Terrorisme islamiste : l’Europe dans le tourbillon d’une nouvelle guerre de trente ans (à moins que
L'attentat de Berlin de ce lundi soir s'ajoute à la liste des attaques terroristes qui ont frappé l'Europe depuis 2012. Alors que de nombreux djihadistes vaincus en Syrie et en Irak sont de retour sur le sol européen, cette vague de terrorisme risque de se prolonger et pourrait même s'intensifier.
Atlantico : L'attentat de ce lundi soir à Berlin s'inscrit dans la série d'attaques terroristes ayant frappé l'Europe au cours des quatre dernières années. Pendant combien de temps l'Europe sera-t-elle confrontée selon vous à cette forme de terrorisme "islamique" ?
Alexandre del Valle : Ce n'est que le début de la vague de terrorisme qui frappe l'Europe. Nous sommes face à un terrorisme global qui fonctionne de manière réticulaire via les réseaux sociaux et qui est le fruit d'une vague mondiale très profonde de radicalisation dans le monde musulman dont le terrorisme n'est que la face immergée de l'iceberg.
Nos sociétés ont été perméables aux enseignements islamistes, y compris djihadistes, depuis des années. Non seulement nous accueillons sur notre sol des flux migratoires non contrôlés ou mal contrôlés mais nous participons régulièrement à des guerres dans des pays musulmans qui suscitent des réactions.
Ouverture des frontières, tolérance de mouvements radicaux sur notre sol qui embrigadent nos populations, interférence dans des pays musulmans qui provoquent des réactions : toutes les conditions sont réunies pour que le djihadisme soit un phénomène croissant. Par ailleurs, le retour de nombreux djihadistes vaincus en Irak ou en Syrie ne va pas arranger les choses. Ces combattants de retour en Europe vont former une organisation clandestine, ce qui renforcera la stratégie djihadiste. Tous les éléments sont réunis pour une multiplication des attentats et nous devons nous habituer, comme les Israéliens, à des attaques régulières, que ce soit le djihad du couteau, le djihad du camion, les égorgements, des phénomènes massifs ou plus individuels.
Eric Dénécé : Ce type d’attentat, s’il est directement lié aux "nouveaux" modes d’action préconisés par Daesh à ses combattants, s’inscrit bien plus largement dans la dynamique du terrorisme islamiste qui a pris naissance au milieu des années 1990 avec Al-Qaïda et qui n’a cessé de se développer depuis. Certes, depuis quelques années, Daesh apparaît plus actif et agressif que l’organisation djihadiste d’Ayman Al-Zawahiri. Mais celle-ci est en pleine phase de remontée en puissance, parallèlement aux déconvenues que connaît depuis une année l’organisation Etat Islamique sur les théâtres syro-irakien et libyen. Cela signifie donc que le terrorisme islamiste est loin de s’éteindre. Il est encore en phase ascendante. Dès lors, l’Europe, mais en fait le monde entier, va être longtemps perturbé par ce type d’actions barbares sur plusieurs décennies. Car les frustrations qui poussent des individus désaxés à rejoindre l’une ou l’autre de ces organisations restent entières, à défaut d’être toujours fondées. Mais les recruteurs takfiris savent parfaitement manipuler les individus et orienter les esprits faibles, malades ou criminels qui adhèrent à leur idéologie obscurantiste vers l’action violente, en leur faisant croire que cela permettra de régler leurs problèmes et échecs personnels, et d’améliorer l’avenir du monde… C’est une utopie particulièrement meurtrière fondée sur un double langage.
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Depuis 2012, la France, la Belgique et l'Allemagne ont été les pays les plus touchés par le terrorisme. Ces pays continueront-ils d'être particulièrement visés ? Peut-on s'attendre à une intensification du rythme des attentats ?
