Entre "pacifisme" inapproprié de l’esprit de Munich et risques d’embrasement généralisé, c
Après l'assassinat du père Jacques Hamel le 26 juillet, rien ne semble indiquer que le gouvernement s'inquiète de l'islam. Au contraire, on entend plus que jamais monter le spectre du Front national. L'esprit munichois qui consiste à s'effacer devant le plus fort semble n'avoir toujours pas quitté nos élites.
Atlantico : Après l'assassinat d'un prêtre dans une église de Saint-Etienne-de-Rouvray le 26 juillet dernier, comment trouver le juste équilibre face à une double menace : d'un côté celle des dégâts que pourrait générer le fait de ne rien faire parce qu'on ne veut rien voir, et de l'autre celle d'un embrasement généralisé contre l'islam ?
Alexandre Del Valle : Je ne crois pas qu'il y ait de risques d'embrasement généralisé contre l'islam. Je n'en suis pas convaincu, d'autant que ce que je constate depuis des années, à raison ou à tort, c'est que plus les islamistes frappent, plus la plupart des gouvernements démocratiques occidentaux, à part le gouvernement populiste de Viktor Orban en Hongrie, redoublent de profession de foi anti-islamophobie. Et à chaque fois qu’un attentat meurtrier est commis aux cris d’Allahou Akbar, nos élites politiques, nos intellectuels - à part quelques-uns -, et les responsables religieux disent que cela n’a rien à voir avec l’islam et redoublent de zèle anti-islamophobe, ce que cherchent d’ailleurs les terroristes dont c'est le leitmotiv, et nos dirigeants renforcent à chaque fois un peu plus l'arsenal visant à punir l'opposition à l’islam, l'islamophobie, ceci en confondant d'ailleurs souvent à mon avis à tort le racisme et la critique de la religion musulmane (le premier étant condamnable par la loi, le second une liberté républicaine et démocratique).
Je constate au contraire la croissance d’un véritable "syndrome de Stockholm généralisé" couplé avec une "politique d’apaisement" si fustigée par Churchill face à un autre totalitarisme. Plus on frappe au nom de l'islam, plus on nous "prouve" que le "vrai islam" n'est pas ça (là encore à tort ou à raison). Au contraire, dans nos démocraties qui ont aujourd'hui comme religion séculière et valeur fondamentale les droits de l’homme et la défense des minorités, plus on est visé et frappé mortellement par notre ennemi, l’islamisme radical, plus on le rend intouchable en disant que cela n’a rien à voir avec l’islam alors que l’un est une maladie née dans le corps de l’autre, comme l’ont pourtant si bien dit de grands intellectuels musulmans éclairés comme Abdel Wahhab Medeb ou les Frères Bencheikh.
Les citoyens globalement suivent : nuls dérapages violents ne sont à déplorer. Si l'on compare avec l'Afrique noire chrétienne, avec l'Inde, avec la Yougoslavie, la Chine, la Thaïlande ou la Birmanie, j'invite ceux qui parlent d'islamophobie en Europe à aller faire un stage dans les pays où il y a une véritable islamophobie.
