"La récupération d’Al-Andalus" au centre de la vidéo de revendication des attentats de Bar
Ce 24 aout, un nouveau clip vidéo de Da’esh consacré à la revendication des attentats de Barcelone a été diffusé par l’agence de presse de l’Etat islamique. Avec cette vidéo, qui confirme le précédent article d’Alexandre del Valle ainsi que plusieurs de ses écrits sur la place centrale de l’Age d’or d’Al-Andalus (en arabe toute l’Espagne musulmane et pas seulement l’actuelle Andalousie).
Dans cette nouvelle vidéo de revendication, très « civilisationnelle », Da’esh rappelle que le Califat islamique et le monde musulman en général entretiennent un contentieux historique, symbolique, religieux et géopolitique unique avec l’Espagne, « pays musulman » conquis et occupé « illégitimement » (au même titre qu’Israël) par des Infidèles, en l’occurrence les « croisés-inquisiteurs-chrétiens » héritiers de la Reconquista opérée par les fameux « rois catholiques » (reyes catolicos).
A cette Reconquista, la mouvance islamiste mondiale - et pas seulement les terroristes -, a toujours opposé une « reconquête à rebours » de l’Espagne dont l’avènement marquerait celle de l’ensemble de l’Europe, à commencer par Rome, nom que Da’esh a récemment donné à sa dernière revue de propagande « Romiyya »
Il est important de comprendre les représentations des jihadistes qui pleurent la « perte » de l’Andalousie : cela démontre la nature « civilisationnelle » de cette menace terroriste-salafiste, que certains « orientalistes » ou philosophes islamiquement corrects voudraient réduire à une réalité « nihiliste » (Roy, Glucksman, etc.) ou que l’on assimile à des groupes d’ignorants et de voyous qui n’auraient « rien à voir avec l’islam », alors qu’elle n’est que la face émergée d’un Iceberg islamiste revanchard totalitaire et planétaire.
Il convient de prendre au sérieux ce mythe propagandiste qui suit de très près un attentat dont le but immédiat et médiatique est de « jeter l’effroi et la peur dans le cœur de l’infidèle » et de mobiliser des candidats jihadistes potentiels nostalgiques d’Al-Andalus. Le message irrédentiste et revanchard fondé sur la nostalgie d’Al-Andalus a une grande portée, bien au-delà du noyau-dur jihadiste. Du Pakistan au Maroc, en passant par l’Arabie saoudite, la Turquie d’Erdogan et les Frères musulmans - qui financent des associations musulmanes andalouses prônant le « retour à l’islam » de l’Espagne -, le thème de la « récupération d’Al-Andalus va de pair avec le mythe de la gloire passée des Califats conquérants « à la pointe de la science et de la civilisation ». Ce mythe est fortement mobilisateur au sein des masses musulmanes et des milieux islamistes en particulier, en particulier marocains. L’irrédentisme néo-califal que professe l’EI ou Al-Qaïda fait vibrer la plupart des intellectuels et leaders politiques du monde arabe qui ne cessent de rappeler que l’Europe « devrait tout » aux califats passés de Bagdad et Al-Andalus qui lui auraient permis de connaître une science qu’ils auraient en quelque sorte « volée » aux Arabo-musulmans de surcroit « humiliés » sous les Croisades, la Reconquista et la colonisation.
De ce fait, si les moyens diffèrent, et bien que les pays islamiques précités condamnent le terrorisme qu’ils combattent aussi chez eux, les jihadistes poursuivent en fin de compte les mêmes objectifs de (re)conquête que les pôles plus "soft" et institutionnels de l’islamisme (Frères musulmans, Ligue islamique mondiale, Organisation de la Coopération islamique, Turquie néo-ottomane, etc). Ces objectifs jihadistes et néo-impérialistes sont d’ailleurs enseignés dès les écoles primaires en Arabie saoudite, au Pakistan ou à l’Université d’Al-Azhar, que le président égyptien Al-Sissi a la plus grand mal à réformer et épurer dans son combat contre les islamistes.
