Pourquoi (et comment) les vrais ennemis de la France se combattent avant tout sur notre propre terri
Après plusieurs articles-feuilletons consacrés aux pôles de l'islamisme radical décrits en détails dans son ouvrage « Les vrais ennemis de l'Occident », Alexandre del Valle propose ici des pistes de « résistance » et de défense face aux vrais ennemis qui menacent à terme nos sociétés dans leur existence et leur pérennité même.
Il convient tout d'abord, comme je l'explique dans mon essai Les vrais ennemis de l'Occident, de désigner correctement et précisément l'ennemi. Aussi faut-il garder à l’esprit que "le terrorisme", "la terreur globale", "l’extrémisme violent" ou "nihiliste", ou même "le fondamentalisme" et "l’islamisme" ne sont que des modes d’action, des idéologies ou des degrés de radicalisme, mais pas des ennemis concrets et identifiés. Un ennemi est une entité incarnée, comme le sont les pôles étatiques de l’islamisme mondial (Ligue islamique mondiale, Qatar, Arabie saoudite, Turquie néo-ottomane, Pakistan, Organisation de la Coopération islamique, etc) et leurs excroissances institutionnelles, religieuses et associatives ou terroristes, que nous avons examinés dans des "feuilletons" parus dans notre géopolitico-scanner d'Atlantico ainsi que dans la première partie de notre essai.
Une fois que l’on a compris que l’ennemi est une entité vivante, il convient de le désigner de façon non tronquée après avoir hiérarchisé cet ennemi. L’ennemi véritable de l'Europe et de l’Occident – dans son acception non pas atlantiste marchande mais géocivilisationnelle – ne sont ni la Russie ni la Syrie de Bachar el-Assad, qui luttent contre le même ennemi que nous et ne menacent pas nos valeurs et nos sociétés.
Notre vrai ennemi ne se limite pas non plus à l’État Islamique, pas plus qu’hier à Al-Qaïda, qui ne sont que la face immergée de l’iceberg islamo-totalitaire, son entité paraétatique la plus visible, frontale et violente. En réalité, la menace qui pose, à terme, un problème existentiel aux "mécréants" occidentaux englobe l’ensemble des pôles de l’islamisme conquérant qui livrent une guerre non frontale et non déclarée, à la différence des terroristes qui avancent sans masque.
Nous avons vu que les buts de guerre de ces pôles sont en fin de compte – à long terme – les mêmes que ceux de Daesh (conquête-islamisation de l'Europe et du monde à terme), certes par divers moyens, financiers, psychologiques, prosélytiques, à savoir la destruction de nos sociétés mécréantes et leur remplacement par le modèle de la charià. Ce processus est déjà en cours dans nombre de zones d’apartheid volontaire islamique, dans des villes d’Europe occidentale, qu’il conviendra de reconquérir afin qu’elles ne fonctionnent pas comme des bases arrières internes de l’ennemi.
Une vision tronquée de l’ennemi réduite à Daesh donne en fait un boulevard à tous les groupes ou entités totalitaires islamistes qui se dissocient tactiquement, verbalement ou même sincèrement de l’EI, tout en continuant de poursuivre leur stratégie de subversion/pénétration par étapes de l’Occident mécréant, notamment par la "bataille de la non-intégration" et du communautarisme sécessionniste. Nous aurions d’ailleurs pu gagner celle de l’assimilation si nous avions poursuivi une politique volontariste fondée sur un "patriotisme intégrateur".
Cette "guerre des représentations" a été également sapée ex ante par les adeptes de la repentance, en premier lieu les alliés totalitaires rouges des islamistes, qui sont parvenus à culpabiliser-diaboliser toute forme de patriotisme ou de défense de la civilisation européenne et judéo-chrétienne en vertu d’un agenda révolutionnaire et d’une convergence antioccidentale ("rouge-verte").
Cette haine de soi, qui a été intériorisée par les Européens depuis le plus jeune âge, fait que la promotion de l’estime de la nation et donc de l’esprit de défense n’est pas aisée, en-dehors des cercles naturellement patriotiques comme l’armée.
Par ailleurs, la désignation partielle de l’ennemi permet à des groupes totalitaires d’être qualifiés "d’islamistes modérés" ou "d’opposition légitime", comme on l’a vu en Syrie, où les Occidentaux ont systématiquement accusé les Russes de s’en prendre à des groupes djihadistes "modérés" qui ont en fait les mêmes objectifs califaux et chariatiques que Daesh. Nos armées se battent d’ailleurs contre d’autres groupes non inféodés à Daesh mais tout aussi djihadistes, notamment en Afrique sahélienne depuis janvier 2013.