Cette inquiétude peut être légitime d'un point de vue moral, et on ne peut que louer l’esprit chrétien ou républicain tolérant de refus de la haine et de la vengeance, mais elle revient à tomber dans le piège des islamistes lorsque nous nous excusons de ne pas être "islamophobes" et battons notre coulpe post-coloniale, car toute la stratégie de communication et de terreur psychologique des islamo-jihadistes consiste justement à nous faire peur et nous faire croire que leur violence ne serait qu'une réponse à notre islamophobie coupable. Comme si nos sociétés respiraient tellement la haine envers les musulmans que nous serions responsables des morts de Daech. J’ajoute et j’affirme que lorsque l’on dénonce une "vague de violences envers les musulmans" et de haine anti-islamique, on s'inquiète de quelque chose qui ne s'est pas produit pour l’instant et qui est heureusement irréel. Seuls les islamistes radicaux les plus paranoïaques croient d’ailleurs en cela et le font croire hélas à tant de musulmans lambdas qui risquent d’être fanatisés en s’en persuadant. Connaissez-vous beaucoup de cas de mosquées brûlées, de femmes voilées agressées, d’imams envoyés à l’hôpital ou tués ? De musulmans frappés au hasard dans les rues par des fachos chrétiens fanatisés ou des islamophobes laïcards fantasmés par Emmanuel Todd, Tariq Ramadan ou Edwy Plenel, sans oublier les collectifs anti-islamophobie ou autres anti-racistes de profession qui ont besoin d’inventer des racistes pour survivre lorsqu'il n'y en a pas ? En face des cas d'églises saccagées, de chrétiens ou de juifs agressés dans les banlieues ou victimes des jihadistes, tout ce qu'ont pu mettre les antiracistes islamophiles de "comparables" sont des graffitis (sur une ou deux mosquées), des défilés de gens criant "On est chez nous" après des agressions de bandes (Corse), des propos "islamophobes" de laïques radicaux ou des critiques de l'islam d'intellectuels ou journalistes comme Onfray ou Zemmour. Lisez les rapports des "collectifs contre l'islamophobie", les cas les plus nombreux cités relèvent de la liberté d'exprssion et du droit à blasphémer et à critiquer une religion, droit qui remonte à la Révolution Française dans notre pays et qui est ancré dans le droit et les valeurs fondamentales de la République. Cela n'a rien à voir avec une gorge de prêtre coupée, des jeunes écoliers juifs massacrés dans leurs écoles, des centaines d'innocent tués comme des bêtes sur des terrasses ou des aéroports ou des gens écrasés par un camion en plein défilé du 14 juillet...
Je serai le premier inquiété si l'on en venait à agresser des musulmans parce qu'ils ont l'air musulman ou parce qu'ils ont un prénom arabe ou considéré musulman ou parce qu'ils portent un signe distinctif. Cependant, ce genre de scénario n'est pas constaté en Europe occidentale où les non-musulmans ont bien plus peur des musulmans dans la rue et les cités que l'inverse. En revanche, ce qui monte, c'est une critique de l'islam, par des citoyens à qui on a obligé à penser que l'on avait le droit de cracher sur l'Eglise, qu'on avait le droit d'être extrêmement antisioniste jusqu'à la judéophobie (très répandue aujourd'hui dans les banlieues), mais par contre que la troisième religion, l'islam, était intouchable car plus victime que les autres. Mais sur quelle base affirmer cela ? Tous les spécalistes des Nations Unies et du Conseil de l'Europe ont reconnu que le christianisme et les chrétiens sont de loin les premières victimes de la haine religieuse. Si islamophobie veut dire peur de l'islam, cela existe et cela progresse. Mais peur ne veut pas dire haine ou violence. Les mots sont importants et il ne faut pas tout mélanger ni attiser le victimisme paranoïde producteur de radicalité.
En tant que fils d'immigrés moi-même ayant grandi avec toutes sortes de minorités ethniques et religieuses, je suis absolument certain que les Français sont parmi les peuples les plus tolérants de la planète et l'Union européenne l'espace le plus pluraliste du monde, et de loin. Et que les catholiques ont particulièrement insisté ces derniers jours sur le fait de pardonner quand bien même ils étaient agressés, et ne pas faire de raccourcis rapides, en est l'une des preuves. Le prêtre assassiné lui-même était proche des imams de sa ville. Je pense qu'il est temps que les médias et les professionnels de l'islamiquement correct et de la mauvaise conscience arrêtent de comparer ce qui n'est pas comparable, ce qui revient à mettre la victime au même niveau que le bourreau. De ce point de vue, la vidéo produite par le gouvernement après les attentats de novembre 2015 montrant une femme se faisant agresser parce qu'elle porte le voile n'existe que dans les idées reçues de ses concepteurs orientés idéologiquement et peu amoureux de la vérité, car dans les faits, les musulmans ne se font pas agresser dans la rue en France, en Belgique ou en Italie parce qu'ils sont musulmans, et même après des attentats commis au nom de l'islam, et on ne peut que se féliciter de cette sagesse. En douter et faire croire que les Européens abreuvés d'antiracisme et de pacifisme "risqueraient" de se "venger" et de déclencher des vagues de représailles anti-musulmans confinant à la guerre civile revient à nous mettre collectivement au même niveau que des psychopathes barbares de Daech ou Al-Qaïda.