Des terroristes « néo-impérialistes » et irrédentistes
Revenons à notre vidéo. Dans ce nouveau clip, l’Etat Islamique menace l’Espagne de nouveaux attentats et avertit que « le Califat récupérera Al-Ándalus et rendra aux chrétiens le sang musulman qui a coulé durant l’Inquisition espagnole et la reconquista ». L’enregistrement, de qualité assez professionnelle, est centré sur les attentats de Barcelone. Deux militants de l’EI s’y expriment en espagnol.
Le premier se présente sous le nom d’Al Qurtubí', qui signifie, en castillan, le Cordobès (« habitant de Cordoba », en Espagne). Il lance une menace très claire aux « Espagnols chrétiens » à qui il demande de « ne jamais oublier le sang des martyrs musulmans de l’Inquisition espagnole ». Al-Qurtubi, qui utilise une dizaine d’identités différentes pour se mouvoir, selon les informations des services espagnols (Fuerzas y Cuerpos de Seguridad del Estado), apparaît sur Facebook sous le nom de Muhammad Yasin Ahram Pérez Yassine (22 ans). Né à Cordoba, il est parti en Syrie il y a trois ans avec sa mère (Tomasa Pérez Mollejas, 41 ans), une malaguène de Pozoblanco convertie à l’islam et mariée à un islamiste marocain. Yassin, maintenant frappé d’un mandat d’arrêt international, est l’aîné de cinq autres frères, tous installés avec lui en Syrie. Les enquêteurs espagnols n’ont pas eu de mal à identifier 'Al-Cordobés' et son milieu familial, lui-même ultra-radical, notamment sa mère, Tomasa Pérez. D’après le codirecteur de l’Observatorio de Seguridad Internacional, José María Gil, le jeune jihadiste serait « très dangereux » et il serait un redoutable et efficace recruteur sur les réseaux sociaux, notamment en vertu de son « obsession pour le thème de la récupération d’Al Ándalus, et pour son appartenance au courant néo-fondamentaliste-takfiriste, qui consiste à désigner quiconque comme ‘ennemi de l’islam’ et à appeler à son assassinat, en particulier les musulmans ‘apostats’ et les blasphémateurs ». Dans la vidéo, en effet, AL-Qurtubi réitère à plusieurs reprises le motif civilisationnel (Al-Andalus) des attentats de Barcelone. Celle-ci connaîtra à nouveau la terreur du jihad « tant que la terre de nos ancêtres chassés par les croisés espagnols de l’Inquisition » et donc tant qu’elle ne sera pas redevenue musulmane, car elle « appartient » de façon éternelle au Califat». Preuve de la portée du thème d’Al-Andalus qui semble mobiliser nombre de jihadistes, en particulier convertis espagnols et Marocains, d’autant que l’Espagne christianisée par des Croisés ennemis de l’islam est pour cette mouvance « takfiriste » une « nation d’apostats ».
Le second jihadiste qui s’exprime dans la vidéo, identifié sous le nom d’Abusalmán Al Andalusí – en Espagnol Abusalmán el andaluz (en castillan, « l’Andalous »), a été reconnu par M. Gil comme Taruk Al Andalusí, un autre jeune jihadiste établi en Syrie, d’où la vidéo a été conçue par l’agence de presse de l’EI. "Nous vengerons vos massacres passés ainsi que ceux que vous êtes en train de perpétrer contre l’Etat islamique », avertit Al-Andalusi, dans son intervention jalonnée d’images des attentats de Barcelone, où l’on voit le conducteur (tué lundi par la police catalane) de la fourgonnette qui a fauché 13 passants sur les Ramblas.
Un troisième terroriste apparaît et s’exprime sous le nom d’Abusalmán Al Andalusí' -Abusalmán el andaluz-, en espagnol, mais quant à lui avec un fort accent. Il y déclare lui aussi ce message spécifique aux Espagnols héritiers de la Reconquista »: "Nous ne vous laisserons jamais tranquilles, Jamais ».