Deuxièmement, après avoir mieux défini la menace et l’ennemi, il convient d’élaborer une vraie stratégie, à la fois militaire, politique, économique, psychologique et diplomatique, et des objectifs clairs pour vaincre ou au moins endiguer et neutraliser cet ennemi multiforme, asymétrique, à la fois idéologique et géocivilisationnel. Sur les théâtres d’opération syrien, irakien ou malien, on voit bien qu’aucun bombardement aérien non accompagné d’une doctrine COIN (voir supra, Petraeus) et donc de moyens humains massifs au sol et de solution politique ne saurait venir à bout de cet ennemi fluide, qui est extrêmement mobile, qui se fond dans les populations, qui s’appuie sur des solidarités familiales, tribales ou communautaristes et les utilise comme bouclier humain.
Rappelons les principaux fronts et buts de guerre stratégiques annoncés par Daesh mais mis en oeuvre et/ou poursuivis d’une façon ou d’une autre par les grands pôles étatiques et associatifs mondiaux de l’islamisme :
1) Reconquérir et réunifier toute la Oumma dans un futur califat après avoir détruit les régimes non chariatiques
2) Prendre d’assaut l’Europe symbolisée par les objectifs d’Al-Andalous et de Rome
3) Conquérir-islamiser toute la planète, à terme, à terme
La guerre contre l’ennemi doit donc être dirigée contre toute la mouvance islamiste totalitaire dans ses composantes idéologique, subversive ou propagandiste, et pas seulement contre les terroristes munis d’explosifs, de kalachnikovs ou de haches.
À l’extérieur, aucune guerre de "regime change" ou d’ingérence au nom des Droits de l’homme, en réalité néocoloniale, ne doit plus être livrée comme ce fut le cas par le passé en Irak et en Libye avec les résultats catastrophiques que l’on sait. Cette remarque ne concerne pas, selon certains, l’engagement de la France au Mali depuis 2013, qui répondrait pour une fois à un intérêt direct et a été souhaité par les pays africains les plus opposés à l’interventionnisme, comme l’Algérie.
1/ Le front intérieur
Le premier front doit être intérieur, de sorte qu’avant de donner des leçons de Droits de l’homme et de morale démocratique à notre allié potentiel russe ou aux dictatures du monde entier, nos dirigeants feraient mieux de défendre ces mêmes valeurs (démocratie, état de droit, justice, égalité des sexes, laïcité, etc.) sur notre sol face à nos ennemis internes actionnés par les grands pôles mondiaux de l’islamisme. Nos moyens de défense et sécuritaires, en recul constant depuis des décennies, doivent par conséquent être augmentés. Ils peuvent être financés par la manne potentielle énorme que représentent les économies des dépenses publiques, la rationalisation des services publics et la lutte contre les fraudes et les aides sociales détournées.
La "grande stratégie", que nos dirigeants doivent mettre au point face à l’ennemi désigné dans son essence et son intégralité, implique que nous nous fixions des "buts de guerre", lesquels doivent consister à éliminer ou neutraliser l’ennemi direct externe et interne après les avoir "fixés", puis à neutraliser ses complices et relais internes qui sévissent dans nos démocraties. Une stratégie et des objectifs de guerre impliquent aussi, après avoir hiérarchisé l’ennemi principal, la désignation des alliés stratégiques et tactiques qui ont soit des intérêts convergents ou tout simplement les mêmes ennemis que nous. Enfin, la guerre contre l’ennemi asymétrique n’a pas vocation à durer éternellement, car la guerre n’est qu’une ultima ratio et elle n’est pas concevable sans un plan de sortie qui se concrétisera par des accords de non-nuisance et de paix conclus auprès de nos étranges partenaires du Golfe, du Pakistan, de Turquie ou autres lorsqu’ils auront pris les mesures nécessaires pour cesser de nuire à nos intérêts directs.
2/ Neutraliser les relais internes de l’ennemi dans nos démocraties
Aucune guerre contre les pôles de l’islamisme ne sera efficace si l’on se contente d’intervenir militairement dans des pays musulmans où les cerveaux d’Al-Qaïda et Daech cherchent à nous embourber, sans lutter d’abord contre les relais et réseaux de financement des pôles islamistes à l’oeuvre dans nos sociétés ouvertes à tous les vents. Leur influence et leur activité sur notre sol doivent être en priorité démantelées. S’ajoute à la neutralisation des relais de cet ennemi externe et interne dans nos démocraties l’impératif de diminuer la portée des discours radicalement anti-occidentaux et subversifs de ses complices objectifs, qu’ils appartiennent à l’extrême-gauche révolutionnaire ou qu’ils sévissent à travers le terrorisme psychologique et moral du politiquement correct. Cette doxa inhibitrice repose grosso modo sur une xénophilie illimitée miroir de la haine de soi et sur une repentance pathologique qui appellent à l’autodestruction de la civilisation européenne comme voie d’expiation des "fautes" collectives passées imputées aux bourreaux occidentaux.