Si l'on prend le cas des nationalistes corses qui ont agi dans la nuit de Noël 2015 en saccageant une salle de prière, il faut savoir qu'il n'y eut aucune violence corporelle alors même que l'on sait ce dont sont capables les nationalistes et mafieux corses et sachant qu'ils avaient pourtant réagi à une violence première provoquées par des casseurs des cités. Même en Sicile, terre de naissance de la Cosa Nostra, le crime d'une vieille dame de 87 ans tuée sauvagement par deux Nigériens n'a pas déclenché de chasse à l'homme, pas plus que le saccage du centre-ville de Lampedusa par des réfugiés islamistes libyens et tunisiens il y a deux ans n'a déclenché de meurtre.
Je dirais la même chose à Calais, où malgré une insécurité terrifiante provoquée par des immigrants illégaux africains et moyen-orientaux, la violence comptabilisée demeure en totalité le fait des allochtones et non des autochtones qui ne répondent pas de manière violente. Je ne crois donc absolument pas à la guerre civile ou au danger de l'extrême-droite raciste violente que certains pointent du doigt comme potentiellement aussi violente que les jihadistes et que le FN couverait. Même ce parti, quoi qu'on en pense, respecte aujourd'hui les règles du jeu démocratique, sinon il suffirait de l'interdire. Et s'il y avait des tentations insurrectionnelles de ce côté, cela se saurait depuis longtemps, vue leur sous-représentation parlementaire par rapport aux communistes ou aux Verts qu'ils voient comme injuste. Par contre, la violence de l'extrême-gauche, plutôt pro-islamiste, quant à elle, est permanente, des zadistes à Nuit Debout en passant par les sabotages ou appels à la haine anti-flics de la CGT, sans oublier la défense des criminels terroristes d'Action directe, des Brigades rouges ou du Hamas par les milieux communistes révolutionnaires. Je suis bien plus inquiet de cette convergence anti-occidentale terroriste rouge-verte qu'incarnent tant Carlos, qui vante Daech ou le terroriste ex-Action Directe Jean-Marc Rouillan qui trouve les tueurs du Bataclan plutôt "courageux"... et il est loin d'être le seul dans sa mouvance totalitaire adepte de la violence meurtrière pure.
Guylain Chevrier : Si on ne veut rien voir, c’est bien du côté des rapports entre islam et islamisme, en considérant que l’un exclurait l’autre alors que l’islamisme est un courant idéologique et politique de l'islam, qui vise à l'établissement d'un État fondé sur la loi coranique. Il s’inspire de l’origine de l’islam qui a été l’instrument de l’installation d’un nouveau pouvoir politique à dessein pour Mahomet, créant un lien consubstantiel entre religion et Etat. Aussi, l’argument de « pas d’amalgame » peut être compréhensible, mais n’est plus crédible s’il sert uniquement à faire barrage à une analyse qui permette de comprendre ce qui se passe, ce qui devient vital. L’incantation que « l’islam n’y serait pour rien » entend aussi faire écran, mais n’est plus tenable.
L'évolution de l'islam en France, est marquée par une multiplication des revendications religieuses à caractère communautaire, visant à obtenir des concessions au détriment de la loi commune. Il y a pression d’un groupe religieux sur les décisions politiques pour faire changer la loi en sa faveur. On sait que l’islam n’est pas qu’une religion, c’est aussi un projet politique qui englobe toute la société. On a bien vu depuis l’affaire des premiers voiles à Creil, cette disputation de la République et de ses principes s’enraciner en gagnant de nombreux musulmans, au regard de quoi l’extension du port du voile fait symptôme.
Une démarche d’affirmation identitaire qui a émergé avec le retour à une lecture littérale du coran, à la tradition, sous une influence de plus en plus prégnante des Frères musulmans et du salafisme, donnant les codes d’identification du bon musulman s’écartant de la norme Républicaine, qu’on a laissé proliférer dans nos banlieues tout particulièrement. Le voile, de simple manifestation d’appartenance religieuse, est passé à la manifestation d’un enfermement avec refus du mélange au-delà de la communauté de croyance, porte drapeau d’un projet communautariste.
Tarek Ramadan aurait du être immédiatement expulsé après sa proposition de moratoire sur la charia, qui implicitement la justifie en la présentant comme négociable avec la République, devant ainsi accepter les principes du Tribunal islamique. On a donné un très mauvais signe en lui donnant partout la parole sous prétexte de droit d’expression des différences, sur fond de relativisme culturel.