Rajoy, le roi Felipe VI et les Croisés espagnols
Afin de bien montrer que c’est toute l’Espagne « chrétienne » qui est visée et pas seulement Barcelone, capitale indépendantiste catalane et cité mondialisée, la vidéo cite la nation espagnole dans son ensemble sans faire aucune différence entre Madrid et la capitale catalane, toutes deux anciennes « possessions » d’Al-Andalus ». La vidéo de Da’esh diffuse également des images du Premier ministre espagnol Mariano Rajoy accompagné du roi Felipe VI, puis des extraits de JT en anglais et dans d’autres langues montrant les dégâts des attentats, sur fond de chants polyphoniques jihadistes en arabe et en français puis d’images des terroristes de Barcelone, dont Younes Abouyaaqoub. Puis vient l’interview d’un témoin qui raconte la panique générale observée. C’est que la peur est destinée à paralyser, sidérer et en fin de compte soumettre les « mécréants », que les Jihadistes veulent tuer ou convertir, car « le jihad n’a pas de frontières, faites-le partout où vous pouvez et où que vous soyez », lance le jeune Al-Qurtubi qui sait très bien que le thème d’Al-Andalus couplé avec ceux de l’internationalisme et de la lutte contre « les Croisés » et « l’Inquisition » catholique peut mobiliser d’autres convertis radicaux en Europe issus de l’extrême gauche ainsi que nombre de jeunes arabes abreuvés aux thèses irrédentistes néo-califales distillées par les écoles orthodoxes sunnites et tant d’imams et intellectuels arabo-musulmans.
L’Age d’Or d’Al-Andalus, thème commun à la gauche tiersmondiste et à tous les islamistes radicaux, terroristes ou « institutionnels »
Les « territoires perdus » de la civilisation musulmane comme la Palestine, Al Andalous, la Sicile, les Balkans, et bien sûr Israël revêtent une importance symbolique et mobilisatrice cruciale car ils fournissent un prétexte de conquête et de diabolisation des non-musulmans coupables de les avoir dominés (« Juifs » et « Croisés »). Le mythe d’Al-Andalus permet bien sûr également de compenser le déclin et le retard scientifique de la civilisation islamique actuelle en invoquant la gloire islamique du passé.
Cette idée irrédentiste-théocratique et impérialiste n’est pas nouvelle dans la mouvance jihadiste. Elle était au centre des discours des leaders d’Al Qaïda, Oussama Ben Laden et Ayman al-Zawahiri. elle est si importante dans l’idéologie islamiste radicale salafiste qu’Abdullah Azzam, le mentor d’Oussama Ben Laden qui avait enseigné en Arabie saoudite avant d’aller en Afghanistan, lui a consacré un livre intitulé La défense des territoires islamiques, référence de toute la mouvance jihadiste depuis lors. Dans cet ouvrage, une fonction toute particulière est accordée à Al-Andalous (711-1492), et Abdullah Azzam appelle à sa « récupération ».
Plusieurs historiens espagnols spécialistes des questions relatives à l’islam ont souligné depuis des années la dangerosité de la nostalgie d’Al-Andalus, thème très investi par la gauche et l’extrême-gauche espagnole, notamment dans le cadre d’une position anti-chrétienne et tiersmondiste de principe. D’après l’islamologue espagnol Gustave de Aristegui, « le mythe andalou est une vraie obsession pour nombre d’intégristes islamiques du monde depuis la chute de Grenade en 1492 » et il doit être pris au sérieux, sachant que de nombreux groupes de radicaux de convertis musulmans dispensent leur propagande irrédentiste en toute quiétude depuis des décennies en Andalousie et ailleurs en Espagne. L’âge d’or d’Al-Andalous est souvent invoqué par des organisations et figures de l’extrême-gauche tiersmondiste adeptes des théories du philosophe français ex-communiste converti à l’islam, Roger Garaudy, lui-même basé jusqu’à la fin de sa vie en Andalousie. Pour ces néo-convertis radicaux de gauche ou d’extrême-gauche, sur lesquels nous avons enquêté, l’“ âge d’or islamique ” d’Al-Andalous fonctionne comme le mythe justificateur de l’islamisation-expiation de l’Europe ex-coloniale, « inféodée à l’impérialisme américano-sioniste », et susceptible de retrouver une légitimité révolutionnaire en embrassant la religion par excellence des « opprimés » et de l’égalité que serait l’islam. Parmi les mouvements islamistes composés