Fondation pour l'islam de France : et si le vrai défi était de réussir à vivre avec le fait qu&#
Lundi 29 août, le ministre de l'Intérieur a participé à une série de consultations auprès du CFCM pour créer une autorité représentative des musulmans de France.
Atlantico : Absence d'un clergé musulman, défaut d'une société civile musulmane organisée... N'y a-t-il pas un aveuglement à penser pouvoir créer de toute pièce une représentativité des musulmans de France ?
Alexandre Del Valle : Il est possible d'y voir un certain aveuglement, même si cela part d'une intention juste. Il y a effectivement une absence de clergé dans l'islam sunnite, qui même s'il est très codifié dans sa tradition, n'est pas organisée d'un point de vue pastoral. Le fait qu'il n'y ait pas de clergé hiérarchisé dans l'islam sunnite fait que chaque pays présent en France à travers sa diaspora possède sa propre tendance. Par exemple en France, il y a l'islam comorien, celui d'Algérie qui paradoxalement, est peut-être le plus réformiste dans notre pays car il est derrière les mosquées et personnalités les moins productrices de communautarisme et d’intégrisme (Mosquée de Paris Boubakeur, frères Bencheikh, etc) .
On trouve également l'islam d'Arabie Saoudite, présent en France à travers des mosquées, centres et la Ligue islamique mondiale. il y a bien sûr l'islam du Maroc, qui, lui, est actuellement majoritaire au sein du CFCM, et qui est directement appuyé par le ministère marocain du culte (habous) qui a récemment réitéré la peine de mort pour les apostats et qui interdit le prosélytisme chrétien sur son sol tout en fins tant le prosélytisme musulman en France…
On retrouve aussi l'islam turc, celui du Milli Görüs, représenté notamment au sein du CFCM dont il va prendre bientôt la présidence tournante, et qui est étroitement lié au parti d’Erdogan et à sa vision néo-ottomane. Le vice président actuel du CFCM, le franco-turc Ahmet Ogras, également président du Comité de coordination des musulmans turcs de France, a tout de même traité Manuel Valls de « malade" sur BFM le 29 aout 2016 en réaction à la nomination de JP Chevènement à la tête de la Fondation de l’islam de France et de ses propos sur le burkini et les femmes voilées, puis a affirmé que le « voile est une prescription du Coran »… Quelques mois plus tôt, cet homme au ton doux mais d’un radicalisme implacable avait jugé « inadmissible » que "Charlie persiste à caricaturer Mahomet » alors qu’il vit dans le pays de Voltaire. Dans la même veine, le président actuel, marocain, du CFCM, Anouar Kbibech, a quant à lui passé le mois d’aout à défendre le port du burkini et à critiquer les maires qui ont pris des mesures pour l’interdire sur les plages en raison des troubles à l’ordre public. Avec des élites musulmanes visibles comme celles-ci qui sont censées représenter l’islam de France en défendant les femmes voilées ou en burkini. On pourrait parler aussi des Frères musulmans, très présents sur le terrain ensemble, et qui prônent un communautarisme islamique depuis des décennies puis distillent un antisionisme ultra-radical souvent teinté de judéophobie en important en France le conflit israélo-palestinien et en stigmatisant les musulmans modérés. Ce travail d’intimidation communautariste est poursuivi à présent par leurs continuateurs-rivaux que sont les salafistes qui prônent une sorte d’apartheid volontaire symbolique afin de se couper des modes « mécréantes ». Vous comprenez pourquoi tous s’en prennent au très laïc Jean Pierre Chevènement.