Le laxisme a dominé avec de nombreuses concessions faites en matière de dérogation pour participer d’un mouvement de financement de mosquées de façon plus ou moins indirecte, dont les baux emphytéotiques qui permettent de céder un terrain pour l’euro symbolique, ou encore le financement de centres de culture islamique sous prétexte d’action culturelle. On a mis ces derniers entre les mains d’imams, au lieu de laïcs diffusant dans un esprit scientifique la connaissance de l’islam.
Cet affrontement entre une logique communautaire qui tourne au communautarisme, et la République, qui est de plus en plus palpable, rejoint par ses exigences la poussée islamiste. Le point de ralliement est autour du rejet de la modernité, des mœurs, voir d’une démocratie qui passe pour une culture occidentale qui ne concerne pas les musulmans. Une situation de discorde et de rapport litigieux à la France laïque, qui fragilise les esprits et est un terreau favorable à l’endoctrinement, à la radicalisation. C’est cet islam là qu’il faut questionner, en le mettant devant ses responsabilités, au lieu d’entretenir la confusion sous prétexte des risques de mise à mal qui pèseraient sur les musulmans. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faille pas rester vigilant vis-à-vis de ces risques.
Continuer à ne pas vouloir voir cela, c’est préparer de graves troubles, car il n’y a rien de plus dangereux que de ne pas nommer les choses, ce qui ne trompe personne. Il faut réagir à commencer par les pouvoirs publics (1), en n’hésitant pas à sanctionner ceux qui ne cessent de faire des prêches dangereux comme l’imam de Nice qui rend responsable la France des départs des jeunes musulmans au djihad parce que l’on ne donne pas, selon lui, toute liberté privée et publique, de vivre la loi d’Allah.
Il faut d’autant plus réagir en levant les confusions, si on veut voir émerger un courant laïque chez les musulmans, que puissent se dévoiler publiquement ceux qui, nombreux à pratiquer modérément leur culte dans le respect de la République, restent aujourd'hui silencieux. Il en va aussi ici du fait que certains sont en embuscade dans cette situation, prêt à détourner les choses à des fins de division et d’affrontement, du côté de l’extrême droite, mais aussi de l’extrémisme religieux.
Si, bien évidemment, nombre de musulmans vivent pacifiquement, on sait que leurs textes sacrés n'appellent à la paix qu'entre croyants. Les mots du Prophète pour les infidèles sont toujours durs : "Ne prend pas un incroyant pour ami"(Coran 3:28) ou encore "Tue les infidèles partout où tu les trouves" (2:191). Pourquoi se refuse-t-on à considérer que l'islam n'est pas une religion de paix comme les autres ?
Alexandre Del Valle : Il existe des textes très guerriers dans l'hindouisme (par exemple le Mahhabarata qui raconte l'affrontement de deux royaumes ennemis) ou même dans l'Ancien Testament. Dans de nombreuses religions, il y a des faits guerriers qui sont relatés et souvent glorifiés, mais ces faits ont aussi été contextualisés et renvoyés à un rôle de mythe fondateur, et ne sont en aucun cas dogmatiques et à imiter dans le temps présent. Le problème avec l'orthodoxie de l'islam (parce qu'il faut laisser une porte de sortie aux modérés et distinguer les réformistes des orthodoxes), c'est qu'elle privilégie les Sourates violentes et plus intolérantes de Médine par rapport à celles plus spirituelles et pacifiques de La Mecque.
Et celles de Médine, postérieures aux autres, prévalent sur les précédentes lorsque deux sourates au sens opposé se contredisent. Ajoutons à cela les 4 écoles juridiques sunnites jamais réformées depuis le XIe siècle et les Hadiths qui sont sacralisés et vont encore plus loin que le Coran mais inspirent la Loi et le droit islamique. Ainsi, tout ce qu'on reproche à l'islamisme radical (l'esclavage, la façon de traiter la femme, la geste guerrière du djihad, etc.) est prévu dans cette charia et donc dans l'islam "officiel" qui légitime hélas la violence et l'intolérance.