Eric Dénécé : La France et la Belgique d’une part, l’Allemagne de l’autre sont aujourd’hui les pays qui comptent le plus grand nombre de musulmans dans leur population (Maghrébins dans les deux premiers cas, Turcs dans le troisième). Bien que plus de 90% des musulmans européens soient des citoyens rejetant la violence et le radicalisme, dans ces trois pays, le nombre des extrémistes prêchant la haine et le djihad ne cesse de croître.
Dans le cas de l’Allemagne, il est au demeurant renforcé par le fait que ce pays a ouvert ses frontières aux migrants du Moyen-Orient. De ce fait, il a permis à de nouveaux vers d’entrer dans le fruit. En raison de ce terreau favorable, des terroristes peuvent plus aisément se dissimuler qu’en Italie ou en Espagne… et leur entrée est plus difficile à contrôler qu’au Royaume-Uni, qui est une île. Les attentats vont donc se poursuivre, mais leur rythme restera vraisemblablement aléatoire, car ils sont toujours la résultante de l'efficacité des forces de sécurité, des événements internationaux, des appels au meurtre lancés par les djihadistes takfiris, etc. En tout cas, il convient de ne pas s’attendre à ce qu’ils diminuent.
Alexandre del Valle : Il est très probable que ces pays soient plus visés que les autres. Cela n'est pas uniquement lié au fait que ces pays seraient accusés d'être plus islamophobes ou dans le cas de la France à son statut d'ancien empire colonial dans les pays musulmans. La principale explication, c'est que ces pays sont des sociétés multiculturelles. Or, ce que dénoncent les islamistes davantage que les sociétés chrétiennes homogènes, ce sont les sociétés métissées, les sociétés tolérantes. La pire des humiliations pour eux, c'est quand un musulman est sous les ordres d'un mécréant.
Il est logique que les sociétés les plus frappées soient les sociétés les plus ouvertes comme l'Allemagne qui a accueilli beaucoup de réfugiés sur son sol et qui accepte une voie multiculturelle en renonçant un peu à son identité. Le but des islamistes est de séparer les populations dans les sociétés multiculturelle par la stratégie de la tension, de l'attentat qui a pour but de monter les communautés les unes contre les autres, de provoquer une islamophobie qui elle-même est un prétexte pour un repli communautaire. Cette stratégie n'est pas forcément dénuée de raison ou d'habileté.
Il est presque certain qu'il y aura une intensification des attentats car les moyens des policiers pour surveiller les individus fichés restent extrêmement insuffisants. Il faudrait multiplier par trois ou quatre le nombre de personnes chargées de surveiller individuellement chaque terroriste potentiel ou djihadiste de retour. Par ailleurs, l'idéologie islamiste continue à progresser et il n'y a pas vraiment de combat contre cette idéologie des Frères musulmans ou des salafistes : même si quelques rares mosquées ont fermé, leur message continue d'être distillé. Mais surtout, Daech étant défait dans certaines villes ou points en Irak et en Syrie, il y aura un phénomène de vengeance et de compensation : la perte d'un territoire sera compensée par une augmentation du djihad qui a pour but de mobiliser et de faire parler de soi. Daech va tout faire pour accentuer ce phénomène : nous assisterons à de plus en plus de retours de djihadistes qui quittent certaines zones de combat pour revenir en Europe.
Le fait que des cibles chrétiennes soient visées est une nouveauté et semble devenir l'une des tendances lourdes de la stratégie de la tension. Le but de cette stratégie consiste à ne pas s'en prendre uniquement aux juifs, aux agnostiques, aux athées ou aux blasphémateurs comme Charlie Hebdo mais à s'en prendre également aux milieux chrétiens, aux traditions (crèches de Noël, marché de Noël, églises, etc.). Le but est de montrer que les terroristes ne se concentrent pas sur une petite partie de la société mais tuent tout le monde (des laïcs, des gens de gauche, des prêtres dans leurs églises, des patrons, des bobos, des chrétiens). C'est le djihad global et globalisé. Cette stratégie, même si elle est horrible, est très intelligente car elle a pour effet de traumatiser tout le monde, dans la mesure où chacun se sent visé.