Ceci dit, il faut savoir qu'il y a un problème énorme de rivalité entre pays musulmans, qui se livrent à une compétition acharnée pour prendre le contrôle de l'islam de France. Cela n'est bien entendu pas acceptable, car il s'agit de puissances étrangères qui souhaitent s'emparer de nos citoyens et qui veulent promouvoir un communautarisme islamique. Aussi faut-il souligner que ce sont les plus riches, les plus radicaux et les plus politiques qui ont le dessus, après avoir investi les structures de représentation de l'islam et les mosquées, au détriment des musulmans soufis, réformistes et modérés, moins naturellement activistes et non aidés par des puissances étrangères. De ce fait, les musulmans paisibles et intégrés, selon moi majoritaires, mais intimidés psychologiquement par les activistes et radicaux qui donnent le ton, encadrent, embrigadent et « excommunient » ou même sanctionnent, se taisent ou se soumettent à ceux qui les prennent en otage.
Pour toutes ces raisons, je pense que c'est une bonne chose de vouloir créer cette représentativité. De même que c'est un bon choix d'avoir pris Jean-Pierre Chevènement, dans une étape préalable nécessaire de réaffirmation des valeurs républicaines après des années de compromissions vis-à-vis des pôles de l'islamisme mondial qui ont pour objectif n° 1 d'empécher l'intégration des musulmans français issus de l'immigration aux mœurs « impies » des sociétés d'accueil. N'oublions pas que R T Erdogan a affirmé que l'intégration est un « crime contre l'humanité » et que le pôle turc qui préside des structures musulmanes officielles de France lui sont fidèles et lui servent de relais politico-religieux. Il est donc grand temps de délivrer nos compatriotes musulmans de l'emprise des pôles de l'islamisme mondial.
Avec du volontarisme, je pense qu'il est possible de réussir, à condition qu'à un moment, Jean Pierre Chevènement laisse la place à un musulman éclairé, de nationalité française et qui puisse un exemple à suivre pour ses coreligionnaires, à l'instar de Ghaleb Bencheikh, cheikh Bentounes, Leila Babes, ou Abdenour Bitar. Pour ce qui est de la partie cultuelle pure, même si le Ministre affirme qu'il n'y aura pas d'interférence avec le volet culturel, il est clair qu'il va falloir choisir les bons interlocuteurs, ceux qui seront les plus à même de faire la synthèse entre la nécessaire représentation de l'islam de France et la compatibilité avec nos valeurs. Il faudra donc exclure certains pôles et imams pour réussir cette mission. Mais nos responsables politiques auront-ils le courage d'exclure les pôles comme celui des Frères musulmans par exemple, qui n'hésiteront pas à crier au racisme, ou qui, bien qu'ils ne représentent qu'une fraction de la communauté des musulmans de France, ont les moyens de se faire entendre ? On n'a jamais eu le courage de libérer les musulmans de France d'une emprise étrangère et totalitaire. Or il est temps d'avoir le courage d'imposer à des règles à ces pôles. C'est à l'islam de s'adapter à la République et non le contraire. Et cela suppose que les politiques cessent d'être dans l'aveuglement de certains pôles mondiaux de l'islamisme qui ont pour mission d'empêcher l'intégration de nos communautés musulmanes dans les pays occidentaux.
Philippe d’Iribarne : C’est peut-être une idée de génie de faire présider une nouvelle instance, dont le rôle est certes limité mais non négligeable, par un non-musulman, Jean-Pierre Chevènement. Quand les diverses composantes d’un ensemble sont incapables de s’accorder, quelqu’un d’extérieur est susceptible de jouer un rôle précieux. Après tout, à Jérusalem, comme les diverses Eglises chrétiennes sont incapables de s’entendre pour régler les questions d’ouverture et de fermeture du Saint Sépulcre, c’est un musulman qui a traditionnellement cette responsabilité.
Guylain Chevrier : Il n’y a pas, certes, de clergé musulman dans l’islam sunnite qui est dominant en France, au sens où nous le connaissons avec l’Eglise catholique. Pour autant, nous avons bien affaire à une Eglise, mais qui est tellement dans sa conception même mêlée au pouvoir politique, quelle n’a pas à proprement parlé d’autonomie. Selon la Constitution du Maroc, le roi Mohammed VI est aussi Commandeur des croyants, à l’image d’une religion qui, dans tous les pays arabes ou maghrébins, est peu ou prou une des dimensions de l’Etat, de l’Algérie à l’Arabie Saoudite. L’Etat islamique est aussi fabriqué sur ce modèle, avec un retour au Califat où pouvoir politique et religieux ne se distinguent pas.