Nous n'incriminons pas ici les musulmans dans leur foi privée, digne de respect, mais les textes politiques et sociaux totalitaires de la charia, qui n'ont rien à voir avec la foi mais ont à voir avec l'islam qui est aussi, en l'absence de réforme, un système politico-social. Je pense qu'il faut donc aider les musulmans à se sauver de l'islam orthodoxe. Certes, ce sont bien eux seuls qui pourront se sauver à la fin. Il faut que les réformistes puissent délégitimer les islamistes radicaux qui bafouent la vraie spiritualité au nom d'une vision politique et guerrière. Car comment empêcher dans le cas contraire un musulman radicalisé et embrigadé par Daech ou autre de s'appuyer sur la charia lorsqu'il tranche une tête d'infidèle de façon "licite" ? Lui dire que le hadith est faux ? Il faut pour cela qu'une autorité morale puissante, capable d'excommunier si nécessaire ces personnes, intervienne préalablement, et cela ne se produit pas dans les grands centres de l'islam sunnite d'Egypte (Al-Azhar) ou d'Arabie saoudite, bien au contraire... Voilà le problème : c'est une lutte théologique et politique totale entre croyants sincères et totalitaires, une lutte que les modérés ne gagneront vraiment que lorsque des réformistes réouvriront de l'intérieur les "portes de l'interprétation" (Ijtihad) et parviendront ainsi à délégitimer, apostasier et en fin de compte "priver" de paradis ceux qui se font sauter en tuant des infidèles et en croyant ainsi être élus. Le travail d'exégèse est essentiel en la matière. La réouverture des portes de l'interprétation est la condition pour vaincre l'islamisme radical au niveau mondial et musulman. En attendant ce travail qui ne peut venir que des savants musulmans, nos démocraties ont le droit de refuser le masochisme collectif et de se protéger en bannissant les prêcheurs de haine sur leur sol.
Guylain Chevrier : Les religions monothéistes sont toutes issues de sociétés violentes et patriarcales, et l’appel du christianisme, « aime ton prochain comme toi-même », a amené a des croisades, en un autre temps il est vrai. L’islam comme dernière religion des trois monothéismes a la prétention d’être la religion aboutie de l’histoire qui s’impose aux autres, sans alternative, par la soumission, sens de al islâm. Ce qui est indissociable de l’idée que le coran serait incréé, c’est-à-dire donné directement par Dieu aux hommes, par l’entremise d’un prophète qui n’a fait que recueillir sa parole, et donc inviolable, irréformable. Elle a d’autant plus de mal à s’adapter à des transformations sociales, qu’elles apparaissent comme une mise en danger mortelle de cette intégrité sacrée. Mais il n’y a pas de fatalisme, les musulmans comme tout un chacun, sont des individus susceptibles de se déterminer par eux-mêmes, de prendre en compte les évolutions du temps pour adapter leur religion au mouvement de l’histoire.
Mais faut-il encore qu’ils le fassent. La tendance actuelle est à l’inverse.
Finalement, la différence essentielle de l’islam avec les autres religions, est que le judaïsme ou le christianisme ont du faire ce chemin que la modernité démocratique a imposé dans le monde occidentale, avec des Etats-nation gouvernés au nom de la raison et de la démocratie et donc, de la capacité des hommes à décider de leurs destin en choisissant qui les gouverne et sur quoi, en lieu et place d’un dieu ramené pour l’essentiel à une affaire privée… L’islam, quant à lui, n’a pas connu dans les pays d’origine des musulmans qui vivent dans notre pays ce chemin, avec des Etats qui peu ou prou ont tous la religion dans leur institutions, ce qui n’aide pas à réunir les conditions d’une intégration en France sur le fondement de la laïcité. La question de la place du religieux dans la société, a d’ailleurs été un enjeu capital du Printemps arabe, qui n’est pas refermé.
Nous sommes véritablement sur un point de bascule. On voit sous ce signe, combien la proposition d’un concordat avec l’islam évoquée par Bernard Cazeneuve, parait surréaliste dans ce contexte. Il s’agirait le temps de l’intégration de l’islam dans la République de mettre entre parenthèses la laïcité, en finançant ce culte et en en formant les représentants, jusqu’à aussi les nommer selon certains, en élargissant le statut de l’Alsace Moselle, croyant ainsi mieux contrôler ce culte. Une vision qui est totalement idéaliste et dangereuse. Ce concordat ne servirait qu’à faciliter la mise en place du multiculturalisme, du communautarisme. Ce serait aussi un incroyable retour en arrière sur un fond de renoncement aux conséquences que personnes ne peut mesurer. Il faut vite change de cap, en reposant le cadre d’une République inflexible sur ses principes, c’est-à-dire sur son projet humaniste, et qui se fasse respecter.