Face à la dérive "post-démocratique" de la conception du pouvoir en Occident qui a marginalisé la souveraineté populaire au profit d’oligarchies et de "minorités tyranniques" et communautaristes (lobbies ethno-religieux, ONG sans frontières, ligues de vertus "antiracistes") – instances dépourvues de légitimité démocratique –, le pouvoir issu du suffrage universel doit reprendre le dessus et rendre compte aux seuls électeurs-citoyens qui ont un "droit à la sécurité" et à la survie de leur nation et de leur civilisation.
L’État stratège doit pouvoir remplir ses missions régaliennes, à commencer par celle d’assurer la survie et la pérennité de la nation et de ses règles et valeurs face à ses ennemis intérieurs et extérieurs, sans se laisser impressionner par des directives internationales, des groupes de pression communautaristes, des multinationales ou des idéologues hostiles aux frontières (No Borders soutenus par George Soros, ligues de vertu, etc.). De ce fait, tout ce qui peut être entrepris pour diminuer la force d’attraction du discours de Daesh, à commencer par la rhétorique victimaire et paranoïaque entretenue par l’extrême-gauche prétendument antiraciste qui lui prépare le chemin, doit être mis en oeuvre.
3/ Reprendre le contrôle du territoire national et rétablir l’ordre républicain partout
L’État doit reprendre le contrôle de la totalité de son territoire, en cessant de laisser les banlieues livrées à leur triste sort. Il s’agit ici de lancer un vaste plan de libération et de désarmement des "zones de non-droit et de non-France" – jusqu’à présent abandonnées aux minorités tyranniques mafieuses ou islamistes (souvent les seules autorités respectées), qui remplissent le vide laissé par les autorités républicaines et les autres courants religieux modérés. La police et la gendarmerie, aidées ponctuellement par l’armée et la réserve, si nécessaire, doivent rétablir l’ordre républicain dans toutes les zones hors contrôle.
L’impératif immédiat est de sécuriser la totalité du territoire national et de vaincre la criminalité qui sert de terreau de recrutement et de ravitaillement logistique des djihadistes, les organisations terroristes visant les zones de délinquance justement parce qu’ils comptent sur des individus aptes à la violence et préparés aux actes définitifs.
Ces cités de non-droit, où l’islamisme devient petit à petit la seule autorité morale en place face aux structures criminelles, sont devenues à la fois des zones d’expansion du communautariste sécessionniste et une base-arrière des rabatteurs terroristes qui y préparent des attentats à Paris, Bruxelles, Nice ou ailleurs. Il convient donc en priorité, avant d’agir sur l’extérieur et de bombarder des bastions terroristes en pays arabo-musulmans, d’assécher cet "environnement favorable" intérieur et de libérer les habitants de ces quartiers de l’emprise croissante des radicaux qui les prennent en otage. Cette nécessaire tolérance zéro passe par un maillage territorial, une justice plus efficace et plus rapide, une présence humaine accrue, une pleine application des lois existantes en vigueur, suffisamment répressives, et surtout une contre-guerre psychologique et une "intelligence de proximité". Elle a pour but simple de faire régner la loi et l’ordre républicain.
Concernant la menace djihadiste, plusieurs mesures peuvent être mises en œuvre dans le cadre d’une plus grande collaboration entre services judiciaires et policiers nationaux et européens :
– créer des "cours d’assises spéciales" dédiées aux questions terroristes ;
– appliquer les dispositions prévues par la loi en matière de déchéance de nationalité pour les djihadistes de nationalité française. Dans son intéressant ouvrage Vaincre le terrorisme islamiste (Albin Michel, 2016), François Fillon rappelle que "les textes de droit international ne peuvent nous être opposés, notamment en matière d’apatridie, puisque la France ne les a pas ratifiés" ;
– interdire tout retour sur le sol français et européen des citoyens européens ayant rejoint les rangs des groupes djihadistes anti-occidentaux en Syrie ou ailleurs ;
– permettre une plus efficace répression des appels à la haine et à la violence sur Internet et dans les réseaux sociaux, quitte à engager des sanctions lourdes contre les serveurs et sociétés qui animent les réseaux sociaux hors-contrôle ;
– interdire toute mosquée, centre islamique ou association loi 1901 qui sert de relai au salafisme ou à des organisations étrangères prônant ouvertement le refus des valeurs et lois des sociétés démocratiques européennes ;
– contrôler strictement les écoles islamiques et interdire tout établissement (comme l’école Al-Dirayah de la mairie de Sevran) enseignant des valeurs anti-occidentales, misogynes, antisémites et/ou christianophobes ;
– Relancer la machine à intégrer : le "patriotisme assimilateur" ou l’enseignement de l’estime de soi collective
(Suite de ce Géopolitico-scanner vendredi 23 décembre)
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