Il y a là une contradiction antagonique de taille à résoudre avec la République laïque, qui est fondée juridiquement sur la séparation de l’Etat des Eglises, et notre la société, traversées par des valeurs et des mentalités ancrées dans la liberté. Le problème n’est pas tant la question du financement par l’étranger des mosquées ou la présence d’imams exerçant en France leur « sacerdoce » par le même biais, que la conception de la religion qui est diffusée. La question est de savoir si la loi commune est acceptée comme étant supérieure à la foi ou si, comme cela est régulièrement plaidé, c’est la foi qui est considérée comme y étant supérieure1.
On voit déjà là quelques obstacles de taille à l’initiative de Bernard Cazeneuve qui entend créer une « Fondation pour l’islam », dont l’intention est de viser à mieux "ancrer dans les valeurs de la République" une religion. Parler comme le fait Jean-Pierre Chevènement d’un « islam républicain » parait tout de même un peu osé dans ces circonstances. Parle-t-on seulement d’un catholicisme républicain ?
Autre problème, au lieu de tirer les enseignements de l’échec d’un Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), avec lequel on a fabriqué de toute pièce une autorité religieuse censée représenter une communauté sur un mode univoque, ce qui a conduit à cette nouvelle proposition, on persévère dans le même sens. Le CFCM a été une vitrine d’honorabilité pour un islam contestataire d’où recruter contre la laïcité, et on ne voit pas ce que cette Fondation va changer, malgré la présence de quelques personnalités intéressantes et le fait qu’elle soit sous l‘autorité d’une personnalité qui n’est pas musulmane, l’ancien ministre de l‘intérieur, Jean-Pierre Chevènement. Cette fondation qui doit respecter la laïcité, selon son président pressenti, est censée former les imams nous dit-on sous les seuls aspects civiques et que pour l’aspect religieux, on y adossera une association cultuelle. Mais cette initiative cède sur la laïcité puisqu’elle est en fait un chemin de traverse pour la contourner en organisant encore une fois un culte. C’est défendre une cause en usant de moyens contraires. La méthode n’a pas fait ses preuves, elle a plutôt démontré le bien fondé de la loi de séparation de 1905. Si on se rappelle vraiment le contexte de violence politique dans lequel cette loi a été acquise, on mesurera qu’il faut moins transiger que décider, et mettre les moyens en conformité avec le but.
A contrario, une fraction des musulmans tenants d'un islam politique, plus structurée, pourrait tenter de créer un rapport de force, comme cela a pu être interprété à travers la question du burkini par exemple. Au vu des difficultés institutionnelles qu'il peut y avoir à gérer un islam politique, qu'est-ce qui attend la société ? Rejet, équilibres instables... A quoi devons-nous nous attendre ?
Alexandre Del Valle : Il faut s'attendre à une demande de fermeté. Et pas uniquement de la part des Français de confessions non-musulmanes. Les citoyens musulmans sont les premiers horrifiés de voir les fondamentalistes prendre le contrôle et les kidnapper. Il est temps de faire ce qu'à fait l'Italie il y a une dizaine d'année avec l'entente (« Intesa »): la gauche, alors plus courageuse sur ce point que la droite vendue aux pays du Golfe, avait demandé à toutes les organisations musulmanes du pays de signer une charte d'allégeance aux valeurs en vigueur, et que tout ce qui était incompatible dans la charia devait passer après.
Une charte de l'islam de France aurait également cet intérêt. C'est dans cet esprit que nous avions proposé, avec Rachid Kaci et la Droite libre, puis avec l'imam Chalghoumi, de faire signer aux organisations musulmanes françaises soi-disant « représentatives » une « Charte de l'islam de France » qui ferait primer les règles démocratiques et républicaines sur celles de la charià lorsqu'il y a contradiction entre les deux.
