La dérive autoritaire et anti-européenne du néo-Sultan Erdogan
Le communautarisme turc s'est clairement exprimé lors des incidents du match de football Lyon-Besiktas, il ne faut pas le dissocier de la montée en puissance d'Erdogan. Car avec son referendum, plus que son pays, c'est bien l'Europe qu'il compte menacer.
En votant "oui" à la révision constitutionnelle, les électeurs turcs avancent vers un nouveau régime hyper présidentiel qui donne les quasi pleins pouvoirs au nouveau sultan adepte d’une synthèse islamo-nationaliste ».
Erdogan poursuit par là un triple objectif :
- Achever ce qu’il a appelé lui-même le « changement de civilisation » de son pays, qui, en rompant avec la démocratie libérale et l’Occident « mécréant », va redevenir une Turquie autoritaire, islamique, néo-ottomane et réconciliée avec sa culture moyen-orientale;
- Rester en place jusqu’à 2024 et être le dirigeant turc qui aura régné le plus longtemps à la tête de la Turquie, ceci afin de détrôner Atätürk, le père de la Turquie nationaliste moderne, dont il a démantelé progressivement, au nom des réformes européennes, tous les édifices laïques.
- S’emparer des pleins pouvoirs y compris judiciaires afin de bloquer définitivement les investigations judicaires concernant son implication (puis celle de son fils et de plusieurs ministres AKP) dans de graves affaires de corruption.
Rappelons que ces investigations ont été l’œuvre de juges et policiers liés au mouvement de Fetullah Gulen, son ancien allié politique, qu’il a tenté de décapiter dès 2013 et qui s’est vengé en tentant un coup d’Etat en juillet 2016.
Le phénomène Erdogan autoritaire, qui a semblé décevoir et surprendre moult âmes européennes démocratiques n’est pourtant pas nouveau. Déjà, en juin 2013, lorsque les violents affrontements opposèrent les forces de l’ordre turques aux manifestants laïcs et de gauche qui dénonçaient un projet de réaménagement urbain d’Istanbul visant à détruire le parc Gezi de la place Taksim (haut lieu de rassemblement des démocrates et des minorités) pour y construire à la place la copie d’une ancienne « caserne ottomane », l’opposition laïque et progressiste, alors cible de plus de 2000 arrestations, dénonçait la dérive autoritaire d’Erdogan suspecté de poursuivre depuis des années son « agenda caché » islamiste. Atteint non seulement d’autoritarisme mais aussi de folie des grandeurs, Erdogan inaugura d’ailleurs, en octobre 2014, son palais présidentiel impérial sur mesure de 200.000 mètres carrés de style «néo-seljoukide» conçu pour rappeler la « grandeur du sultanat califat ottoman » qui couta aux contribuables turcs 500 millions d'euros. Depuis son ascension au pouvoir suprême au début des années 2000, le président turc n’a jamais caché son désir de devenir l’équivalent moderne d’un néo-sultan-calife, ni même son intention de faire réviser la constitution turque afin de s’auto-attribuer un pouvoir absolu.
L’Europe concernée au premier chef
Au-delà de l’enjeu crucial pour sa crédibilité et son leadership national et international, cet enjeu concerne l’Union européenne pour deux raisons au moins.
Premièrement parce que les dérives anti-démocratiques et répressions constatées en « représailles » au coup d’Etat manqué de juillet dernier (140 000 employés exclus de l’Administration, dont 40 000 en prison ; 55 députés objets de procédures judiciaires, 130 journalistes incarcérés ; Etat d’urgence permanent ; répression du parti pro-kurde HDP et de tous les opposants ; bombardements des régions kurdes ; arrestations de milliers de professeurs, juges, militants des droits de l’homme, militaires, etc), ont achevé de persuader l’essentiel des pays-membres de l’Union européenne que l’adhésion de la Turquie à l’UE est de plus en plus improbable, sinon impossible.
Deuxièmement parce que la Turquie du sultan néo-ottoman Erdogan se comporte de plus en plus en « protecteur » des minorités turques en Irak, en Syrie, à Chypre, dans les Balkans, et même en Europe, où il a tenté ces derniers temps de mobiliser les Turcs et descendants de turcs afin qu’ils votent massivement pour lui lors du référendum, sachant que les électeurs turcs potentiels pro-Erdogan dans l’Union dépassent le millions et demi, ce qui peut faire la différence en cas de vote serré.
C’est dans ce contexte d’agenda électoral qu’a été déclenchée, il y a quelques semaines, la plus grave crise jamais survenue entre la Turquie moderne et l’Europe, lorsque des personnalités et ministres turcs pro-Erdogan venus prêcher (en Allemagne, Autriche, Suède ou Hollande) le oui au référendum sur les pleins pouvoirs d’Erdogan, ont été interdits de séjour ou de parole ou même reconduits à la frontière après l’annulation administrative de meetings.