1 - Article 35 de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905 : « Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s'exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l'exécution des lois ou aux actes légaux de l'autorité publique, ou s'il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s'en sera rendu coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d'une sédition, révolte ou guerre civile. »
- Code pénal Article 411-4
"Est puni des mêmes peines le fait de fournir à une puissance étrangère, à une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents les moyens d'entreprendre des hostilités ou d'accomplir des actes d'agression contre la France."
En complément de cet entretien, voici l'extrait d'un précédent entretien. Eddy Fougier et Jean Petaux avaient tous les deux donné leur avis sur l'esprit de Munich qui anime la gauche française aujourd'hui. Une bonne illustration de l'aveuglement devant la lame de fond qui secoue l'Europe aujourd'hui
Peut-on voir dans cette attitude d'une partie de la gauche des réminiscences de "l'esprit de Munich", où les chefs d'Etat européens se sont dérobés face à la menace nazie ? En quoi cette gauche se dérobe-t-elle face à la question de la menace islamique ? Est-elle, comme en 1938, en plein déni de réalité ?
Eddy Fougier : On peut comparer les deux situations même si on n'a pas atteint le niveau de Munich. Mais c'est vrai qu'on retrouve cet esprit munichois dans une forme d'aveuglement et de négation d'une certaine évolution au sein de la société. Ce constat est évident. Que ce soit en termes d'intégration ou encore sur la montée de certains éléments radicaux ainsi que sur le succès grandissant des thèses conspirationnistes, on retrouve une forme d'aveuglement comparable à 1938. On retrouve cette attitude dans de nombreux domaines.
La montée d'un certain ras-le-bol au sein des catégories populaires en matière de sécurité, d'autorité, d'ordre, d'immigration ou d'islamisme, tout cela est très souvent nié pour des raisons idéologiques par une partie de la gauche qui va s'abriter derrière un discours antiraciste. Ce mouvement n'est pas nouveau. Cette façon de nier la réalité, comme on l'a nié en 1938, date des années 1980 et continue d'être de rigueur pour cette frange du parti socialiste. Cette dernière accuse de xénophobie ou de racisme ceux qui soulèvent un certain nombre de sujets sensibles. C'est un phénomène que l'on voit de plus en plus, en témoignent les exemples que j'ai donnés précédemment.
Au-delà de ce constat, on peut faire le parallèle avec l'esprit de Munich dans une forme de coupure entre les élites et le peuple. Il s'agit d'une forme d'aveuglement plus générale liée au fait d'avoir une vision élitiste de la réalité et éloignée de la préoccupation des simples Français. On l'observe dans les différentes arcannes politiques où l'on préfère rester dans sa croyance plutôt que de partir de la réalité et voir que ce que l'on croit ne fonctionne pas. Et cela est visible quelque soit le bord politique. Mais c'est quelque chose que l'on retrouve très souvent à gauche puisque le pragmatisme y est vu de façon négative. Donc si vous êtes Républicains vous aurez plus tendance à être pragmatique et à le défendre. Rappelez-vous lorsque Tony Blair a dit qu'il n'y avait pas de politique de droite ou de politique de gauche mais une politique efficace, il a été considéré comme un affreux libéral de droite.
Par ailleurs il n'y a pas qu'un aveuglement de nature idéologique. Il y en a aussi un qui est culturel. On pourrait évoquer certaines élites qui sont enfermées dans leur vision et qui n'arrivent pas à voir la réalité qu'elle soit positive ou négative. On peut parler ici de l'exemple de l'Europe qui est tout aussi révélateur. Les élites ne comprennent pas le manque d'adhésion du peuple. Elles n'arrivent simplement pas à dépasser leur propre conditionnement culturel et social et ne conçoivent donc pas que des ouvriers ne partagent pas le même point de vue qu'eux. Et donc on va coller très souvent sur ces ouvriers le fait qu'ils soient europhobes, xénophobes ou pour la fermeture. Or ceci ne résout en rien le problème, mais au contraire ne fait que le renforcer. En définitive on en arrive à sortir le carton rouge pour l'utilisation de la moindre expression et cela a pour conséquence d'empêcher tout débat et toute discussion.