En la signant, les organisations musulmanes lèveraient la suspicion qui plane sur de nombreux musulmans hélas associés par certains aux extrémismes trop souvent surreprésentés et suractifs. En refusant de la signer et de faire cesser les enseignements anti-occidentaux et attentatoires aux lois en place, elles s'exclueraient d'elles-mêmes et seraient de ce fait immédiatement interdites puisqu'ouvertement opposées à la loi en vigeur. Elles ne pourraient plus enseigner des valeurs subversives et les nombreuses associations musulmanes plus éclairées qui les remplaceraient à la tête des mosquées et des centres musulmans distilleraient un islam de France et paisible qui répondrait au besoin purement pastoral et cultuel des croyants. Jean Pierre Chevènement avait tenté une fois de faire signer pareille charte lorsqu'il était ministre du culte dans les années 1990, et il s'était vu signifier une fin de recevoir de la part des pôles de l'islam de France, Frères musulmans en tête.
Ceux-ci n'acceptaient pas l'idée que l'on puisse avoir le droit de changer de religion, ce qui est puni de mort dans la loi islamique, et se posèrent en victimes pour justifier leur refus d'allégeance. Il est clair que nous ne pouvons plus nous laisser culpabiliser et impressionner. ET de ce point de vue, lorsque l'extrême gauche et les élus socialistes et communistes ou mélanchonnistes défendent le burkini ou diabolisent Valls ou le très républicain Chevènement accusés tout deux d'islamophobie pour servir la soupe aux électeurs du 93 ou d'ailleurs, ils jouent avec le feu...
Philippe d’Iribarne : Les intéressés ne sont pas seulement tentés. Ils agissent ainsi dès qu’un espace s’ouvre. Ils échouent parfois, comme pour le voile islamique à l’école ou pour la burqa, pour laquelle ils ont perdu le procès qu’ils ont intenté à la France devant la Cour européenne des droits de l’homme. Ils réussissent parfois, comme ils viennent de le faire pour le burkini devant le Conseil d’Etat. On peut s’attendre à un harcèlement permanent. On a affaire à un projet de société marqué par une triple soumission : des individus à la communauté, des femmes aux hommes, des non-musulmans aux musulmans qui continuera à être défendu bec et ongles. La question est de savoir quelle sera la fraction des musulmans français qui s’y reconnaîtra.
Guylain Chevrier : On a vu depuis une trentaine d’années, depuis les premiers voiles à Creil dans l’école publique en juin 1989, la République laïque s’affronter à un islam organisé de plus en plus revendicatif, de plus en plus intransigeant au regard de toute adaptation à nos mœurs et valeurs, avec cerise sur le gâteau, l’affirmation du salafisme sur notre territoire. On a laissé faire au nom des droits et libertés individuelles, détournées pour jouer dans le sens d’une pression communautaire qui vise à faire reculer les normes et valeurs constitutifs de notre contrat social, avec l’objectif d’obtenir des concessions de la loi commune en faveur de la loi religieuse. Il y a un recul continu dans ce domaine sur cette période. Il n’y a pas de raison que cela s’arrête, car le seul coup d’arrêt qui peut être mis à cette situation, et cela a été l’enjeu d’un printemps arabe qui s’est cassé les dents dessus, est de mettre en œuvre la fameuse formule de Victor Hugo : « L’Eglise chez elle et l’Etat chez lui », alors que là encore on organise le mélange de genres.
L’actuel président du CFCM, Anouar Kbibech, a exprimé à l’occasion de cette première journée de consultation visant à une Fondation pour l’islam, qu’il espérait que cela allait " mettre fin à la séquence nauséabonde du burkini". On voit encore ici qu’il n’y a aucune prise en compte de la réalité d’une société française choquée par cet affichage prosélyte sur nos plages, d’une tenue signifiant l’infériorité juridique de la femme musulmane, sinon de la femme tout court. L’islam politique, c’est bien de refuser toute adaptation de la religion à notre société, ce qu’il faut traduire comme la volonté de lui imposer ses normes religieuses, c’est-à-dire contre l’Etat de droit. C’est l’affrontement assuré à terme entre les musulmans qui sont dans ce refus et se posent en victimes, qui sont de plus en plus organisés et nombreux, et le reste de la société.