La colère du Grand Turc
Frustré de ne pas pouvoir mobiliser ses électeurs turcs européens, majoritairement pro-islamistes, le 7 mars 2017, l’homme fort de l’AKP (parti de la Justice et du développement, de tendance islamiste-nationaliste) au pouvoir depuis 2002, a répondu aux limitations européennes jugées « anti-turques », par l’invective, l’insulte, l’outrance et mêmes les menaces (« plus aucun Européen ne pourra sortir dans les rues en sécurité »....
Il accusa la chancelière allemande, Angela Merkel (pourtant plus que conciliante envers lui depuis l’accord sur les réfugiés syriens) de se « comporter comme les nazis » et « d’insulter la Turquie ». De même, lorsque le ministre des Affaires étrangères turc, Mevlut Cavusoglu, a été interdit de discours aux Pays-Bas puis reconduit à la frontière de ce pays, le 13 mars 2017, alors qu’il venait plaider au sein de la diaspora turque en faveur du "oui" pour le référendum du 16 avril, Erdogan a répondu avec la même violence sur fond de propos anti-occidentaux en accusant la Hollande d’avoir des « pratiques nazies », « racistes et « islamophobes » et d’être la « capitale du fascisme, avertissant que les Hollandais « allaient en payer le prix »… Angela Merkel, qui a (contrairement à la France de François Hollande) exprimé sa solidarité envers La Haye et dont le pays a autorisé le 18 mars des manifestations kurdes pro-PKK, s’est vue à nouveau interpellée par Erdogan qui lui a lancé : « tu as à nouveau recours à des pratiques nazies », puis l’a accusé de « soutenir les terroristes » (sous-entendu les indépendantistes kurdes ayant trouvé refuge en Allemagne). Mieux, le néo-sultan irascible a carrément invité les Turcs et les musulmans d’Europe d’acheter de « belles voitures », de « faire beaucoup d’enfants », et de rester musulmans afin de devenir plus puissants encore en Europe, un « continent en train de pourrir »…
ourtant, on sait bien que l’homme qui accuse la Vieille Europe d’être « nazie », « raciste » envers les musulmans ou « fasciste » est le protagoniste, depuis le milieu des années 2000, d’un radicalisme politique d’un type particulier, le « national-islamisme », qui emprunte systématiquement à la doxa d’extrême-droite la plus caricaturale : complotisme, xénophobie, antisémitisme, christianophobie, haine de l’Occident et des Kurdes. Par ailleurs, on ne rappellera jamais assez que le parti d’Erdogan est l’allié politique du parti néo-fasciste turc MHP (Parti d’Action nationaliste, pendant politique des très violents Loups Gris).
D’évidence, l’attaque envers la vieille Europe post-totalitaire dont il connaît les failles (culpabilité), participe d’une « accusation-miroir », typique de la désinformation et de la guerre psychologique. Il serait temps que les Européens soient plus fermes, rappellent leurs ambassadeurs à la moindre provocation et exigent des excuses d’Ankara, à l’instar de Vladimir Poutine qui a su se faire respecter par Erdogan après la crise des avions russes abattus par l’aviation turque à la frontière syrienne en novembre 2015. Depuis, autant le Sultan respecte le Tsar russe qui lui a résisté qu’il méprise la chancelière allemande qui s’était couchée devant lui à plusieurs reprises et n’a pas été payée de retour pour sa patience maternelle….
Outre le fait que la crise euro-turque autour du référendum et des meetings pro-Erdogan interdits dans plusieurs pays européens a révélé la division et la vulnérabilité de l’Union européenne, insultée au plus haut niveau par le président turc, incapable de riposter de façon solidaire, et soumise au chantage-racket sur les réfugiés - qu’Ankara menace de laisser passer illégalement vers nos pays si les Européens ne se soumettent pas aux exigences turques sur l’adhésion et les visas – on a pu réaliser à quel point la Turquie néo-islamiste d’Erdogan a renforcé depuis les années 2000 sa main-mise politico-religieuse et culturelle sur les minorités turques d’Europe. Ce phénomène est fort inquiétant, car le but de Recep Taiyyp Erdogan n’est autre que d’empêcher l’intégration des Turcs d’Europe et en général des musulmans dont il entretient la paranoïa (thème de « l’islamophobie » ) et qu’il veut conserver comme des sujets et pièces-maîtresse de l’extension de la « profondeur stratégique » de son pays au-delà de ses frontières, ce qui relève de l’impérialisme civilisationnel et géopolitique pur et simple.