de convertis basés en Andalousie qui invoquent de façon systématique le mythe de l’âge d’or d’Al-Andalous pour justifier une « réislamisation » de l’Espagne contemporaine, on peut mentionner le cas du mouvement Al-Mourabitoun, créé par l’Ecossais Peter Van Leyck (alias Ian Dallas ou cheikh Sidi Abdelkader Al-Murabit). Officiellement appelée Communauté islamique en Espagne, Al-Mourabitoun est implantée dans toute l’Espagne, principalement à Séville et à Grenade, siège de l’association. Adhérent à un néo-impérialisme califal qui considère que l’appartenance actuelle de l’Andalousie à l’Espagne chrétienne est une « occupation » illégitime, Al-Mourabitoun appelle à une « rupture avec l’ordre démocratique » et diffuse une idéologie à la fois révolutionnaire de gauche et islamiste. Ce n’est pas étonnant si Ian Dallas a choisi comme nom de son organisation celui d’Al-Mourabitoun, dans la mesure où le fanatisme et la violence féroces de l'antique Confrérie des Almoravides - qui terrorisa au quatorzième siècle toute l’Espagne – sont des motifs de fierté pour les adeptes de Dallas. Aussi, les liens tissés par Al Mourabitoun avec la nébuleuse salafiste internationale (Frères musulmans koweïtiens et égyptiens, mouvements islamistes libyens, GIA algérien, Tabligh, Arabie saoudite, etc) constatés depuis des années par les services anti-terroristes espagnols constituent un soutien extérieur précieux et témoignent de l’évolution du mouvement vers le néo-wahhabisme, virage amorcé depuis plusieurs années déjà.
Un autre mouvement radical composé de néo-convertis, l’Association pour le Retour de l’Islam en Andalousie, a été créé dans le sud de l’Espagne sur les mêmes bases « néo-impérialistes » appelant au « rétablissement du Califat arabe de Cordoue ». Certains passages des tracts de propagande diffusés par l’Association sont révélateurs de l’idéologie antichrétienne du mouvement qui provient de l’extrême-gauche et auquel semblait de référer la mère du terroriste Yassine alias al-Quturbi qui s’exprime dans la vidéo: « Le racisme de l’Eglise catholique en Espagne, avec sa politique de génocide durant l’Inquisition, fut utilisé comme instrument de torture par le fascisme.
Celui-ci ravagea l’Europe pendant la première phase d’anarchie que le sionisme envoya par vagues tout en mettant au point ses méthodes bancaires de contrôle à long terme. Ce fut l’Europe chrétienne qui entreprit l’élimination de la civilisation islamique et ce fut l’Europe chrétienne (...) qui baissa la tête en acquiesçant au fascisme (...). L’Islam est le modèle de l’avenir...». Des propos qui abondent totalement dans le sens de ceux des vidéo-terroristes Al-Qurtubi et Al-Andalusi cités plus haut.
Enfin, rappelons que le cerveau des attentat de Barcelone et Cambrils, l’imam Abdelbaki Es Satty, qui a fanatisé ces dernières années de nombreux jeunes espagnols et marocains, et que l’on a retrouvé mort dans les décombres de la maison d’Alcanar où il s’est fait sauter en manipulant l’explosif TAPTP au milieu d’une centaine de bombonnes de gaz, a laissé une « Lettre brève aux soldats de l’Etat islamique», dans laquelle il évoque la nécessité absolue de «récupérer Al Andalus». L’imam de Ripoll, qui, cela dit en passant, avait été condamné dans le passé à deux ans de prisons pour trafic de drogue et qui était Marocain, écrit à la main: “Au nom d’Allah, le Miséricordieux, le Compasionnel. Cette brève lettre des Soldats de l’Etat Islamique dans la terre d’Ándalus pour les Croisés, les pêcheurs, les injustes, les corrupteurs”, un texte écrit en arabe sur une feuille posée sur un livre dans le chalet d’Alcanar. Tout un programme, en effet bref, mais limpide, qui devrait faire réfléchir nos politiques islamiquement corrects et tous ceux qui, depuis des années, en Espagne comme en Occident, cèdent aux demandes des lobbies tiermsondistes islamophiles et christianophobes qui ont inscrit la nostalgie d’Al-Andalus dans les programmes scolaires des enfants européens comme dans ceux des universités et des télévisions qui colportent - peut-être souvent sans le savoir - le thème mobilisateur le plus puissant du jihadisme et de l’islamisme revanchard après ceux de la Palestine et de « l’islamophobie » : Al-Andalus.