La complexité de la situation actuelle n'est-elle pas annonciatrice d'une absence de solution claire ? Comment cette absence peut-elle se heurter avec une France qui aime par-dessus tout déplacer les questions qui se posent sur le terrain des idées, dans une approche cartésienne ? Quelle différence peut-on faire ici avec, par exemple, le pragmatisme anglo-saxon ? Ne faut-il pas accepter cette absence de solution simple et claire ?
Alexandre Del Valle : Le pragmatisme anglo-saxon a plutôt montré ses limites. Regardez à quel point certaines villes américaines et grandes organisations islamiques américaines et canadiennes sont gangrénées par l'islamisme. Le CAIR, Council of American and Islamic Relations, par exemple, est dirigé par des personnes qui adhèrent aux Frères musulmans, et est officiellement liée au Hamas. Ce lobby très puissant table systématiquement sur l'anti-racisme pour promouvoir ses idées pro-voile, pro-burkini, communautaristes et mysogynes.
On s'étonne que le 11 septembre se soit déroulé aux Etats-Unis... Mais un des chefs terroristes les plus connus d'Egypte, proche des cerveaux du premier attentat du World trade center, Omar Abdel Rahmane, avait une Green card américaine... En Grande-Bretagne également, certaines cités, notamment à Londres, Finsburry parc, etc, ont vu leur débit de boisson déserter, et où les femmes en jupes se font molester dans les rues taguées « Sharià controlled zone »... Ces zones de droit islamiques (de facto) qui contestent et défient ouvertement l'ordre juridique et civilisationnel en place, ne sont pas des exemples selon moi. Et les énormes concessions communautaristes n'empêchent pas la radicalisation, comme on le voit aussi en Hollande ou en Belgique où l'hyper assistanat, le communautarisme, le paiement des salaires des imams par l'Etat et tant d'autres conbcessions n'ont pas « calmé » la haine des fanatiques qui trouvent toujours de quoi se plaindre et se sentent toujours humiliés. Je pense aussi à la Fondation de Leicester en Angleterre qui avait soutenu et relayé les fatwas condamnant à mort Salmane Rushdie pour « blasphème » et exigeait un Etat séparé de facto en Grande Bretagne pouy appliquer la Sharià... Ces pays qui ont pratiqué le communautarisme pro-obscurantiste voient certaines zones échapper à leurs propres règles, où des communautés se développent séparément et n'ont rien apaisé. C'est juste une bombe à retardement.Le modèle français laïque intègre et inclus beaucoup mieux.
Philippe d’Iribarne : La France adore effectivement les solutions claires sur le papier… tout en étant prête à mille exceptions et accommodements dès qu’il s’agit de passer à l’acte. Les anglo-saxons sont-ils plus pragmatiques ? J’en doute. Le poids qu’a pris chez eux l’idéologie multiculturelle leur rend très difficile de regarder en face les problèmes posés par l’islam. Les hésitations britanniques face aux imams prêcheurs de haine envers l’Occident en témoignent.
Guylain Chevrier : Il n’y a pas de solution en dehors de tracer une ligne claire à ne pas franchir pour les religions au regard des libertés acquises, ce qui n’est pas fait. Nous nous confrontons régulièrement à de nouveaux crans dans la montée du communautarisme, et la tendance des élites est à céder, spécialement des élites intellectuelles, largement acquises au multiculturalisme. Mais ce n‘est pas le cas de la population, particulièrement des couches populaires, qui sentent bien le danger et vivent dans leur quotidien la crise de cohésion sociale liée aux difficultés matérielles mais aussi, une remise en cause identitaire qui fait voler en éclat les idées formatrices d’une société commune et leurs repères, ce que l’on entend ignorée, le sentiment de se sentir français qui n’a rien d’illégitime. La réaction peut s’exprimer jusqu’à travers un vote extrême qui n’est pas de nature à résoudre quoi que ce soit, mais en forme de pis-aller face aux renoncements et au désenchantement qu’ils provoquent. Nous sommes dans une période de flottement idéologique sur ce sujet, qui est devenu un des enjeux capitaux des choix politiques des candidats à l’élection présidentielle.