L’OPA sur l’islam d’Europe et de France
C’est dans ce contexte d’ingérence turque-islamiste en Europe que le franco-turc Ahmet Ogras, actuel vice-président du Conseil Français du Culte musulman (CFCM) et président du Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF), s’apprête à devenir le président du CFCM, donc de l’instance suprême de l’islam de France, en succession du Marocain Anouar Kbibech. Rappelons pour la petite histoire, pour comprendre qui est Ogras, que ce dernier prône l’obligation pour les musulmanes de se voiler et a insulté Manuel Valls de « malade » durant l’été 2016 lorsque l’ancien ministre avait dénoncé le voile islamique et la burka. Patron d’une agence de voyage spécialisée sur la Turquie, Ahmet Ogras est marié à la cousine de l’épouse du président turc Erdogan, et son beau-frère, Ali Hasal, est employé au palais présidentiel d’Ankara au service d’Erdogan... Ahmet Ogras, plus connu pour son nationalisme pro-Erdogan que pour ses compétences théologiques, a d’ailleurs été l’homme d’Erdogan en Europe au sein de l’Union des démocrates turcs européens (UETD), succursale de l’AKP au pouvoir à Ankara. Il n’a cessé de faire publiquement l’apologie de Recep T. Erdogan, « grand démocrate », et a même tweeté : « nous sommes tous des soldats d’Erdogan »… En fait, Ogras a été placé à la tête du CCMTF par d’Ankara dans le cadre d’une stratégie offensive d’entrisme visant à écarter son prédécesseur, Haidar Demirhurek, jugé hostile à Erdogan. Depuis, il s’est imposé et est devenu le relais d’influence communautaire de la DITIB, la structure pilotée par le gouvernement turc chargée de gérer les communautés musulmanes turques en Europe.
Alors que l’Autriche (également violemment invectivée par Ankara et Erdogan) a décidé depuis deux ans, de reprendre en main la gestion de ses mosquées, centres islamiques et association éducatives musulmanes, notamment en interdisant l’immixtion de pays comme la Turquie ou les pays du Golfe, trop hostiles à l’intégration, la France a quant à elle laissé Ankara et son islamisme subversif étendre leur emprise sur les communautés turques sunnites hexagonales. De même que la France de François Hollande a refusé de se montrer solidaire des pays européens récemment menacés et insultés par Erdogan et a même autorisé le ministre turc des affaires étrangères et d’autres représentants d’Erdogan de participer à des meetings électoraux en faveur de la réforme autoritaire de la constitution turque, la France s’apprête à livrer cette fois-ci non plus seulement ses Français d’origine turque mais l’ensemble de ses citoyens musulmans et l’islam de France aux instances turques pro-AKP qu’un fidèle d’Erdogan va prendre le contrôle sous peu aux termes d’une véritable stratégie néo-ottomane d’ingérence théocratique que la Turquie ne tolèrerait jamais dans le sens contraire.
Il suffit de rappeler que l’Etat turc oblige les (rares) prêtres turcs à n’avoir aucune nationalité étrangère ni allégeance envers un Etat étranger, et que le Séminaire grec-orthodoxe de Hakli qui forme normalement les prêtres orthodoxes est fermé depuis 1974 et n’a jamais pu être rouvert, malgré les protestations des instances internationales et des pays occidentaux ou de la Grèce depuis des décennies.
Rappelons aussi qu’en Turquie,
- un citoyen turc n’a pas le droit de quitter l’islam et de se convertir ;
- que les missionnaires chrétiens y sont régulièrement pénalement poursuivis, expulsés ou tués ;
- que deux prélats catholiques italiens y ont été tués (Mgr Luigi Padovese et Padre Santoro) ;
- que le leader intellectuel de la communauté arménienne de Turquie, Hrant Dink, a été assassinée ;
- et que les fondations chrétiennes spoliées par les lois iniques (verlek vargisi) de 1942 et autres pillages d’Etat n’ont jamais réussi à récupérer leurs biens mobiliers et immobiliers confisqués malgré les réformes démocratiques dans le cadre de la candidature turque à l’UE.
Enfin, les Alévis, secte minoritaire proche du chiisme laïque, n’ont aucune reconnaissance légale cultuelle et les non-musulmans n’ont pas le droit d’accéder aux postes de hauts gradés militaires ou de ministres… C’est donc un pays qui ne traite pas les chrétiens et non-musulmans en égaux ; qui interdit toute ingérence des pays chrétiens (Grèce, Arménie, UE) dans la gestion du culte chrétien en Turquie, et qui a toujours sanctionné pénalement la reconnaissance du génocide des Arméniens qui donne des leçons de morale anti-islamophobe à la Vielle Europe et va contrôler l’islam de France…