse son poison dans l'ensemble du monde musulman qu'il est en train de défigurer - même en Algérie même au Mali, dans ces pays qui avaient autrefois un Islam très particulier avec des marabouts et de la superstition. Il y a une influence au-delà même des cercles salafistes qui est en train de rigidifier et rendre totalitaire une grande partie du monde musulman. Et nous forcément avons les conséquences de cela. Il ne faut pas réduire le salafisme à celui de l'ignorant. Il y a donc aussi de très grands savants salafistes derrière cette mode.
Ne peut-on pas considérer qu'une telle interdiction pourrait avoir des effets pervers, par exemple en ce qu'elle risquerait de renforcer l'aura de ce groupe en l'ostracisant ?
Pierre Conesa : Oui, c'est vrai que cela est un risque. Mais encore une fois, nous ne sommes pas obligés de l'interdire, mais nous avons besoin de l'apurer c’est-à-dire que l'on a besoin d'expulser ou d'enfermer tous ceux qui peuvent l'être. Lorsque j'ai eu des débats avec la commission consultative des droits de l'homme, les bras m'en sont tombés. Ils défendaient des principes sans tenir absolument compte de la réalité de la menace. Ils n'avaient jamais rencontré un salafiste. De la même façon, le débat sur la déchéance de nationalité était incroyablement stupide dans son déroulement.
Ce qui m'intéressait ici, c'était de démanteler les réseaux. Si un terroriste saute, il faut se poser la question de tous ceux qui ont donné un coup de main, faut-il qu'ils gardent la nationalité française ? Nous sommes restés sur un dispositif législatif qui ne tient absolument pas compte de la réalité de la menace. La dernière question à se poser est de savoir pourquoi tous ceux qui sont partis se rapatrient en France, c’est-à-dire sur la "terre des mécréants" ? La réponse est "parce que ce sont des hypocrites", ils sont simplement peur de rester dans un État dans lequel ils risquent la peine de mort. Or, la déchéance aurait permis d'éviter un certain nombre de retours, mais on a évité ces débats en se positionnant sur des sujets que personne ne connaissait parce que, en général, lorsque je demandais combien de salafistes mes interlocuteurs avaient rencontrés, un long silence s'installait. Parfois, il est difficile de rendre adéquat la réalité avec la loi. Un exemple très simple; sans état d'urgence, pour le cas de la voiture piégée de Notre Dame, les policiers n'auraient jamais pu ouvrir le coffre.
Alexandre Del Valle : Bien sûr, on le voit avec les Catalans aujourd'hui : quand on fait réprime, on fait le jeu de l'adversaire qui se cherchent à se poser comme victime. Donc évidemment, il faut faire attention à ne pas réprimer bêtement. Je pense que ce qu'il faudrait, plutôt que de réprimer celui qui dans un tweet dirait "vive le salafisme", ce qui est hors de question et serait stupide, ce serait de former un Islam de France qui ne soit pas salafiste. Et il faudrait faire signer une charte de l'Islam de France à toutes les organisations musulmanes françaises. Et il faudrait bannir les lieux où on enseigne et légitime le salafisme. On ne pourra pas interdire les salafistes qui n'appellent pas à la violence bien-sûr. Ce serait contraire à la liberté d'expression. Mais il faut faut délégitimer et détrôner ceux qui ont des autorités morales et religieuses, qui ont pignon sur rue et enseignent le salafisme dans des institutions de la République. Cela, c'est possible. Tous ceux qui ne signeraient pas la charte de l'Islam de France qui serait un Islam beaucoup plus structuré, compatible avec nos valeurs, ce que nous avions proposé avec quelques imams il y a quelques années, seraient interdits.
Toutes les mouvances de l'Islam dont le salafisme qui prêchent la haine des infidèles, des païens, des Juifs et des Chrétiens et qui prône la suprématie du Califat de facto ne sont pas uniquement des institutions religieuses mais appellent à un message politique, subversif et totalitaire qui est en contradiction avec nos lois en vigueur. L'islam totalitaire et politique devrait être banni. Et pour les autres qui ne font que twitter, ou dire qu'ils soutiennent le salafisme, bien entendu, il ne faut rien faire.