La République française n’est pas l’Angleterre ou l’Allemagne, ni les Etats-Unis où le multiculturalisme est la règle. Nous avons fait le choix historique de faire prévaloir l’égalité entre les individus comme principe constituant le sujet de droit, qui nous fait nous mélanger, et le solidarisme, alors que le pragmatisme anglo-saxon a fait le choix de l’égalité de traitement des différences, en créant une société de communautés séparées, et l’individualisme. Ce pragmatisme fait que, outre-Manche, on a laissé se mettre en place des tribunaux islamiques ou en Allemagne, dans certaines villes, une police religieuse veiller au respect des bonnes mœurs musulmanes, dans la tradition la plus conservatrice. La France avec sa République laïque a fait le choix de porter au-dessus des différences l’intérêt général, les libertés et droits individuels, la citoyenneté, l’égalité homme-femme, ce qui représente un projet politique pour tous bien plus exigeant en termes d’intégration.
Accepter de rester dans le flou, c’est la certitude d’aller vers une société à terme séparée en communautés distinctes et concurrentes, l’unicité de la nation balayée, ce qui ne peut qu’être fatale à une République égalitaire et laïque. Il n’y a pas de position médiane, entre les principes républicains se reflétant dans la devise « Liberté-Egalité-Fraternité » qui fondent l’individu de droit, le citoyen autonome, et le multiculturalisme où les individus disparaissent derrière la logique communautaire. Là, comme ailleurs, il faudra bien à un moment donné faire un choix. Mais n’oublions pas non plus que contrairement aux idées reçues, céder au communautarisme ne résoudra pas les tensions avec l’islam et la radicalisation, au contraire, cela ne peut être qu’un encouragement dans ce sens en favorisant un effet d’attraction.
Pour autant, et si l'on se projette, à quel horizon et à quelles conditions peut-on imaginer une sortie de la crise actuelle, notamment au travers de l'émergence "d’institutions" musulmanes, organisées, représentatives et légitimes, permettant le dialogue ?
Alexandre Del Valle : Même si tout n'est pas comparable, la religion juive s'est également adaptée aux règles françaises-républicaines. Certes, cette religion n'est pas prosélyte, mais elle contenait des lois issues de la Halakha, la loi juive, qui touchaient au politique et au social et rendaient les femmes inférieures aux hommes. Avec le consistoire de Napoléon, les juifs ont accepté de mettre entre parenthèse certains de leurs rites et lois que ceux de la république contredit, donc ont accepté de faire primer la loi du pays sur celle de la Halakha en matière sociale selon l'adage araméen biblique « dina demalkhuta dina ». Je pense donc que c'est parfaitement possible pour l'islam de faire la même chose, même si cela sera peut être plus long et plus difficile étant donnée la force d'attraction et d'influence des pays musulmans qui sont en pleine phase de réislamisation radicale presque partout comme l'a justement dit Chevènement.
Mais si l'on continue de nommer dans des fondations des représentants aux mentalités paranoïaques, outrancièrement victimaires, réfractaires à toute auto-critique, cela ne marchera pas. C'est pourquoi il y a tout lieu de choisir des responsables musulmans français, habitués aux valeurs occidentales, adhérant à notre culture et conscient que si les musulmans veulent voir leur image s'améliorer et leur présence acceptée par les autochtones chrétiens ou laïques, il ne suffira pas de blâmer les racistes mais cela commencera par se faire accepter mieux soi-même par l'exemple, la capacité à s'adapter et à se faire aimer, la propension à l'auto-critique et le respect des lois en place.