Jean Petaux : Je crois qu’il est indispensable (et vous le faites fort bien) de parler "d’une partie de la gauche" et non pas "de la gauche". Votre question est complexe. D’abord vous parlez de la "dérobade des chefs d’Etat européens face à la menace nazie à la fin des années 30". Premier point qu’il faut impérativement rappeler, au risque de couper court à la conversation : "comparaison n’est pas raison en histoire". Deuxième point, tout aussi essentiel : de quels chefs d’Etat parlez-vous ? Chamberlain pour le Royaume-Uni ? Mais il n’était pas de gauche… C’était un conservateur britannique, sans doute assez pleutre et surtout très fasciné par le modèle du Führer. Daladier pour la France ? Il était radical-socialiste et surtout empêtré dans un imbroglio politique intérieur absolument inextricable avec une chambre élue de "Front Populaire" qui avait fait tomber le gouvernement Blum investi en 1936. Quant aux autre pays leaders européens ils étaient soit fascistes (Mussolini, inventeur du concept) ou "fascistoïdes" (Franco en Espagne, le colonel Jozef Beck en Pologne voire Salazar au Portugal). Léon Blum quant à lui, quand il fut président du Conseil, n’était pas aveugle face à Hitler – on oublie souvent que le plan de réarmement fut décidé sous le Front Populaire avec un ministre de l’Air exceptionnel en la personne de Pierre Cot et son directeur de cabinet futur héros national Jean Moulin – . Il demeura certes passif face à la guerre d’Espagne et à l’écrasement de la République espagnole en défendant la thèse de la non-intervention. Mais cela ne concernait qu’indirectement la politique face à Hitler.
Il ne faut pas oublier qu’en septembre 1938 la grande majorité de la société française est pacifiste et applaudit massivement aux Accords scélérats de Munich, comme elle n’avait rien dit lors de l’Anschluss et comme elle a laissé se faire dépecer la Tchécoslovaquie après Munich, un an avant le déclenchement du second conflit mondial, le 1er septembre 1939.
Le traumatisme de la Première guerre mondiale était tel dans la société française que celle-ci était fondamentalement hostile à la guerre, ontologiquement défaitiste et surtout égoïstement isolationniste. Certes la gauche d’alors était majoritairement acquise à cette posture, mais la droite française ne valait guère mieux. Soit que par anti-communisme, anti-soviétisme et anti-stalinisme elle disait ouvertement préférer "Hitler à Staline", soit que par lâcheté et pur intérêt elle considérait qu’il fallait mieux pactiser avec le diable que chercher à le combattre… Seuls quelques mouvements nationalistes authentiques (certains monarchistes par exemple parmi lesquels on trouvera le jeune Daniel Cordier qui partira très tôt, dès fin juin 1940 pour Londres - cf son autobiographie : "Alias Caracalla") diront très tôt leur hostilité aux menées expansionnistes de Hitler. Quant au PCF, en tant qu’organisation aux ordres de Staline, il opérera un de ces fameux retournements dont il avait le secret alors : lors de l’annonce du Pacte secret germano-soviétique, fin août 1939, il soutiendra Staline et l’invasion inique de la Pologne, contre les forces alliées. Ce qui vaudra à l’organisation communiste d’être interdite dès le début de la Seconde guerre mondiale et où seules quelques figures communistes authentiques se battront réellement contre les Allemands. On les retrouvera très tôt, contre les ordres de "l’Orga" dans la Résistance naissante, en juin-juillet 1940 : Charles Tillon, Gabriel Péri ou Marcel Servin.