Sous quelles conditions ce terrorisme prendra-t-il fin ? Que conviendrait-il de mettre en œuvre dès maintenant, tant au niveau national, européen, qu'en matière de politique étrangère ?
Alexandre del Valle : Pour que ce terrorisme prenne fin en Europe, il faudrait réussir à encadrer parfaitement tous les candidats potentiels qui restent fascinés par l'idéologie accessible sur Internet, dans des revues mais également auprès de nombreux milit
ants radicaux, prédicateurs et imams.
Il faudrait surveiller de manière parfaite les réseaux sociaux, les médias, les mosquées, les centres islamiques. C'est presque impossible. Tant que l'idéologie mondiale du terrorisme mondial islamiste n'est pas asséchée, je ne vois pas comment nous pourrions le juguler.
En revanche, il est possible de limiter les dégâts en renforçant le nombre de policiers et les services de renseignement mis à disposition pour surveiller individuellement les cas suspects. Il faudrait également renforcer le contrôle sur Internet, obliger certains serveurs et grandes sociétés comme Yahoo et Twitter à être beaucoup plus vigilants. La coopération entre les entreprises, les réseaux sociaux, les services de renseignement et la police devrait être intensifiée tout comme la collaboration européenne - qui est très mauvaise actuellement -. Il faudrait beaucoup plus d'échanges d'informations au niveau européen mais également entre l'Europe et la Turquie, l'Europe et la Syrie..
Eric Dénécé : Cette même question est posée, sans cesse, depuis 15 ans, après chaque nouvel attentat. Je ne vois pas comment les gouvernements pourraient chaque fois apporter une réponse nouvelle et plus efficace que la fois précédente. Cela signifierait qu’ils ne font jamais correctement leur travail. Cessons de croire à la solution miracle. Sur le plan de la sécurité intérieure, l’essentiel de ce que nous pouvons faire en démocratie a sans doute été fait, même si toutes les mesures prises depuis 18 mois ne portent pas encore leurs fruits. Il reste sûrement quelques mesures à prendre, relatives à la place de l’islam dans nos sociétés et à l’immigration, clandestine ou non. Nous ne pouvons notamment plus accepter que les représentants de divers courants de cette religion, parfois même pacifiques, réclament dans nos pays un statut et des droits équivalents au christianisme. L’islam n’est apparu vraiment en Europe que depuis deux générations alors que nos sociétés ont été façonnées par deux millénaires d’histoire chrétienne… et antichrétienne. Nos valeurs, l’organisation du territoire, du calendrier, nos fêtes… que l’on soit croyant ou non, tout cela est issu de notre histoire chrétienne. L’islam ne peut prétendre à un statut comparable, tout en bénéficiant des droits que lui assurent nos sociétés libres et laïques. Au passage, notons qu’aucune société musulmane - à part peut-être la Syrie - n’accorde aux chrétiens et aux non-croyants un statut égal à celui des musulmans…
Enfin, en matière de politique étrangère, les errements occidentaux continuent. L’absence de remise en cause de nos relations avec les régimes islamistes (monarchies pétrolières du Golfe persique) et les pays en voie d’islamisation croissante (Turquie) ne nous permet pas de lutter efficacement contre le terrorisme. L’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie par un homme de la sécurité illustre à quel point la police anatolienne est islamisée par la volonté d’Erdogan. Et la faramineuse désinformation qui a actuellement cours sur la situation à Alep - une contre-vérité absolue ! - continue de nourrir le ressentiment de musulmans extrémistes et leur donne envie de passer à l’action. A-t-on entendu au cours des dernières années le moindre média occidental faire état des indicibles souffrances de la population syrienne soumise aux bombardements et assassinats djihadistes ? Qui parle aujourd’hui de la situation humanitaire au Yémen où l’Arabie Saoudite se livre à des frappes systématiques sur des populations innocentes et détruit systématiquement hôpitaux et sites archéologiques ? Le principal danger contre nos sociétés n’est pas le djihadisme takfiri, mais notre aveuglement et notre bêtise !
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