Philippe d’Iribarne : Un problème majeur est que les musulmans, et en particulier les autorités musulmanes, se gardent de prendre position sur une question essentielle : le projet de société qui implique la soumission des individus à la communauté, des femmes aux hommes et des non-musulmans aux musulmans est-il consubstantiel à l’islam ou ne lui est-il associé que de manière contingente, liée au contexte historique, social et culturel au sein duquel il a émergé ? Si le lien est contingent et que l’islam relève d’une démarche spirituelle qui peut s’épanouir, comme le christianisme, au sein de formes de société très diverses, et en particulier de la société occidentale, les musulmans doivent cesser de revendiquer en invoquant la liberté religieuse le droit à voir respecter des pratiques, telles aujourd’hui le port du burkini, qui sont en fait des pratiques sociales, et non religieuses. Le fait que, au sein des pays marqués par l’islam, de nombreux musulmans se battent contre cette conception de la société centrée sur la soumission laisse penser que ce lien peut être rompu. Quand à ceux qui déclarent qu’il y a là un lien consubstantiel, il faut leur répondre que, si jamais c’était vrai, ce serait l’islam même qui n’aurait pas sa place dans la société française. Il n’est pas besoin d’attendre que les musulmans s’accordent entre eux, ce qui n’arrivera sans doute jamais, pour exiger qu’ils répondent à cette question et agir en conséquence.
Guylain Chevrier : C’est à la République de dire ce qu’elle veut et de poser les limites au religieux, et à lui de s’adapter, ce que nous ne savons plus faire, comme l’affaire du burkini vient de le démontrer. Nous cherchons à donner à l’islam une place par la négociation, qui est le propre d’une pensée qui est la nôtre, en pensant amadouer par la raison une religion, dont le principe relatif à toute religion y est étranger, sans compter encore avec des pays d’influence musulmane qui ne donnent pas l’exemple. L’islam officiel d’aujourd’hui ne donne aucun signe de pouvoir, à brève échéance, y parvenir, en raison de la diversité des sensibilités qui traverse cette religion. Comme d’ailleurs les dissensions au sein du CFCM lui-même ont pu le montrer, avec une Union des Organisations Islamiques de France, émanation des Frères musulmans, qui reste la plus influente.
Il n’existe pas aujourd’hui d’islam modéré organisé, avec une institution et des rassemblements où le voir s’exprimer, alors qu’il existe de nombreux musulmans respectueux des lois de la République, qui sans doute voudraient agir, mais auxquels il manque l’offre politique, en quelque sorte. Cette possibilité a eu la route barrée par un islam officiel contenu dans un CFCM interlocuteur de l’Etat, censé représenter toute une communauté, parlant d’une seule voix. C’est cette erreur qu’il ne faut pas reproduire avec cette fondation. Si on n’avait pas procédé ainsi, tout en résistant sur nos valeurs collectives, on aurait pu créer sans doute la possibilité de l’émergence de courants modérés qui n’ont pu ainsi voir le jour. Si nous voulons des représentants légitimes de l’islam, c’est-à-dire respectueux de la société française, il faut qu’ils se dotent eux-mêmes d’une légitimité de cette nature auprès des musulmans, sur un fond de débat où toutes les questions soient posées, dont celle centrale du choix entre « laïcité ou islamisme »2.
1-Chems-eddine Hafiz, avocat de la Grande Mosquée de Paris, Gilles Devers, avocat de la Grande Mosquée de Lyon, Droit et religion musulmane, Dalloz, 2005 : « Le droit est sans prise sur la foi. » page 36.
2-Fouad Zakariya, Laïcité ou islamisme, la découverte, édition française, le Caire, 1991.
http://www.atlantico.fr/decryptage/fondation-pour-islam-france-et-vrai-defi-etait-reussir-vivre-avec-fait-qu-aura-pas-solution-court-terme-entre-republique-et-2805452.html/page/0/1