Restent à gauche, les Trotskystes. Anti-staliniens par nécessité et par vocation, les "Trots" vont être des "Munichois" militants… Ils vont, pour certains, se ressaisir et rejoindre les rangs de la Résistance, mais trop nombreux seront ceux d’entre eux qui vont aller très loin dans la Collaboration, par anti-bolchevisme et du fait d’un pacifisme passif et assumé. C’est cette tradition, cette filiation, toujours prête à justifier ses errements idéologiques, atteinte d’une cécité historique et analytique congénitale, qui veut à tout prix croire que l’histoire n’est pas tragique, qui rêve de pactiser avec les dictateurs surtout s’ils sont hostiles aux démocrates libéraux… Plutôt Daech que Washington… Cette gauche-là, de Mélenchon (que Cécile Duflot a traité de "Déroulède" récemment… ce qui, pour une fois chez elle, est une appréciation juste) à Besancenot (je ne parle pas du tout du PCF qui relève d’une autre logique) est fondamentalement aveuglée par son anti-américanisme et tragiquement obsédée par son anti-sionisme fantasmé et prétexte, j’y reviendrai.
L'esprit munichois a mené à la défaite du fait d'une préparation à la guerre insuffisante. L'écrivain français Antoine Vitkine a pu parler de "tentation de la défaite". En quoi l'attitude de la gauche peut-elle avoir pour conséquence de laisser l'islamisme radical s'imposer en France?
Eddy Fougier : C'est vrai que sur ces sujets-là, on a été certainement un peu léger encore une fois pris dans une sorte d'aveuglement. Dès qu'il y a la moindre critique, on peut être taxé de xénophobie ou d'islamophobie et on a très souvent fait un amalgame inversé finalement. En effet, les djihadistes cherchent à faire un amalgame entre islam, islam radical et islam violent et en refusant de faire cet amalgame et en taisant la question, on a finalement abouti à l'inverse. Cela a conduit à faire en sorte que beaucoup de musulmans se radicalisent que des musulmans radicalisés passent à la violence.
En ignorant le problème, on n'a pas nécessairement cherché à en résoudre les causes véritables qui viennent soit de la communauté musulmane soit de la société, soit des deux. Quoiqu'il en soit cet aveuglement a fait qu'on a laissé se développer un certain nombre d'éléments radicaux notamment en prison ou ailleurs.
Ces symptômes on les retrouve dans d'autres sujets. Lorsque j'ai étudié le débat sur les ZAD j'ai eu cette impression de grand renoncement sur le plan économique. J'étais même déjà tenté, à ce moment-là, de faire référence à l'Etrange défaite de Marc Bloch, qui évoquait cette période de l'histoire au tournant de la Seconde guerre mondiale, où toute une partie des élites a décroché. On retrouve cet esprit aujourd'hui dans l'idée collective que l'on a tout essayé pour reprendre la fameuse expression de Mitterrand en 1994. Ce constat est présent pour la croissance, le chômage mais aussi pour évoquer la progression de l'islamisme radical. Il y a une forme de défaitisme qui donne le sentiment général d'impuissance qui nourrit le sentiment de défiance d'une partie des Français vis-à-vis de leurs élites politiques. Et en ce qui concerne le développement de l'islam radical en France, c'est sûr que ce sentiment d'impuissance affiché n'aide pas à régler le problème.
Jean Petaux : J’ai bien insisté sur le fait qu’il ne faut parler que d’une certaine gauche ici. Celle que représente François Hollande (qui est en l’occurrence l’héritier direct de François Mitterrand) n’est absolument pas "tentée par la défaite". Vincent Nouzille a montré récemment dans son dernier livre que le président de la République actuel est celui qui de tous les présidents en exercice depuis le début de la Vème République a autorisé le plus grand nombre "d’actions homos" ("neutralisation active" de cibles humaines dûment demandées au chef de l’Etat par le chef de la DGSE, hors du territoire national). François Hollande est tout sauf "effarouché" … Et de ce point de vue-là il est tentant de comparer avec son prédécesseur immédiat : toujours prompt à "faire des moulinets" mais assez timoré dans l’exercice de ses prérogatives de pleine souveraineté.
En revanche, il est vrai qu’une autre partie de la gauche, adepte de la morale et des principes supérieurs se plait à morigéner le chef de l’Etat sur ses inqualifiables manquements aux règles de la justice. Dignes héritiers de Sartre (dont l’engagement dans les rangs de la Résistance fut nul et non avenu) ces grandes consciences intellectuelles françaises font surtout des phrases pour justifier leurs passages sur les plateaux télévisés. Pitoyable ?
http://www.atlantico.fr/decryptage/entre-pacifisme-inapproprie-esprit-munich-et-risques-embrasement-generalise-comment-trouver-juste-equilibre-face-islam-alexandre-2777045.html/page/0/2